Alors que la deuxième session de jeu documentaire « Fort McMoney » s’ouvre ce 27 janvier, Le Blog documentaire revient ici sur le pharaonique projet de David Dufresne

La première partie fut un succès : plus de 300.000 joueurs sur 4 semaines (46% en Français, 37% en Allemand et 17% en Anglais), plus de 5.300 arguments mis en ligne par 1.869 joueurs et, au final, une ville transfigurée : la production de barils de pétrole a chuté en même temps que les émissions de gaz à effet de serre ; la population de travailleurs temporaires a été divisée par dix, et le revenu annuel moyen des ménages par vingt, tandis que le taux de chômage grimpait de 28 %.

Au-delà de ces résultats, « Fort McMoney » a fait l’objet de multiples articles (élogieux) dans la presse internationale, mais rien sur le ressenti de ceux qui ont activement participé à l’aventure au jour le jour. Parole donc ici aux plus assidus des joueurs – parmi les 10 premiers du classement. Qu’est-ce qu’il leur a plu ? Quels sont les points faibles ? Avaient-ils, aussi, une expérience de joueurs ? Ils sont français, canadien ou allemand, et ils nous ont répondu en trois langues. Les propos sont recueillis par Nicolas Bole, avec Mathilde Benignus.

fort mcmoney bandoLe Blog documentaire : Quels sont les points forts de « Fort McMoney » ? Qu’est-ce qui vous a séduit immédiatement, puis au fil des 4 semaines ?

Günter Klenetz (3ème) – Le point fort est la production de l’énergie et ses suites. Ce qui m’a tout de suite séduit, c’est le fait de transformer une ville réelle par le jeu, ensemble, avec notre conscience et nos connaissances, et d’en examiner les conséquences.
Après quatre semaines ce fut clair que ces changements ne signeraient pas la fin du monde, mais seraient au contraire une amélioration pour la ville et l’environnement.

Xavier Selva (4ème) – Le premier point fort réside dans le thème lui-même. L’enquête menée dans cet univers des sables bitumineux est ce qui m’aura motivé tout au long de l’expérience. Je trouve malin de nous avoir attiré dans cette thématique, et cette question de société, par le biais du jeu. Quoique simplistes, les énigmes, le principe de recherche d’indices se sont révélés addictifs.

Relier les actions des joueurs à l’évolution de la ville virtuelle est aussi une bonne idée pour maintenir le lien et pousser à revenir. L’aspect social est également un atout, ce sentiment d’appartenir à une communauté mondiale – même virtuelle – était grisant. On avait l’impression de retrouver des amis en ligne à force de lire les commentaires des mêmes personnes. Enfin, le principe de concours et de collecte de points est une excellente idée puisqu’elle contribue à créer cette émulation addictive. Sans l’enjeu de classement, je n’aurais sans doute pas été assidu !

FortMcMoney_00Christa Daimer (6ème) – J’ai apprécié le fait d’obtenir des informations à propos de « Fort McMoney » [sic] et l’expansion excessive de l’exploitation des sables bitumineux. Je ne savais pas que la destruction était de cette ampleur et j’ai appris beaucoup grâce au site.

J’ai aimé la diversité des joueurs [re-sic] que l’on peut interviewer en prenant des chemins très différents. J’ai aussi apprécié les discussions et les débats que l’interface a générés.

Paul Price (5ème) – Vers la fin de la première semaine de jeu (le vendredi), j’ai lu un papier dans Le Monde. C’était une surprise et une coïncidence de voir traitée une problématique canadienne. Il a suffi d’un instant pour que je sois accroché par le principe. « Fort McMoney » a combiné un ensemble de mondes, pour moi et plein d’autres personnes. Je suis un « homme du nord », qui a travaillé pendant 20 ans dans la partie arctique du Canada, même si depuis plus de dix ans maintenant, j’ai vécu en Allemagne et en Autriche.

Tout au long des quatre semaines, des questions sur la pauvreté et les privilèges se posaient à travers l’interface ; la question « A qui notre futur appartient ? » prenait une résonance particulière. Je n’ai pas décroché pendant les 4 semaines !

Pascal Henrard (9ème) – Le sujet m’a tout de suite intéressé. D’actualité, inquiétant, complexe, interpelant. Ensuite, la possibilité de fouiller en profondeur les divers acteurs de cette industrie, de rencontrer les habitants de toute une région, de « sentir » l’esprit de cette ville hors normes a été très stimulant.

Olivier Brunet (2ème) – D’abord, le choix du sujet et la cohérence du traitement « webdoc » au long cours. Ensuite, la qualité visuelle, et la progression narrative interactive.

DASHBOARDA l’inverse, quels points négatifs ont pesé sur votre expérience de jeu ? En termes de mécanique de jeu, notamment ?

Günter Klenetz – Pendant le déroulement du jeu, l’interface plante souvent, du coup on doit sans cesse recommencer au début ou rallumer afin de continuer plus loin dans le jeu.

Xavier Selva – Le point noir, qui aurait dû être rédhibitoire, ce sont les bugs incessants, les difficultés de chargement, l’obligation de redémarrer régulièrement, cette impression désagréable d’avoir une Maserati avec un moteur de 104… Par moment, j’ai détesté David Dufresne, à force de tourner en rond, de ne pas savoir si cela relevait du bug ou de mon incompétence.

Par ailleurs, je regrette que l’obtention des points ait été reliée entièrement à la participation sociale. Il était tentant de liker à tout va, surtout quand le jeu semblait bloqué.

Christa Daimer – Le jeu avait quelques défauts, comme l’inaccessibilité à plusieurs endroits (le restaurant du Fuel, le musée de la découverte, la visite de la maison…). Le système « calait » souvent aussi, et il fallait relancer le site de manière répétitive.

Paul Price – La faiblesse du jeu, c’était finalement sa sophistication. Cela peut être aussi un argument, autant positif que négatif, car c’était aussi sa force d’encourager l’action des joueurs.

Pascal Henrard – Les bogues ont été le premier frein. Il fallait avoir du temps devant soi pour réussir à vivre toute l’expérience dans son ensemble. Ensuite, la complexité à rejoindre certains indices et à passer certains niveaux était presque redhibitoire. On ne savait pas toujours où on en était. Tout le monde n’a pas tant de temps à consacrer à une expérience, tout aussi passionnante et intéressante soit-elle.

Olivier Brunet – J’ai été surpris par la quantité de bugs et l’amateurisme relatif de la programmation qui ne semblait pas les avoir anticipés. L’application pour iPad n’existait pas non plus, bien qu’annoncée. Mais compte-tenu du budget global, et de l’essuyage de plâtre [sic], c’était probablement inévitable. La dimension ludique était surtout intéressante pour la progression dans la découverte. Pour le reste, le décompte des points etc., c’était négligeable. Et la dernière semaine fut en cela très décevante. Mais pas assez pour entamer mon enthousiasme général.

FortMcMoney_09En termes documentaire ?

Xavier Selva – Rien à redire sur le documentaire si ce n’est qu’une version linéaire diffusée sur Arte n’aurait pas fait moins d’audience. Ce sont là les limites de l’exercice, on peut regretter que même avec un joli succès, l’audience reste très relative. Pour autant, j’ai appris énormément de choses, et comme je n’ai pas la télé, je n’aurais manifestement pas vu le documentaire TV.

Christa Daimer – J’ai aimé la partie documentaire du jeu, ainsi que les arguments des « pour » et des « contre » sur chacun des sujets abordés dans les médias, notamment dans The Globe and Mail.

Paul Price – J’ai senti que le point de vue du documentaire aurait pu être moins étroit [traduction de « parochial » dans la réponse originale] et contenir davantage d’apports [« inputs »] français et allemand.

Pascal Henrard – L’impossibilité de partager directement des extraits, des infos concrètes avec notre réseau. Il y avait des images ou des infos chocs qu’on aurait eues envie de partager d’un clic.

Olivier Brunet – Rien à dire : excellent travail sur toute la ligne, passionnant, enrichissant « en profondeur » bien au delà d’un 52′ ou d’un 90′ classique. Le jeu créant une addiction très bénéfique, gratifiante, contrairement à bien d’autres programmes plus racoleurs dont l’addiction est vite salissante.

FortMcMoney_01En termes de participation ?

Xavier Selva – A aucun moment, je n’ai pensé que les votes vertueux puissent refléter l’opinion majoritaire réelle. L’expérience conforte les opinions d’un entre-soi, et je doute qu’elle éveille réellement les consciences. Malheureusement.

Christa Daimer – Cela m’a vraiment étonnée de voir combien de points pouvaient amasser certains débatteurs. J’ai noté, participant moi-même au jeu en Allemand et en Anglais, que les débatteurs français étaient de loin les plus actifs. Cependant, certains joueurs semblaient mettre des commentaires difficilement compréhensibles sur des débats en Allemand, laissant supposer que ces ajouts sans intérêt n’étaient faits que pour gagner des points. A l’avenir, il faudrait davantage relier les points au jeu ou au sujet.

Paul Price – L’interactivité et les forums étaient excellents. Je pouvais par exemple réfuter directement Margaret Wente (une éditorialiste du Globe and Mail) ! Mais une aide linguistique serait bienvenue (sur la même page ?). De plus, mon neveu va entrer à l’Imperial College de Londres à l’automne pour étudier l’ingénierie pétrolière… Il n’a pas accepté mon invitation à participer au jeu alors que cela l’aurait entrainé et nous aurait permis de nous confronter !

Pascal Henrard – J’ai eu la chance d’avoir du temps libre durant la période de jeu. Mais la participation est exigeante et il faut avoir l’esprit libre pour pouvoir s’y consacrer et en profiter pleinement.

Olivier Brunet – Vous voulez parler des débats ? Là, j’ai beaucoup de bémols, l’interface ne permettait pas réellement de débattre, juste de poster des commentaires individuels qui se perdaient vite dans la masse, sans aucun outil de recherche, de suivi, etc.

Et le prétexte de « changer le destin de la ville », les référendums, etc. était probablement performant pour vendre le projet et faire parler de lui (tant mieux), mais s’est révélé assez vite accessoire, superficiel, sans réelle pertinence. En revanche, c’est l’un des meilleurs documentaires de sensibilisation politique qu’il m’ait été donné de voir. Et ce, sans que le point de vue [souligné par l’auteur] fasse défaut.

FortMcMoney_02Y a-t-il d’autres exemples de narration interactive qui vous semblent plus abouties que « Fort McMoney » ?

Xavier Selva – Dans les jeux, sans doute. Sinon, j’ai découvert aujourd’hui Emilie qui pousse assez loin l’interactivité mais c’est une comédie.

Christa Daimer – Je ne peux pas vraiment répondre à cette question car « Fort McMoney » est le premier et seul jeu interactif auquel j’ai joué.

Pascal Henrard – J’ai peu l’occasion et le temps de fréquenter ce genre de projet.

Olivier Brunet – J’avais bien aimé « Prison Valley », mais la dimension interactive était moins développée. On y retrouvait les photos fixes qui font aussi le charme de « Fort McMoney ». Je ne connais pas d’autres programmes ayant utilisé les routines, même rudimentaires, des jeux vidéo.

fmmQui êtes-vous ? Travaillez-vous dans l’audiovisuel, le jeu vidéo, le web ? Connaissez-vous bien les mécaniques de jeu ou êtes-vous plutôt novices ?

Günter Klenetz – C’est la première fois que je joue à quelque chose d’interactif et c’est mon premier jeu sur ordinateur ou Internet.

Xavier Selva – Je travaille dans l’audiovisuel et m’approche du web. Je suis d’abord allé vers « Fort McMoney » pour des raisons professionnelles, mais je me suis laissé prendre au jeu ! Je ne connais rien aux jeux, j’ai toujours une Sega Megadrive et une Playstation, mais je n’ai jamais terminé aucun des jeux 😉

Christa Daimer – Je suis une parfaite débutante en jeu vidéo, j’ai participé parce que j’étais intéressée par le sujet du documentaire.

Paul Price – Je n’ai absolument aucune expérience dans l’audiovisuel, le jeu ou le web. Je suis ophtalmologue et peintre (surtout de paysages). J’ai passé 20 ans de ma vie dans le Labrador, au nord-est du Canada.

Pascal Henrard – J’ai peu l’occasion et le temps de fréquenter ce genre de projet. Je suis auteur de livres, essentiellement pour la jeunesse, scénariste de documentaires et de télévision, chroniqueur d’humeur et d’opinion. Je m’intéresse à tout ce qui est nouveau, mais je suis plutôt novice dans ce domaine. J’ai participé au lancement de « Fort McMoney » en tant que collaborateur, rédacteur. Je travaille régulièrement avec l’équipe de création de Toxa et l’ONF. Je connaissais donc pas mal de choses du projet avant son lancement.

Olivier Brunet – Je suis moi-même réalisateur de documentaires. Je ne suis pas du tout un gamer, je me contente de regarder parfois mes enfants jouer à GTA etc. sans les envier particulièrement… Je suis sceptique sur la question des web-docs et de l’interactivité en général, mais « Fort McMoney » a réussi la performance de ne pas me dissuader d’avancer malgré l’interactivité, car le réalisateur à conservé une partie de ses prérogatives narratives, et ça c’est très malin. J’ai eu le sentiment de regarder une série documentaire haletante sur 4 semaines sans aucune contrainte horaire de diffusion.

Propos recueillis par Nicolas Bole et Mathilde Benignus

Plus loin

« Fort McMoney » : présentation du jeu documentaire

6 Comments

  1. Bonjour à tous,

    Alors, ça, voilà qui est passionnant à lire. Un grand merci à vous tous, valeureux joueurs, d’avoir passé tant d’heures, parfois plus d’une dizaine (1), sur Fort McMoney et pris maintenant le temps de répondre longuement.

    Je tenais à vous rassurer: 90% des bugs ont été terrassés pour la partie 2, qui commence lundi. La version iPad arrive en mars aussi. Des ajustements ont été effectués, exactement ceux que vous appelez légitimement de vos vœux. Mauvaise nouvelle pour certains d’entre vous: vous ne pourrez plus gonfler artificiellement vos points 🙂

    Blague à part: grâce à vous, Fort McMoney a dépassé – vraiment – nos espoirs les plus fous. Vous en avez fait une œuvre vivante et pris d’assaut la ville et ses enjeux.

    Merci encore
    David Dufresne, pour toute la (folle) équipe de Fort McMoney

    PS: on vous attend, lundi. Vous retrouverez vos logins, mais plus vos points. Sinon, ce ne serait pas du jeu 🙂

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