Cette édition du Sunny Side s’est révélée importante à plus d’un titre. D’abord pour la manifestation elle-même qui craignait que la concurrence du festival de Sheffield qui s’était déplacé de novembre à juin ne lui porte un réel préjudice. Il n’en a rien été puisque le rendez-vous de La Rochelle a au contraire rassemblé un nombre très important de participants et de décideurs. Plus encore, la nature de ces représentations était particulièrement intéressante. En effet, la stratégie visionnaire d’Yves Jeanneau, le commissaire général, consistant à mondialiser le Sunny Side vers l’Amérique du Sud avec le Latin Side et vers l’Asie avec l’Asian Side en créant ces deux rendez-vous très suivis au cours de l’hiver, a porté des fruits en retour d’une façon spectaculaire (80 représentants des télévisions d’Asie et 60 d’Amérique latine).

La forte présence asiatique a été un petit événement car faire venir autant de producteurs et diffuseurs chinois, japonais, coréens, c’est aussi faire découvrir aux producteurs français des mondes qu’ils connaissent mal, mais qui constituent un potentiel de partenariats très puissant (la Chine compte cinq chaînes exclusivement consacrées au documentaire), y compris pour des films d’auteur. Une évolution se fait en effet sentir sur le marché international du documentaire dans le sens d’une coexistence de programmes fédérateurs autour de recettes connues (primauté du sujet, investigation coup de poing, sujets spectaculaires, « specialist factual », etc.) avec des films beaucoup plus singuliers sur des sujets de société que l’on pensait exclus pour ces marchés. Un film coréen coproduit avec la NHK en est une parfaite illustration ; « Here comes Uncle Joe » a comme parti de partager le quotidien de la vie d’un marchand ambulant qui parcourt des villages isolés pour apporter non seulement des denrées mais du lien social et des relations essentielles avec les habitants. Il était présenté au Sunny Side dans la catégorie des « talents de moins de trente ans ».

Assez paradoxalement, on entrevoit donc une situation dans laquelle une partie émergente du marché international se révèlerait plus aventureuse que certaines chaines françaises. Le film documentaire à l’international semble ainsi sur la voie d’une maturité et d’une complexité en termes de contenu qui bouscule quelques idées reçues. Ce début d’évolution de la demande des chaînes du monde entier pour plus de singularité, plus de regard personnel, plus de dimension cinématographique est un des constats en forme de mutation en cours que la manifestation de La Rochelle a permis de faire.
Cela dit, les coproductions internationales ne sont encore que dans une phase de lente reprise et ce sont les financements internes qui demeurent les moteurs de la production.

Le nombre de producteurs français a toujours été évidemment important au Sunny Side mais il était frappant de rencontrer cette année de jeunes producteurs dont la venue était une première participation, un nombre croissant de représentants des pôles audiovisuels régionaux, des producteurs de toutes les régions et de plus en plus de réalisateurs. C’est qu’au-delà de sa dimension de marché, la rencontre de La Rochelle s’est faite l’écho du considérable mouvement qui marque le documentaire depuis quelques mois ; le rapport du ROD, la mission confiée par le ministre de la Culture, les positionnements multiples que cette mission suscite — ainsi de L’état des lieux du documentaire rendu public par la SCAM au cours du Sunny Side —, les approches plus finement documentées de la presse, sont autant de signes d’un tournant fondamental qui marque ce genre préféré des téléspectateurs [sondage IFOP/SCAM]. Même s’ils ne le regardent pas forcément beaucoup, les spectateurs veulent en effet le voir exister fortement. C’est un des enseignements en forme de paradoxe de ces analyses.

À côté de cette prise de conscience, qui est finalement le reflet de la demande du public pour autre chose que du divertissement à la télévision et au cinéma, les positions des chaînes hertziennes en France, totalement stressées par la recherche d’audience apparaissent comme des combats d’arrière garde. Rechercher son salut du côté de la « magasination » des documentaires, de la primauté du sujet sur le regard, de la facilité sous toutes ses formes reste une tendance de notre télévision. La conférence de presse de France Télévision, qui a fait salle comble et consterné une partie de l’auditoire, en a été une illustration. Même s’il faudrait nuancer ce propos selon les antennes, les chaînes du groupe FTV restent fidèles à une forme d’enfermement conceptuel dans cette logique d’audience primaire avant tout [audience primaire que celle de l’écran du jour par rapport à une audience secondaire qui inclut la télé de rattrapage, la VàD, le DVD, les exploitations dérivées institutionnelles].
ARTE, plus discrète en communication mais à l’inverse porteuse d’annonces intéressantes, (déjeuner de presse de Vincent Meslet, intervention publique de Véronique Cayla) fait naître l’espoir d’un retour vers les fondamentaux de la chaîne : retour du documentaire de société, renouvellement de l’offre de documentaire culturel, diffusion de documentaires de cinéma et d’auteur en prime time. La prudence reste de mise toutefois pour de multiples raisons connues — dont les contraintes du dispositif franco-allemand et l’éternelle recherche d’audience. Lire la suite sur www.film-documentaire.fr...

A. M. – La Rochelle – 30 juin 2011.

Les précisions du Blog documentaire

1. Le portail film-documentaire.fr est un espace de « promotion de l’identité du documentaire de création, de sa spécificité, de ses valeurs artistiques et cognitives propres ». Il propose notamment une base de données regroupant près de 30 000 films et recense 350 festivals. Le site informe également de l’actualité des auteurs, des films, et des enjeux collectifs (via notamment une lettre d’informations mensuelle).

2. Le prochain Latin Side of the docs se tiendra du 6 au 8 décembre 2011 à Buenos Aires. La 3e édition du Asian side of the docs se déroulera en mars 2012 à Singapour.

3. Quelques extraits de Here comes Uncle Joe (de Wooyoung Choi) présentés au Sunny Side 2011. Le projet a été distingué par les BIPS catégorie « talents de moins de 30 ans« , et sera appuyé par la SCAM à hauteur de 5 000 euros.

4. Retrouvez ici tous les résultats des BIPS 2011 (Best International Projects Showcase).

5. Vous pouvez aussi lire ici l’excellent Sunnymag #02.

6. Sachez enfin que le film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud Océans a reçu le prix du meilleur documentaire/Cinéma international. Apocalypse (de Isabelle Clarke, Daniel Costelle, Jean-Louis Guillaud et Henri de Turenne) a été la meilleure audience télévisée avec plus de 17 millions de téléspectateurs dans le monde.

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