Suite et fin de cet entretien-fleuve avec Boris Razon sur Le Blog documentaire ! Après David Carzon et ARTE France il y a quelques semaines, c’est l’autre grand diffuseur hexagonal – France Télévisions – que nous sommes allés rencontré.

Boris Razon y dirige le département « nouvelles écritures et transmédia » depuis la rentrée 2011. Il revient ici sur la question du financement des œuvres numériques, et développe également une réflexion théorique plus large sur le web comme une façon nouvelle de voir le monde

Boris Razon – © Nicolas Bole


Le Blog Documentaire : Question un peu polémique pour commencer ! Peut-on gagner de l’argent avec le webdoc aujourd’hui ?

Boris Razon : Ce n’est pas mon rôle aujourd’hui mais je pense qu’il pourra y avoir rentabilisation une fois que nous aurons identifié des logiques d’usages des internautes. Dès lors, on pourra y travailler, mais on en est encore loin.

Du coup, est-ce possible de se passer du CNC pour faire du webdoc ?

C’est compliqué mais c’est possible. Il est possible de s’appuyer sur d’autres acteurs, comme les diffuseurs (ARTE et nous), d’autres diffuseurs web même si les volumes sont moindres. Nous avions parlé des outils de crowdfunding. Il y a aussi une possibilité pour que certaines marques s’associent au financement de manière intelligente. Nous n’allons pas vers ça à France Télévisions, mais je n’ai pas d’opposition de principe.

Vous pensez que la position de principe du documentariste indépendant de toute forme de pression commerciale a vécu ?

On suit avant tout une démarche éditoriale : qui dit arrivée d’un annonceur ne dit pas nécessairement pression commerciale. Toute la particularité des médias, c’est qu’ils produisent des contenus qui agrègent de l’audience et qu’ils peuvent intéresser des sociétés qui vendent des produits ou des services. En revanche, il n’est pas négociable que la démarche éditoriale préexiste obligatoirement à la logique commerciale. C’est un point non discutable. Mais les marques peuvent en revanche s’y associer.

Que faudrait-il pour faire vivre l’écosystème du webdoc actuellement ?

Je crois que nous faisons vivre un écosystème. L’enjeu pour moi est simple : on est en train de créer des programmes et des usages. A partir du moment où l’on crée des usages, on crée une rentabilité. C’est aussi simple que cela. Nous sommes encore, à France Télévisions, dans la phase de structuration de l’offre numérique. Notre rôle est celui d’être pilote, pour trouver les cadres et les paradigmes d’une expérience nouvelle de télévision. Mieux trouver son public, mieux rencontrer les usages, c’est le meilleur moyen de rencontrer la rentabilité.

Quel est le budget 2012 de votre département nouvelles écritures et transmédia ?

Le budget du département création nouvelles écritures s’élève à 1,2 million d’euros en 2012. Pour le transmédia, l’enveloppe est de 3 millions d’euros, tous programmes confondus (fiction, documentaire, jeunesse…).

Et pour 2013 ?

Je n’en ai encore aucune idée. Comme vous vous en doutez, la conjoncture est difficile…

Diriez-vous que vous jouissez d’une grande liberté pour innover au sein de France Télévisions ?

Oui, mais vous savez, la grande liberté est une condition essentielle de l’innovation. Cela a toujours été le cas dans l’univers du web. La meilleure manière de progresser, c’est de tenter et parfois de se planter.

Ce n’est pas vraiment la logique de la télé, ça !

Non, c’est vrai. Mais il vaut mieux faire et rater que de ne pas faire.

Cela veut-il dire que les « nouveaux médias » vont finir par supplanter les « anciens » ?

L’histoire des médias est claire : jamais un média ne s’est substitué à un autre. Il s’y ajoute. Cela dit, la rapidité de pénétration d’un média comme le téléphone mobile ne s’est jamais vue. Cette arrivée stupéfiante du web sur les mobiles génère des usages.

Justement, comment trouvez-vous les axes de développement et d’innovation ?

Nous faisons un travail de veille important : on participe aux festivals, on voit beaucoup de projets. Mon sentiment, c’est que les usages sont là. Notre boulot, c’est d’identifier et de rencontrer ces usages. Je sais par exemple que nous allons développer une websérie car il y a un usage sur lequel travailler. Nous cherchons aussi sur la fiction le moyen d’expérimenter.

Quels usages avez-vous identifié sur lesquels il faudrait travailler ?

Le nombre de données échangées sur Facebook et Twitter, par exemple, est sidérant. Mais ce fait n’a été que très peu intégré jusqu’à présent dans une logique narrative : on devrait le faire… on va sûrement le faire ! De la même manière, il faut trouver le programme qui va utiliser le téléphone portable, le live (sur Pluzz) ou le replay, tous ces usages qui se sont développés.

Le web inclut-il un nouveau rapport au monde ?

Oui. Je n’ai aucun doute sur le fait que la bascule numérique constitue une vraie rupture intellectuelle. Je suis convaincu que c’est de la nature de la révolution de l’imprimé, même si je n’aime pas le mot de révolution. C’est une rupture civilisationnelle. Des usages vont se rencontrer : il n’y aura ni fusion, ni disparition, mais hybridation et spécificités des usages selon les médias.

Un mot enfin sur les programmes à venir, et d’abord l’accord que France Télévisions a passé avec l’ONF…

Oui, nous avons signé un accord avec l’ONF pour réaliser 2 coproductions avec eux d’ici à 2014. On commence déjà à travailler sur la première.

Il s’agit de coproductions sur le même modèle qu’ARTE, avec un leader sur chaque projet ? (voir l’entretien avec David Carzon)

Oui. C’est un grand plaisir de travailler avec eux ; on apprend beaucoup à leurs côtés.

Quelle est l’actualité de France Télévisions dans les semaines qui viennent ?

Le projet réalisé par Jean-Christophe Ribot, B4, fenêtres sur tour, vient de sortir.

Nous préparons une production transmédia intitulé Nos guerres d’Algérie, qui propose photos, vidéo et sons et qui accompagne le documentaire diffusé sur France 3. Nous travaillons aussi sur un gros projet avec Laetitia Masson pour la rentrée de septembre : le projet se situe à mi-chemin entre le webdocumentaire et la fiction, qui tient une grande part avec plus de 30 minutes produites. Elodie Bouchez et André Wims (aperçu dans Le Havre, de Aki Kaurismaki) y participent notamment. Le projet est très expérimental en termes de navigation.

Nous travaillons sur plusieurs projets « magazine », et sur la fiction participative Anarchy, qui sera doublée soit d’une fiction soit d’un magazine proposé à l’antenne.

Un projet sur tablette a paru en juin : Les 4 saisons d’Antoine, un programme jeunesse avec Pierre Richard. Nous avons développé une application transmédia autour de la diffusion d’une captation de concert le 17 juin dernier sur France 3.

Enfin, nous sommes toujours en train de réfléchir les usages récurrents de l’internet mobile, de Pluzz ou de Francetv.info pour expérimenter de nouveaux projets.

Propos recueillis par Nicolas Bole

Plus loin

Doc/webdoc : Synthèse subjective du Sunny Side

Boris Razon – La production web chez France TV #1

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David Carzon – La production web chez ARTE #1

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David Carzon  La production web chez ARTE #3

Webdocu Actu : B4, fenêtres sur tour (J-C. Ribot)