Déjà primé au festival Cinéma du Réel 2011 et sélectionné au Hotdocs Film Festival de Toronto ou encore au Dok-Fest de Munich, Koundi et le Jeudi national sera présenté aux états généraux du film documentaire de Lussas. Séances prévues lundi 22 août à 21 h et mardi 23 août à 15 h dans la section  » Lumières d’Afrique n°2 ».


C’est dimanche, jour de la réunion du village à Koundi, petite localité de 1 200 habitants située à l’Ouest du Cameroun. Au menu des débats, la création d’un futur « champ communautaire » de cacao. Il s’agit de prévenir l’éventuelle suppression par le gouvernement central de la licence d’exploitation forestière dont le village tire l’essentiel de ses revenus. Face à cette menace, les habitants s’organisent et décident d’instituer un « jeudi national » mensuel au cours duquel les hommes devront dédier leur temps de travail à ce projet coopératif. « La forêt peut s’arrêter, pas le cacao », dit-on.

L’ensemble du film, décliné en chapitres hebdomadaires du dimanche au samedi, est tendu par cette promesse narrative initiale. Porté par l’admirable photographie d’Isabelle Casez, le documentaire puise son énergie dans cette attente du jeudi national pour dresser le portrait quasi ethnographique d’une communauté où le collectif l’emporte apparemment sur l’individu. En  creux et sans folklore sont abordés les problèmes quotidiens qui travaillent le village et qui tendent à fissurer son unité, notamment les rapports entre les sexes et la place des enfants au sein de la communauté.

Le lundi, la classe reprend. Le premier « sermon » du professeur qu’il nous est donné d’entendre dans une salle clairsemée concerne la nécessité des études. Les élèves qui ne rôdent jamais bien loin des piles de bois sont ici tentés d’aller glaner quelques billets en travaillant pour la petite industrie forestière locale. Les cours d’anglais, de théâtre ou de sexualité (« abstinence, fidélité, condom ! ») et les travaux manuels (fabriquer un piège à souris) ont du mal à retenir les enfants en cours. On apprendra ensuite à mots couverts qu’il arrive également au professeur d’être un peu trop entreprenant à l’égard de certaines de ses élèves.

Il n’y a pas que cet instituteur qui « fait le bordel » à Koundi. Mercredi, jour d’audience au tribunal coutumier, le juge doit statuer sur une affaire d’adultère compliquée. Tang estime en effet que sa femme est celle d’Alain et que celle d’Alain est la sienne. Il l’aurait corrompue pour aller au champ avec elle. Il sera donc condamné à une forte amende, et devra se séparer de son chien pour la payer.


(extrait)

Les relations entre les sexes reviennent régulièrement pimenter le documentaire, et parfois de manière cocasse. Les parentés sont « compliquées » à Koundi, où il n’est pas rare de faire des avances à sa propre sœur sans le savoir. Il y a aussi ceux qui préfèrent « retirer leur pied » d’une relation qui risque de les faire tourner fous. Il y a ceux qui conseillent aux mères d’affamer leurs grands enfants pour que ceux-ci aillent s’enquérir d’une femme. Et puis, il y a l’irrésistible attrait du bar local, la « Jet Set », qui menace l’harmonie de tous les ménages quand les hommes succombent à aller y boire leur paye au lieu de penser à leurs foyers. L’un des furtifs protagonistes du film, lui, n’a pas ce luxe : il tente de guérir son problème d’impuissance – ou de manque de chance – auprès de la guérisseuse du village, dont les racines de son ancestrale pratique poussent évidemment quelque part dans la forêt.

Les jours s’écoulent ainsi dans une certaine quiétude à Koundi. Les palabres informelles, les activités domestiques et les travaux dans la forêt accompagnent le spectateur dans la découverte de ce petit monde calme et clos, quasiment autarcique, qui se soigne et se nourrit grâce aux arbres séculaires qui l’entourent.

Jeudi national. On abat des troncs pour dessiner une clairière qui commence à laisser percevoir un peu du ciel camerounais. On envisage une cacaoyère de plusieurs hectares, mais il faudra quelques années pour obtenir la première récolte. Trois ans au moins. C’est un projet au long cours, mais l’investissement en vaut vraisemblablement la chandelle vu le prix auquel s’achètent et se vendent les fèves sur le marché.

Koundi et le jeudi national aura finalement profité de sa promesse initiale pour construire une paisible chronique villageoise, sans musique ni commentaire. Loin de la carte postale africaine, le film d’Ariane Astrid Atodji s’appuie sur les moments privilégiés que la réalisatrice a pu patiemment recueillir pendant ses trois semaines de tournage pour dépeindre par le détail une communauté prise dans un élan collectif qui vit par et pour sa forêt. Il demeurera peut-être un goût d’inachevé au spectateur, mais tout est en construction à Koundi, comme la filmographie de la réalisatrice. Elle délivre avec ce premier film une belle promesse de ce que celle-ci pourrait devenir.

Cédric Mal

Les précisions du Blog Documentaire

1. Cet article est initialement paru dans la revue Images documentaires, n°71/72, juin 2011.

2. Sélectionné dans de nombreux festivals (Toronto, Munich, Dubaï) et primé dans d’autres (Paris, Dortmund, Tarifa), Koundi et le jeudi national est visible sur Festivalscope. Vous pouvez aussi vous procurer le DVD du film sur Docnet.

3. Fiche technique :

Réalisation : Ariane Astrid Atodji.
Image : Isabelle Casez.
Son : Sebastian Kleinloh.
Montage : Mathilde Rousseau, Sebastian Winkels.
Production et distribution : Goethe-Institut Kamerun, 2010.
Vidéo, couleur, 86 min.

No Comments

  1. Bonjour, merci pour ce tres bel article. J´ai eu la chance de faire la caméra sur ce film et je voulais juste préciser l´othographe de mon nom : Isabelle Casez ( et non Casey !)
    En tout cas tres tres bel article, j´aurais aimé savoir comment a été reçu le film à Lussas?
    Ça fait tres plaisir que le film ait pu voyager dans le monde et en particulier à Lussas,
    Merci,

    Isabelle Casez

  2. Corrigé ! Mille excuses pour votre nom.
    Nous n’avons pas vu le film à Lussas, mais au festival « Cinéma du Réel » à Paris. Nous pouvons juste vous dire que la section « Lumières d’Afrique » a connu en Ardèche un vif succès!…

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