Le Blog documentaire partenaire de l’édition DVD du film d’Ania Szczepanska, « Nous filmons le peuple ! ». Comment des cinéastes polonais des années 70, formés et financés par l’Etat, ont-ils réussi à mener une critique ouverte du système communiste qu’ils étaient censés servir ? C’est tout l’enjeu de ce documentaire, dont nous vous offrons 5 exemplaires par tirage au sort. Pour participer, une seule adresse : leblogdocumentaire@gmail.com

10-NFP-full_lauriersLe film

« Cinéma de l’inquiétude morale ». La dénomination est bien peu avenante, mais elle désigne cette période faste du cinéma polonais, créative et subversive, qui s’étend des années 50 à la fin des années 80, précisément sous le régime communiste de l’après-guerre.

Ania Szczepanska, l’auteure et narratrice subjective du documentaire Nous filmons le peuple !, nous offre un regard sur cette époque en convoquant personnalités phares – cinéastes, hommes de pouvoir – et images extraites de films notables. Le défi qui se pose dès le début du documentaire – et la question que se pose l’auteure elle-même dans une sorte de quête personnelle, consiste à comprendre comment, sous le système verrouillé de la censure du Parti, des cinéastes ont su par leurs films exprimer une pensée contestataire malgré des contrôles permanents.

On saisit assez vite que faire du cinéma dans ces conditions répond d’une nécessité. Les images des cinéastes polonais témoignaient d’une volonté inextinguible de « rendre au peuple des images jusque là occultées », pour paraphraser l’auteure qui nous livre ici tout l’intérêt du titre de son film.

Des extraits de documentaires, de Zanussi ou Lozinski, et de fictions, comme L’Abécédaire de Wiszniewski ou L’Interrogatoire de Bugajski, fascinent par la force et la richesse expressives de leur cadre et de leur composition. Le plan d’une vieille dame exprimant sa colère dans une assemblée ou celui d’un homme courant essoufflé avec un drapeau qui virevolte devant nos yeux, attestent d’une tension certaine au sein de la société polonaise. Pourtant, la grande majorité des films étaient conçus selon les règles imposées par le Parti. Lorsque les cinéastes osaient contrer de façon explicite un système basé sur le mensonge et la propagande, les ennuis commençaient. La bureaucratie communiste, détentrice du pouvoir d’approuver ou non les films de cinéma et les programmes de télévision, pouvait décider à son gré qu’un propos trop audacieux ne resterait ni plus ni moins qu’un « film étagère ».

Par la ruse, parfois par le coup de gueule franc, et toujours avec audace, ces cinéastes ont appris avec le temps – et une certaine détermination – à jouer avec le langage de la censure. Justement à travers le langage de l’image : en manipulant des éléments équivoques, en jouant des ambiguïtés et des perceptions.

Sans verser dans le relativisme, il est évident que L’homme de marbre de Wajda ou le fabuleux Point de vue d’un gardien de nuit » de Kieslowski n’auraient pas ressemblé aux œuvres aiguisées qu’elles sont si la censure n’avait pas contraint les réalisateurs à rivaliser de subtilités pour la contourner. Le jeu du chat et de la souris, en somme. Où la souris se déguise en chat et passe incognito.

Bien sûr, ce n’est pas si simple. Et le film nous l’explique bien, dans toutes ses nuances. Les hommes de pouvoir au ministère de la Culture et au Film Polski – organe étatique chargé de la production et de la distribution du cinéma polonais –  n’étaient pas tous d’affreux censeurs, bêtes et méchants. Même si les restrictions étaient bien réelles et que des sujets sensibles n’étaient guère abordables, certains administrateurs avaient aussi à cœur de défendre et d’encourager la création. Les télévisions, elles, étaient moins conciliantes… Néanmoins les failles du système étatique offraient des perspectives et une liberté de tournage que nombre de cinéastes arrivaient à flairer. C’est d’ailleurs le documentaire, bien avant la fiction, qui a investi ces brèches en évoquant des problèmes sociaux qui n’avaient manifestement pas lieu d’être dans un Etat socialiste fondé sur la fraternité. La fiction, pour une grande partie, s’est inspirée de ces films. Ce n’est alors pas anodin que l’enquête de la réalisatrice commence au Studio des films documentaires de Varsovie, lieu où « l’histoire du cinéma polonais a commencé »…

Le DVD

Les bonus du DVD sont riches en approfondissements commentant à la fois le dispositif du film, dans la mise en scène des archives et la quête de la réalisatrice, et offrant quelques entretiens de plus pour prolonger les passages inclus dans le documentaire. Même si l’on peut regretter l’absence d’éléments abordant l’esthétique propre du cinéma polonais, le commentaire de la réalisatrice explique de façon approfondie le contexte social et historique de la Pologne communiste. La présence de l’archive inédite d’un discours très frontal de Kieslowski lors d’une réunion avec des représentants de la télévision est un véritable cadeau. Pure illustration d’une confrontation d’intérêts des documentaristes et cinéastes aux volontés inconciliables avec les approches de la télévision  ; « situation étrangement contemporaine », ironise la monteuse dans son commentaire. La construction du film est ainsi amplement décortiquée, ce qui nous permet de mieux en comprendre la démarche. Le tableau est exhaustif : du compositeur qui a conçu le thème musical pour les interludes du film aux « coulisses » de la rencontre avec Wajda, tout y est évoqué avec concision.

Le DVD du film est également accompagné d’un livret bilingue français-anglais d’une vingtaine de pages – peut-être un peu trop rapides mais alléchantes – dans lequel on trouve de petits textes sur la démarche de l’auteure, quelques affiches de films polonais, des informations sur l’inspiration qu’a été le Groupe X de Wajda – au cœur de la recherche académique de la réalisatrice également historienne du cinéma, une courte présentation des personnes interrogées dans le documentaire ainsi qu’une liste des films dont on aura vu les extraits. On peut également y lire la lettre de Gilles Jacob à Andrzej Wajda l’invitant à présenter son film L’homme de fer au festival de Cannes de 1981. Des documents qui permettent un large aperçu et qui donnent résolument envie d’en savoir plus.

L’illustration qui a été choisie pour l’affiche et le coffret DVD du film, représentant une figure d’homme enrubanné de pellicule, marque un clin d’œil aux affiches de l’Ecole polonaise. Son concepteur, Daniel Horowitz, explique la force figurative de ces affiches minimalistes. Tout en résonance avec un cinéma polonais qui, comme le dit Wajda lors d’un entretien, a appris à être imagé, indirect et symbolique.

Nous filmons le peuple ! est donc une mine d’informations pour découvrir un cinéma polonais inspirant, et une merveilleuse perche pour nous faire réfléchir à cet art de la contrainte persistant, où tout effort de création et de pensée se doit de déjouer les nécessités faussement pragmatiques imposées par les institutions.

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