Nouvelle rubrique sur Le Blog documentaire proposée par Emmanuelle Jay :« Questions de montage » revient sur la composition particulière de films qui posent questions, ou du moins qui provoquent la réflexion. Premier épisode ici avec « Cheveux rouges et café noir », un documentaire réalisé par Milena Bochet et monté par Karima Saidi. 

« Le montage cinématographique est un art aussi merveilleux qu’obscur.
Observer un monteur au travail est fascinant –
et, naturellement, les monteurs détestent qu’on les observe. »

Donald Westlake

En tant que monteuse, je suis souvent curieuse de savoir comment s’est passé le travail du réalisateur et de son monteur, en particulier lorsque je découvre des documentaires atypiques, ambitieux, brillants ou tout simplement des films coup de cœurs. 

Très concernée par la transmission et le partage d’expérience, je suis aussi bien placée pour savoir que le montage d’un film est un long processus. Les salles de montage renferment autant de cheminements, d’élaborations, d’expérimentations qu’il me semble intéressant de dévoiler.

 « Questions de montage » revient donc sur le travail de montage des films qui suscitent chez moi l’envie d’en savoir plus, ou sur ceux des personnes avec lesquelles j’aime travailler.

Pour ouvrir cette série, je suis allé interroger Milena Bochet, au sujet de son film Cheveux rouges et café noir que j’ai découvert lors des journées de la SCAM à Lussas. Intriguée par la construction assez peu narrative de son film, qui s’enracine plutôt dans une atmosphère et des personnages, je suis allée lui poser quelques questions….

Hermanovce. Slovaquie.
Un village rom au fond de la vallée. De vieilles baraques et de nouvelles en béton. Un esprit qui rôde. Celui de Vozarania. L’ancêtre qui continue à transmettre…de mère en fille. Quatre femmes Rom nous racontent leur quotidien à travers des gestes séculaires, au fil des mots qui voyagent à la frontière avec d’autres mondes… histoires de cheveux rouges et de café noir… transmission mais aussi oubli.

Réalisation: Milena Bochet
Montage : Karima Saidi
Production: Iota ProductionPerspective Films
56 min, Beta Digital, France, 2012.
VOSTF

Le Blog documentaire : Combien de temps de montage avez vous eu/pris pour votre film ? Et travaillez-vous toujours avec la même personne au montage ?

Milena Bochet : Nous avons eu 2 mois de montage image pour le film, pour 16 heures de rushes. J’ai travaillé pour la deuxième fois avec Karima Saidi. Elle a étudié à l’Insas dans la même école de cinéma que moi. Nous sommes devenues amies. Karima avait déjà travaillé pour mon film Vozar, tourné dans le même village rom. Je tourne aussi depuis longtemps avec le même caméraman, qui connaît bien maintenant le village. Cela fait 11 ans à peu près que je connais ce village. Les personnages du film font un peu partie de ma famille.

Comment avez-vous procédé au montage ? Avez-vous commencé par des séquences clés ou bien aviez-vous une idée d’une chronologie que vous avez suivie ?

Pour le montage, il y avait une ligne forte déjà présente dans l’écriture : le documentaire devait être hanté par l’esprit de Vozarania. Du coup, le film devait être ponctué par les séquences photos et super 8 qui évoquent la présence-absence de l’ancêtre. C’était le leitmotiv du film. Ces séquences super 8 devaient aussi progressivement s’accélérer et rendre de plus en plus  compte de l’étrangeté du personnage de la grand-mère. Dans ces séquences super 8, des éléments reviennent et s’entremêlent à d’autres nouveaux. Dans les souvenirs c’est ce qui arrive souvent… Quand on pense à quelqu’un disparu, des images restent, d’autres s’ajoutent et donnent une couleur différente à celles préexistantes.

Ensuite, j’ai procédé par un bout à bout de dialogues et de silences que j’ai collé sur le mur. Le film devait progresser sous forme de spirale (et non de diagonale). C’était ma volonté. La présence-absence de Vozarania qui revenait, permettait cette structure-là. Il fallait aussi un équilibre entre les 4 femmes. Un équilibre également entre l’ancien et le nouveau village. C’était un peu un travail d’équilibriste.

C’est très intéressant une forme de spirale, pouvez-vous nous en dire plus ?

La spirale est intéressante car elle puise dans la matière pour la transformer et progresser, puis elle repuise dans cette matière pour la triturer et avancer, et ainsi de suite… Il y a donc toujours quelque chose qui reste d’avant et quelque chose de nouveau qui s’ajoute. J’avais aussi envie que le film avance de manière organique. Que les choses naissent par elles-mêmes et non qu’elles soient pré-annoncées. Que la terre et la boue soient présentes aussi bien sûr.

Cheveux rouges et café noir – © Milena Bochet

Avez-vous l’habitude de travailler sur papier, ou sur un mur ?

Oui, je travaille assez souvent sur un mur. J’ai besoin de visualiser mes pensées, visualiser les séquences et la globalité du film. Aussi, j’aime bien d’abord travailler le son. Le son et les silences… Voir l’équilibre entre les deux… Considérer les moments où l’on doit respirer… C’est un peu comme une composition de musique.

Le film a-t-il connu plusieurs formes ou plusieurs grandes étapes ? 

Il y a eu effectivement plusieurs visions, notamment une étape plus dialoguée. Peu à peu, on a élagué, enlevé, éliminé, pour laisser respirer les images. Une séquence a été difficile à placer jusqu’à la fin, celle de la bible. Je voulais absolument qu’elle soit présente car elle raconte beaucoup de choses. La séquence de la nuit avec les enfants qui dorment et celle du réveil, dans une version précédente, arrivait trop tôt et avait moins de force car on ne connaissait pas encore les personnages… Cette séquence était de mon point de vue centrale, et on a dû lui trouver une place juste et adéquate pour qu’elle soit forte.

Que pouvez-vous dire de la narration de votre film ? J’ai eu l’impression d’être en immersion avec vos personnages, était-ce une volonté ? Comment s’est construit le récit ?

Pour ce qui est de l’immersion, de l’extrême proximité, c’était effectivement une volonté présente dès le tournage. Je voulais qu’on soit avec eux dans les cabanes. C’est un film sur la transmission, et la transmission passe par la voix, par les gestes, par les regards, et par la proximité. Je voulais être dans ces gestes, dans ces voix, dans ces yeux… Je ne voulais pas d’un film qui explique mais de personnes qui racontent, et qui se racontent. Le plus difficile pour moi a été la construction des premières minutes du film, notamment la présentation des personnages. Une fois qu’on était dans la nuit avec les enfants, je me sentais plus libre.

Emmanuelle Jay

No Comments

  1. Merci pour cet article sur un bien joli documentaire ! En espérant qu’il continuera d’être diffusé en France.

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  3. Pourquoi parler de montage image? Vous montez un film muet? C’est énervant.. Sally Menke (paix à son âme) était la chef-monteuse de Tarantino et non sa monteuse image. Il y a un chef-monteur et un monteur son.

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