Le Blog documentaire continue ses visites chez les producteurs « nouveaux médias » entamées avec Hans Lucas. Cette semaine, place à Corner Prod, alias Olivier Malaponti et Grégoire Beaumont, qui tentent avec passion, voire abnégation, de donner vie à de nouveaux projets web.

Olivier Malaponti / Grégoire Beaumont : La vie de bateau

Il y a mieux qu’une critique acerbe pour démarrer une relation entre un journaliste et un producteur : il y a quelques mois, j’égratignais R 97 – La Jeanne, un webdocumentaire sur le porte-hélicoptères du même nom. Beaux joueurs, leurs producteurs Olivier Malaponti et Grégoire Beaumont me reçoivent l’air de rien dans leurs locaux d’un Belleville authentique (comprenez : dans un pan du quartier encore foutraque que des plans d’urbanisme ne tarderont pas à transformer en terrain de jeu pour lecteurs de My Little Paris). Chez eux aussi, ça se transforme : le futur tout nouveau bureau de Corner Prod ruisselle encore sous la peinture et c’est chez les copains de palier d’Enfin Bref Productions qu’on se retrouve.

L’entraide entre voisins, mais aussi l’amitié sur les projets : un guide chez Corner. « On ne gagne rien avec le webdoc, mais ça nous plaît de travailler sur les projets qu’on choisit », confie Olivier. « On n’a pas envie de se placer au-dessus des réalisateurs », enquille Grégoire, pour qui les projets sont avant tout des envies de partage. Bon, évidemment, ça paraît marketé comme discours ; pourtant, là, dans la teneur de la discussion, il y a effectivement de cette connivence, de cet entre-potes qui ne ressemble pas à un entretien guindé avec réceptionniste, badge et Untel-va-venir-vous-chercher. On y croit.

Reste la question qui fâche, celle de R97 – La Jeanne ; un projet web que, sous mon regard critique, j’avais gentiment dézingué pour son manque de souffle narratif. Croisé rapidement quelques temps auparavant, Olivier m’avait dit « Le webdoc, c’est comme la boxe, il faudrait des catégories. Nous, on boxe en poids-plume, comparé à des UPIAN ou des Narrative ». J’avais trouvé l’argument recevable, je m’étais même dit qu’il fallait creuser un peu, savoir comment vivait une boîte qui tente de réaliser « environ un projet par an ».

La réponse ressemble, à part quelques notables exceptions, aux sons de cloche que l’on entend un peu partout dans le métier : « On se paie avec de l’institutionnel et de la création de sites web ». Sur le webdoc, les trois ou quatre projets par semaine qui arrivent sont autant de promesses d’heures de travail pour (presque) pas un rond. R 97 – La Jeanne fut effectivement mise à l’eau pour moins de 10 000 € en monnaie sonnante et trébuchante (mais de l’apport conséquent en industrie). « Mais on aime ça, sûrement parce que ça permet d’exercer plein de métiers différents » : là-dessus, les deux compères, qui en fait sont beaux-frères à l’état civil, ne se contrediront pas.

Grégoire est l’homme de la technique : il a traîné sa souris dans l’industrie avant de se faire happer par sa passion, le cinéma. Montage, image, jusqu’à une formation de steadycameur… et tout ça pour prendre le large avec Corner Prod, fondé il y a trois ans ! Olivier, lui, a tenu le statut d’homme-orchestre, l’autre nom du journaliste indépendant : touche-à-tout, il a aussi assisté à la vertigineuse dégringolade des conditions de travail dans le métier. « Le salaire, plutôt bon, que je touchais en débutant il y a dix ans est aujourd’hui celui d’un journaliste expérimenté… ». Sans parler de la précarisation rampante, qui pousse aujourd’hui nombre de journalistes… vers le webdoc. « La quasi totalité des projets que l’on reçoit émanent de journalistes, nous n’avons pour ainsi dire que de rares propositions de documentaristes », précisent-ils. Webdoc, planche de salut d’un métier à reconstruire ? On commence à gloser sur la liberté qu’offre le format, en comparaison aux cases microscopiques dans lesquelles les médias tentent de contorsionner les débutants. Olivier : « Oui, les journalistes voient le webdoc comme une opportunité, mais ils viennent simplement avec une idée et une demande : « Je voudrais mettre tout ça en webdoc ». Alors on bosse beaucoup dans l’écriture du projet, si bien sûr celui-ci a le potentiel pour être déployé sur le web ».

Alors Olivier, qui chapeaute l’éditorial, tire les ficelles à tout-va. Il y a chez le bonhomme un côté loup de mer qui n’abdique pas ; peut-être le fait qu’il ait travaillé plusieurs années pour la Radio de la Mer ? En tout cas, avec les moyens du bord, Corner Prod tente de se faire une place. Depuis un an, le projet La vie de château les anime : un squat parisien que deux jeunes réalisatrices sorties de l’ESJ ont… squatté, regardé, dont elles se sont imprégnées. Le résultat, en pitch, est prometteur : une architecture 360 avec rencontres des différents habitants, visite des étages qui chacun reflètent des thématiques différentes, une navigation interactive et immersive… Mais le CNC n’a pas suivi, et même si Le Monde.fr et Médecins du Monde ont dit banco, il manque encore une enveloppe conséquente pour finaliser le développement. Qu’à cela ne tienne, le travail continue : un volet radio 2.0 est même prévu…

On termine notre discussion autour de cette éternelle appellation « webdoc » : faut-il instaurer un peu de métriques dans tout ça ? La métaphore de la boxe revient sur le ring, et nous tombons d’accord pour dire qu’il y a de la place pour chacun. Certes, Olivier et Grégoire savent qu’ils n’ont pas encore l’assise de ceux qui font déjà référence ; leurs projets n’ont pas la prétention de révolutionner le monde du webdoc, mais ils appartiennent à cette catégorie, plus modeste, des projets qui partent avant tout d’un sujet « coup de cœur » (dixit Olivier). Et il suffit de reparler « projets » pour que le baromètre de l’enthousiasme regrimpe en flèche : le dernier-né propose une traversée de la Belgique sur la ligne de démarcation linguistique entre Wallons et Flamands. Olivier me montre, comme à un acolyte, le dossier ; le bougre sait donner envie d’en savoir plus.

Au moment de repartir, je n’ai certes pas changé d’avis sur R 97 – La Jeanne… mais j’ai pu voir combien le projet les avait motivés, et comment ils avaient pu lui donner une visibilité. Olivier me glisse, avant le départ, «Tu sais, R 97 – La Jeanne était diffusée sur L’Express, mais aussi et surtout sur Le Télégramme. Eh bien, le webdoc a bien mieux marché dans le quotidien breton que sur L’Express. Parce que notre but, c’est d’aller chercher l’audience là où elle se trouve ; c’est un vrai boulot, qui consiste aussi à connaître le public pour lequel est fait le programme ». C’est marrant, j’ai déjà entendu ce précepte lorsque je suis allé rencontrer David Carzon d’ARTE : comme quoi, poids-plume ou poids lourds, les objectifs peuvent être les mêmes…

Nicolas Bole

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