Comment se sent-on quelques heures seulement après la mise en ligne de son webdoc? Le Blog documentaire est allé poser la question à Samuel Picas et Cyril Bérard, réalisateurs de « Le Duce Vita« , une saisissante plongée à Predappio, terre natale de Benito Mussolini. Exténués et heureux, ils se sont confiés à Sibel Ceylan.

Dans les mails échangés avec Samuel Picas et Cyril Bérard, les deux réalisateurs du webdocumentaire « La Duce Vita », quelques jours avant sa mise en ligne, je ressentais déjà le stress et la tension qui habitent les réalisateurs au moment où leur projet se trouve sur le point d’être livré au public et ne leur appartient presque déjà plus.

Nous nous donnons donc rendez-vous dans les bureaux de la société qui a produit le webdoc, Darjeeling, au lendemain de sa mise en ligne. Ils me préviennent immédiatement : « Désolé pour le bazar, on a fêté la mise en ligne hier soir ! ». Effectivement, un des bureaux s’était transformé en bar, des gobelets en cendriers, et les bouteilles vides témoignaient de la réussite d’un projet né en avril 2010. Fatigués mais heureux d’avoir vu leur projet aboutir, ils m’expliquent s’intéresser plus au sujet qu’au format : « Tout est parti d’un petit article de journal qui évoquait la ville natale de Mussolini, et qui titrait Predappio, le paradis des fascistes. On a tout de suite senti qu’il y avait un sujet à explorer. Nous sommes partis 10 jours là-bas et nous sommes revenus avec des enregistrements et des photos, près pour commencer notre webdocumentaire. »

Le village de Predappio intéresse les médias trois fois par an, lorsqu’il devient lieu de pèlerinage pour nostalgiques du Duce : pour la commémoration de la Marche sur Rome, pour la naissance et la mort de Mussolini. Au-delà des ces trois évènements annuels, Samuel et Cyril ont cherché à savoir comment vivaient les gens de cette petite ville de 6000 habitants. Le regard des deux documentaristes se pose sur le quotidien des predappiesi.  Comment vivent-ils ? Sont-ils tous fascistes ? Comment réagissent-ils à ces trois évènements qui rythment l’année ? « Nous sommes partis trois fois un mois, et à chaque fois, nous avons été très bien accueillis. L’hospitalité de la région romagnole est légendaire ! Et puis, les gens étaient vraiment heureux qu’on s’intéresse à eux et à leur quotidien au-delà du folklore fasciste ».

L’idée du webdocumentaire s’impose presque naturellement pour un sujet aussi complexe que le fascisme italien : « Un documentaire linéaire n’aurait pas pu faire ressortir tous les enjeux du sujet. Pour nous, le web était le meilleur moyen de faire vivre le village. Nous voulions placer l’internaute au cœur de Predappio et lui laisser la liberté d’aller à la rencontre des habitants. Tout simplement parce que c’est de cette manière que nous avons vécu à Predappio. »

En effet, l’internaute peut découvrir la vie des villageois : partir à la chasse au sanglier, observer le minutieux travail d’un barbier, passer une soirée dans un bar-restaurant typique en compagnie des chanteurs venus animer le repas, assister à un atelier de chant dans une classe de maternelle… Tous ces instants de vie gravitent autour de la trame narrative principale. La Duce Vita est une pièce en trois actes.

L’internaute doit suivre l’ordre des épisodes pour en découvrir la suite. Un choix narratif appréciable qui a le mérite de plonger effectivement l’internaute au cœur du village et de l’inciter à rester un peu plus en compagnie de son personnage principal, à savoir le maire de Predappio. Pour répondre aux éventuelles interrogations de l’internaute sur le fascisme en Italie aujourd’hui, les vidéos sont enrichies d’interviews avec des historiens, des philosophes, des hommes politiques originaires de la région d’Émilie-Romagne. Malheureusement, ces éclairages nécessaires ne durent que quelques minutes et auraient peut-être mérités une place plus significative dans le dispositif.

Mais revenons à nos deux réalisateurs et aux moments qui ont précédé la mise en ligne du webdocumentaire : « La semaine qui précède une diffusion, on mange des pizzas, on fume beaucoup de cigarettes et on dort de 4h à 8h. On a travaillé à 10 sur ce webdocumentaire. Forcément parfois on débattait pendant deux heures pour savoir si oui ou non il fallait garder une séquence, avant de finalement tous tomber d’accord sur la solution adéquate. Tout cela est très positif, on a changé quelques petites choses les derniers jours, mais nous sommes  vraiment contents du résultat car il ressemble au village de Predappio. Il faudrait le revoir dans quelques jours avec du recul ; là c’est encore trop tôt. Nous allons projeter une version linéaire de 40 minutes le 17 novembre à Predappio, devant tous les gens que nous avons filmés. Je crois que cela va être encore plus angoissant que la mise en ligne ».

Quant à la diffusion à Paris, elle est déjà prévue le jeudi 22 novembre au Centre culturel italien. Une belle occasion de réconcilier webdocumentaire et documentaire, deux formats que les réalisateurs de La Duce Vita n’opposent pas. Les deux auteurs concluent : « Il ne s’agit pas de faire un webdocumentaire pour faire un webdocumentaire, mais parce que le sujet s’y prête. Nous sommes ouverts à tous types de formats pourvu qu’ils ne viennent pas prendre la place du sujet. »

Sibel Ceylan

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