Ce n’est pas un simple cadeau de fin d’année, mais bien une petite révolution à l’initiative de la SCAM que nous saluons ici sur Le Blog documentaire…  Les premiers droits d’auteurs pour des « oeuvres web » viennent d’être versés pour des programmes d’ordre documentaire diffusés sur les sites de France Télévisions, ARTE et Radio France. Et ce n’est pas qu’une question d’argent…
Présentation par Guillaume Thoulon, juriste à la SCAM (article initialement publié dans Astérisque) et point de vue signé David Dufresne, auteur et réalisateur.

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What’s up webdoc ?

Si Le webdoc existe-t-il ? est le titre de l’excellent ouvrage de Nicolas Bole et de Cédric Mal, à la SCAM, cette question ne se pose pas, du moins elle ne se pose plus. Le web-documentaire existe bel et bien et il s’inscrit parfaitement dans le répertoire de la SCAM. Il est le fruit de plusieurs genres d’expression (son, texte, image animée ou fixe), tous gérés par la SCAM et que les auteurs peuvent lui déclarer pour percevoir leurs droits. Le webdoc implique donc l’utilisation d’un contenu multimédia qui, par divers procédés interactifs, va permettre à l’internaute de naviguer dans l’œuvre. Le webdoc peut être qualifié juridiquement d’œuvre multimédia interactive.

Cette qualification d’œuvre protégeable par le droit d’auteur n’est plus à démontrer car il est le fruit d’une réelle création de la part de son (ou ses) auteur(s) et d’une originalité évidente par une écriture toujours différente n’utilisant jamais les mêmes codes. Le spectateur qui devient alors acteur peut découvrir l’œuvre en empruntant divers chemins au détour desquels il devra faire des choix qui pourront influer, ou pas, la suite de son parcours. Ses points forts sont sa richesse et son attractivité.

La narration peut être délinéarisée, il y a alors un point de départ et un point d’arrivée avec d’innombrables parcours, ou bien évolutionniste, c’est-à-dire avec un point de départ mais sans point d’arrivée. Au-delà même du propos, aucun web-documentaire n’est semblable à un autre par sa construction, raison pour laquelle il est très difficile de les catégoriser ou de prétendre en dresser une typologie exhaustive.

La pluralité de contributions et de métiers collaborant à la création d’une œuvre interactive ne permet pas toujours d’identifier clairement les auteurs. Il existe des divergences entre des mondes professionnels qui s’ignorent : informatique, édition, audiovisuel, communication, journalisme, photographie… La distinction entre le savoir-faire technique et le travail de création est parfois difficile à établir. Le web-documentaire constitue le point de rencontre de ces différents métiers.

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Type:Rider – Prix SCAM des nouvelles écritures 2014

La qualité d’auteur de l’œuvre interactive est attribuée aux personnes physiques dont l’apport revêt un caractère déterminant pour l’identité de l’œuvre appréciée dans son ensemble. Les coauteurs effectuent un apport créatif à l’ensemble de l’œuvre, la marquant de leur empreinte et de leur personnalité. Cela n’empêche en rien que d’autres contributeurs participent ponctuellement à la création de l’œuvre, sans pour autant se prévaloir de la qualité d’auteur, car n’y contribuant pas de manière substantielle.

La SCAM a toujours été attentive à l’appropriation de nouvelles technologies par les auteurs, débouchant sur de nouvelles écritures et de nouveaux usages des œuvres de son répertoire. Une commission composée d’auteurs est d’ailleurs spécialement dédiée à ces œuvres. Appelée « Commission des nouvelles technologies » puis « des arts numériques », elle s’est transformée depuis peu en « Commission des écritures et formes émergentes », s’attelant ainsi à correspondre au mieux à ce foisonnement de nouvelles formes d’écritures. Sa mission, en plus de l’action culturelle, est de mener une réflexion sur ce répertoire, d’observer les pratiques et les usages transmédias de la profession. Elle a ainsi permis la mise en place d’un nouveau bulletin de déclaration propre aux œuvres interactives. Depuis 2012, les auteurs de ces œuvres peuvent ainsi les déclarer à la SCAM en utilisant ce bulletin. Comme pour une déclaration d’œuvre audiovisuelle, la répartition des droits entre les coauteurs se fait de gré à gré.

L’intérêt de déclarer une œuvre à la SCAM est de percevoir ses droits d’auteur. En matière de web-documentaires, l’auteur est rémunéré uniquement lors de la phase de création ; soit par un salaire, soit par des droits d’auteur, soit par les deux. Une fois mise en ligne, le spectateur ne payant pas pour avoir accès à l’œuvre, celle-ci ne génère pas de recette d’exploitation et ne peut ainsi permettre à l’auteur de percevoir une rémunération pour un mode d’exploitation donné.

La SCAM, en contrepartie de l’autorisation qu’elle donne aux chaînes d’exploiter son répertoire, perçoit des sommes qu’elle répartit ensuite aux auteurs membres selon les modalités décidées en son sein par les représentants des auteurs eux-mêmes. Certains accords avec ces diffuseurs ont été étendus à leurs sites internet, ce qui permet à la SCAM de percevoir également pour les œuvres interactives qu’ils mettent en ligne et ainsi reverser des droits aux auteurs.

Ces accords concernent les principaux pourvoyeurs en œuvres interactives, à savoir, les sites d’ARTE, de Radio France et de France Télévisions. La SCAM est aujourd’hui en mesure de verser les premières rémunérations dues aux auteurs pour la mise en ligne de leurs œuvres sur ces sites. Ce versement d’un niveau significatif est intervenu lors de la répartition des droits de novembre 2014. Il est fixé forfaitairement, pour chaque œuvre présente sur le site une année donnée. Auteurs d’œuvres multimédias interactives, déclarez !

Guillaume Thoulon

*


Le point de vue de David Dufresne

David Dufresne - © Jean Fabien
David Dufresne – © Jean Fabien

Depuis quelques jours, le statut d’auteur de webdocumentaires en France a changé de braquet. Encore petit, le braquet ; mais braquet quand même. Le 13 novembre dernier, le Conseil d’Administration de la SCAM a en effet pris une décision – provisoire – « sur les règles de répartition applicables aux œuvres multimédia interactives ». Une décision qui change (un peu) la donne.

Autrement dit : désormais, toute œuvre interactive diffusée sur le web, dûment déclarée à la SCAM [1], donne droit à quelques revenus de diffusion à ses créateurs.

Par commodité de langage, on dira : des droits d’auteurs.

Par honnêteté, on reviendra en détails ci-dessous sur les montants.

Mais d’abord, par souci de précision, on s’empressera de détailler que la dite oeuvre devra avoir été diffusée gratuitement par ARTE, ou France Télévisions ou Radio France ; les seuls diffuseurs à avoir pour l’heure conclu un accord avec la SCAM…

ARTE, France Télévisions ou Radio France : une fois encore dans le débroussaillage, c’est le service public qui dégaine le premier. Quand, tapie dans l’ombre, Canal + continue à ne pas prendre le moindre risque, hors fiction et hors branding-machin-chose, et à jouer sa part d’ancienne-chaîne-qui-savait-innover ; sans parler des autres diffuseurs privés, perdus pour la cause depuis belle lurette.

C’est ainsi qu’en lisant leur dernier relevé de droits, à la fin de l’année 2014, certains réalisateurs ont donc eu la (bonne) surprise de découvrir que leur travail sur le web méritait la même considération que sur les écrans TV. Enfin, presque.

Voici le premier tableau de répartition, tel qui il est en vigueur:

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Autrement dit, sur le Net, c’est (pour l’heure) le mode forfait qui prévaut. A l’inverse de ce qui se pratique en télévision, où les droits sont calculées à la minute-antenne, le montant est identique quelque soit la durée de l’« œuvre délinéarisée » (terme retenu par la SCAM pour définir le genre [2]).

Si on comprend aisément qu’il faut bien commencer par un premier accord, on devine aussi que ce genre de calcul forfaitaire risque de ne pas tenir longtemps : quel sens cela a-t-il de verser le même montant à une expérience de quelques minutes offertes à un internaute, comme à une série de documentaires interactifs s’étalant sur plusieurs semaines ? Un même calcul pour une œuvre sans interactivité autre qu’un maigre pousse-bouton que pour une expérience riche et innovante en termes de mécanique ?

Autre interrogation, droits TV versus droits web.

Prenons un exemple, un peu jauni certes, mais que je connais un petit peu, pour comparer les deux : Prison Valley 🙂

Lors de sa première diffusion télévisée (ARTE, 2010), la version linéaire de Prison Valley a rapporté 59 minutes x 70 € la minute = 4.130 € (bruts) à Philippe Brault et à moi-même, co-auteurs.

Les mêmes images, servant de colonne vertébrale à la version web de Prison Valley (construit sur le modèle en « arêtes de poisson »), viennent de nous rapporter 831 € (bruts), pour l’exploitation du site en 2010, 2011, 2012 et… 2013.

En d’autres termes : la version TV « vaut » cinq fois plus que la version web. Et encore, sans compter les rediffusions télé çà et là… Et sans parler, ici, de la plus-value de la version web : liberté de navigation, séquences inédites, débats, interface et interactivités du site, forums de discussions, etc.

[Rappelons que les répartitions dépendent de la perception d’un pourcentage sur le chiffre d’affaires des diffuseurs ; lequel reste encore nettement plus élevé pour les antennes que pour les sites web, NDLR]

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Pas question de railler, et encore moins de râler ici-bas. Car, comme le dit la note de la SCAM qui accompagne le premier barème: « Il y aura éventuellement lieu de parfaire ces montants (…) une fois acquise une meilleure connaissance de ces exploitations ».

Pour être tout à fait complet, ce premier versement de la SCAM doit se comprendre pour ce qu’il est : une sorte d’« avance » (des « montants provisionnels de droits »), avant l’adoption de critères plus précis quant à la manière de valoriser les œuvres – ce travail est actuellement en cours.

La question est aujourd’hui moins dans ces maigres montants que dans le symbole qu’ils constituent. Moins dans un quelconque tableur Excel que dans ce qui se trame à la Commission des écritures et formes émergentes de la SCAM. Moins dans un modèle économique chimérique que dans les avancés pied à pied.

Après le CNC, et son Web-Cosip (une automatisation des aides à la production sous certaines conditions), cette volonté de la SCAM et du service public envoie en effet un signal à toute l’industrie – et on ne boudera pas notre plaisir : le champ du documentaire interactif relève bien du regard d’auteur, donc de ses droits et devoirs, du moins quand l’œuvre proposée produit du sens et livre un point de vue (ce qui n’est pas le cas de tous les webdocs, loin s’en faut, mais ceci est un autre sujet).

Une petite dizaine d’années après les premiers idocs, la nouvelle mérite d’être soulignée. Et continuons : ateliers d’écriture, résidences d’artistes, bourses, hackathons… D’autres combats se profilent.

Bonne année à tous.
On va se marrer.

David Dufresne

[1] Pour faire vite: la SCAM, Société Civile des Auteurs Multimédia, est une société dite de « répartition », qui conclut des accords financiers avec les diffuseurs pour reverser des droits aux auteurs.

[2] La SCAM écrit: «Les exploitations délinéarisées concernent, entre autres, des formes de création faisant converger les différents genres d’expression créative au sein d’une œuvre multimédia, interactive ou non, susceptible de relever du répertoire de la SCAM dès lors qu’elle ne présente pas un caractère dramatique ».

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Quelques précisions de la SCAM…

Les premiers versements de droits ont eu lieu lors de la répartition de novembre 2014. Seuls les sites d’ARTE, de Radio France et de France Télévisions sont concernés.
Chaque Œuvre multimédia interactive se voit attribuer un montant provisionnel de droits à la première année civile de mise en ligne. Ce montant varie en fonction de l’année de mise en ligne et du diffuseur pour tenir compte des économies concernées.
Pour chaque année civile ultérieure de présence sur le site, un montant complémentaire est versé, calculé par application d’un abattement progressif sur le tarif provisionnel de l’année d’exploitation traitée, et ce dans la limite d’un abattement de 90%.
Ce montant est réparti entre co-auteurs le cas échéant, conformément aux quotes-parts déclarées pour chaque œuvre.
En cas d’exposition d’une même œuvre sur plusieurs sites, les droits sont dus pour chacune des exploitations.

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