France Télévisions sur tous les fronts du web en ce moment ! Après Qui va garder les enfants ? le mois dernier, Le Blog documentaire s’intéresse à la nouvelle proposition du groupe public version nouvelles écritures. B4, fenêtres sur tour constitue, selon son réalisateur, le premier webdocumentaire poétique sur la banlieue, convoquant notamment l’héritage de Georges Pérec. Alléchant programme, que nous avons d’abord découvert sur grand écran… et nous avons aimé !

France Télévisions passe la surmultipliée en cette fin d’année, en intensifiant sa présence dans le champ des nouvelles écritures : après le très concernant Qui va garder les enfants ?, qui nous avait un peu laissé sur notre faim documentaire, B4, fenêtres sur tour promettait une vision régénérée des grands ensembles qui peuplent la proche banlieue parisienne. Comme un signe, la projection qui précède la mise en ligne, se déroulait aux ateliers Varan, dans un sanctuaire du documentaire d’auteur. Et le lieu, écrin classieux pour documentaire au point de vue affirmé, n’est pas incongru : Jean-Christophe Ribot, le réalisateur de B4 a en effet réussi le tour de force d’insérer, dans une école qui dispose indéniablement d’un « style Varan », du neuf dans la narration, dans la position de l’auteur et du spectateur et même, dans le visionnage de webdoc sur grand écran.

Car cette pratique novatrice est, à l’image du genre lui-même, encore une pure expérimentation à chaque essai. Si l’idée commence à faire son chemin (et nous suivons cela de près, comme ici), la question se pose pourtant : faut-il relinéariser le webdoc, au risque d’en faire perdre la spécificité ? Ou jouer avec un réalisateur en position de MC, qui avance dans l’œuvre au gré des humeurs de l’audience ?

Pour B4, on nous promet une version linéaire d’une quarantaine de minutes, en attendant de pouvoir surfer sur le programme. Il faut être honnête : la déception gagne dans un premier temps, car instinctivement, nous sommes gagnés par la sensation d’une facilité narrative. Et puis, le film démarre, et progressivemen, ces doutes sautent un à un.

Le projet, d’abord soutenu par France 3 Île-de-France et diffusé opportunément par 20 minutes, est produit par Mosaïque Films. La société ne pouvait pas mieux porter son nom : car le propos de B4 doit moins à un sujet fort (la bonne histoire, celle que tout le monde – réalisateur, auteur ou producteur – recherche) qu’à un dispositif à la fois sensible et documentaire. Explorer les grands ensembles urbains, les petites sensations du quotidien ou les mouvements de l’âme qui se déclenchent au détour d’un ascenseur… Autant de mini-trames passionnantes, poétiques, qui éloignent enfin d’un regard journalistique pour plonger dans cette incertitude du « propos », laissant place à la rêverie. Mais que n’avons nous pas vu de tels projets ratés, enthousiasmants dans leur intention, énervants dans leur réalisation ! L’idée est belle mais terriblement périlleuse, et B4, fenêtres sur tour, dans sa version relinéarisée, échappe au ratage, pour notre bonheur.

D’abord par cette reconstruction narrative, partant d’une base de 84 vidéos, (12 personnages selon 7 thèmes ou dispositifs formels), qui donne du signifiant à ce bâtiment fantôme, ce B4 inventé de toutes pièces qui est en fait l’agrégat de petites saynètes particulières et universelles tournées un peu partout en Île-de-France. Belle idée que de s’extraire du parfois pesant réel, de créer un « méta-bâtiment », qui contienne les histoires, qui fantasme le croisement de réalités qui, dans la vraie vie, sont éloignées de plusieurs kilomètres. On veut vraiment croire à cet espace vivant, vibrant, qui réunit diverses sensibilités, même si tout nous indique qu’il n’existe que dans l’imaginaire. L’une des séquences formelles d’un personnage à la fenêtre (moins réussie que celle dans l’ascenseur), nous renseigne sur la réalité : chaque morceau du B4 est un immeuble différent, une tranche de vie qui ne rencontre pas celle des autres personnages.

Le travail sur le son est essentiel à l’univers fictionnel très fort, qui nous fait percevoir cette réalité – pas forcément rose – comme un kaléidoscope du vivre-ensemble : David Carzon d’ARTE France disait que les québécois de l’ONF avaient à nous apprendre sur la façon de travailler avec le son, la musique, l’ambiance. Eh bien, B4 y concourt, en proposant un fil musical ténu qui englobe l’image, lui ajoute une dimension.

Le visionnage relinéarisé est donc un franc succès : il ouvre des horizons quand la plasticité de petites entités vidéos indépendantes permet de créer un tout qui soit supérieur à la somme des médias pris individuellement. Le web permet cela, mais pas seulement le web, comme on le voit : si le web a permis de créer et de penser conceptuellement une architecture éclatée – cubiste – de l’habitat, le cinéma (au sens d’une linéarité dans une salle, loin du clic et de la sollicitation) a sublimé l’œuvre en l’inscrivant dans un champ narratif résolument singulier.

Sorti du visionnage sur grand écran, la plateforme B4, fenêtres sur tour paraît paradoxalement moins attractive, davantage découpée en micro-instants qu’une intention d’auteur ne réunit pas. On se promène alors dans l’immeuble en activant des vidéos, en réinitialisant notre parcours. Mais l’ambiance sonore propre à chaque nœud dramatique (alternance de moments d’émotion et de franche rigolade, comme Marcel décrivant le programme télé de sa mère, qui se gave de foot !) s’estompe au profit d’une linéarisation plus « à plat », d’une ambiance plus générale (le bruit de fond de l’interface lorsque l’on ne clique sur rien). L’envie de s’y plonger est tout de même présente, mais l’œuvre vaut vraiment pour nous faire comprendre que le web, loin de s’affranchir de la linéarité, peut la réinvestir à son profit.

Nicolas Bole

Plus loin

Webdocu Actu : « Qui va garder les enfants ? »

Quand le webdocumentaire fait son cinéma…

David Carzon – La production web chez ARTE #2

2 Comments

  1. Pingback: [Webdocumentaire] Boris Razon – La production web chez France Télévisions #1 « Le blog documentaire

  2. Pingback: Boris Razon – La production web chez France TV #3 « Le blog documentaire

Leave a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *