DOCS DF, ou l’aventure d’un pitching
pas comme les autres

L’autre jour, un message un rien bizarre est apparu dans ma boîte mail, il s’agissait d’une pétition urgente venant de France. Celle-ci émanait du fondateur du Blog documentaire. On pouvait lire : «  Mon cher ami, sachant que vous vivez à Mexico nous aurions besoin de vos services : le festival DOCS DF est sur le point de commencer et nous n’avons aucun correspondant local pour couvrir l’évènement ».

Je décidai assez rapidement, et franchement sans avoir bien planifié mon agenda, de relever le défi. Quelle ne fut pas mon erreur ! J’avais en effet été par ailleurs sélectionné au pitching de projets en développement organisé par le même festival en collaboration avec IMCINE, le CNC local. J’avais imaginé que je pourrais sans trop de mal mener les deux navires d’une seule barre : d’un côté participer à l’atelier de réécriture associé au pitching et, de l’autre, assister aux projections et au DOCS Forum, un rendez-vous de professionnels dont la vedette n’était autre qu’Yves Janneau, du Sunny Side of the Docs.

Quelle n’a pas été mon erreur d’accepter ces deux missions ! Ma schizophrénie latente ne s’est pas fait prier pour me le rappeler. En effet, absorbé par l’atelier de réécriture et le pitching, je n’ai pu voir que deux films malgré ma belle accréditation sur laquelle on pouvait lire en lettres dorées « cinéma documentaire »… et que j’aimais à substituer à tout va à celle que l’on m’avait remise dans le cadre de l’atelier. Plus d’un aurait aimé être à ma place : double accréditation, doubles égards ? Point du tout, au contraire ! Doubles préoccupations ! En plein brainstorming sur savoir si le fond de mon film était plutôt la mère ou la mer, je devais me préoccuper de savoir si j’allais voir un film de Muguruza, le légendaire chanteur basque qui avaient bercé ma douce et tendre jeunesse, ou bien la reconstitution de la formidable aventure de boy-scouts devenus cannibales dans les Andes. Ma double casquette n’a pas trouvé ses deux têtes, j’ai du jeter l’éponge. Tenter de réécrire son doc (ou tout du moins essayer de profiter au mieux des nouvelles pistes que vous offrent ce genre d’exercice), tout en montant un teaser de nuit et en préparant sa présentation ne permet pas de pouvoir assister à un festival comme il se doit…

Ainsi, décidai-je, au vu du peu de professionnalisme de ma démarche comme correspondant de ce Blog que vous êtes actuellement en train de consulter, de me retrancher sur mon expérience personnelle et de vous livrer au fil de ces quelques paragraphes, ma modeste expérience en tant que « pitcheur » français dans un festival mexicain.


(Nombreuses vidéos au choix à la fin de ce clip)

Aujourd’hui, alors que l’eau a quelque peu coulé, si je me penche de nouveau sur cette expérience, je peux dire que deux facteurs ont considérablement minimisé la douleur liée au pitching, exercice qui me paraît plus proche de la séance de confession devant la Sainte Inquisition que de la vente de poisson à la criée à Rungis. Je n’ai jamais vendu de poisson à la criée, et je ne suis même pas certain qu’on s’adonne à cette pratique à Rungis, mais je dois dire que cela me fait bien moins peur que de passer devant le parterre des « Commissioning Editors » qui, paraît-il, sont aussi effrayés que nous en ce moment crucial qui peut décider du sort d’un film. Malheureusement, je ne vends pas de poissons et je n’ai d’autre solution que de vendre des documentaires qui, pour couronner le tout, n’ont pas de prix à mes yeux.

Deux facteurs, disais-je donc, on rendu cet exercice sinon agréable, au moins soutenable. Le premier, lié à une conception mexicaine parfaitement huilée de la désorganisation, une sorte de confusion permanente dans la clarté, a été que l’atelier ait été planifié de la manière suivante : Deux jours de préparation au pitching, un jour de pitching suivi de… deux jours de préparation au pitching ! Aberration me direz-vous ? Et bien non ! Bien au contraire !

Les lecteurs qui auront participé à ces sessions de marketing intensif qui n’ont de différent avec la présentation d’un nouveau produit aux actionnaires d’ArcelorMittal (dossier Powerpoint à l’appui) que le fait qu’on y vende du vent et non des tuyaux en acier, savent bien qu’on ne profite que très peu de ces ateliers pour réécrire son projet : on est déjà assez tendu à l’idée de bien le présenter que l’on est peu enclin à le repenser dans ses fondements, à remettre en cause les points sur lesquels on dispose d’une assurance certaine, assurance dont on aura bien besoin si on nous pose une question dérangeante lors des fameux et redoutés Q&A [Questions and Answers].

Il ne s’agit bien sûr pas de réciter sa leçon au tableau mais il faut bien avoir en tête qu’un réalisateur déstabilisé en public n’est pas apte à mener à bout son film. C’est bien connu. Tel un cadeau tombé du paradis des hérétiques persécutés, les deux jours d’ateliers prévus après le pitching nous ont permis de pouvoir repenser, discuter, argumenter sur nos projets, sans aucune pression. Bref, ces deux jours se sont transformés en un véritable atelier de réécriture (un peu court me direz-vous, et je l’admets) et les plus enthousiastes auront pu profiter de l’occasion.

*

Bien que menée d’une main de maîtresse par la productrice catalane Marta Andreu (dont je parlerai bientôt), cette expérience a été imprégnée par le travail collectif. Je ne parle pas ici de temps de parole préalablement accordé ou d’un dispositif rappelant vaguement celui des meilleures réunions des Alcooliques Anonymes et que l’on retrouve jusque dans les ateliers « emploi » de l’ANPE, mais plutôt du fait que, parfois, en voyant la poutre dans l’oeil du voisin, on a pu reconnaître la petite brindille qui nous cachait la vue. Petite brindille qui, ancrée dans notre idée de film, nous empêchait, soit de le voir, soit de le concevoir… Et là, je reviens à Marta Andreu, qui a su, en dévoilant les poutres, faire que chacun ait les moyens de trouver ses propres petites brindilles. Car Marta n’est autre que ce deuxième facteur dont je parlais plus haut (et qui n’a rien à voir avec les lettres, même si, effectivement, il s’agit d’écriture) : véritable sage-femme du documentaire, elle a su nous accompagner dans notre gestation(qui pour la majorité n’avait pas encore dépassé la date limite d’avortement de projet sans complications médicales), bien que le temps lui ait fait cruellement défaut.

Que dire du « concours » en lui-même ? Sur seize projets présentés, une moitié d’entre eux étaient assez développés pour qu’on puisse y deviner un film. Les trois « élus » par les jurés (qui ne nous ont pas été présentés bien que nous leur ayons fait chacun notre tour un dangereux show de Music-hall, risquant, à chaque instant, de tomber de scène) sont Hasta el fin de los días de Mauricio Bidault, Maderas musicales de Carlos Montes de Oca et Hotel de paso de Paulina Sánchez, trois projets bien ficelés menés par des réalisateurs et réalisatrices au fort point de vue. Chacun a obtenu un prix de 3 000 euros environ. J’en pince pour Hotel de Paso : un hôtel à la frontière avec les Etats-Unis où les migrants sont à la croisée des chemins, espérons que Paulina pourra produire son film dans des délais raisonnables et avec un budget confortable.

Pour conclure, je pourrais mentionner que j’ai bien aimé les petits canapés et le vin rouge servis au pot de clôture du DOCS Forum ; par contre, je lance un appel désespéré aux organisateurs : Mesdames et Messieurs les organisatrices et les organisateurs, je vous en supplie, je vous en conjure, n’appelez plus à la rescousse les producteurs de canettes de « Whisky – Coca tout faits » pour la soirée de remise de prix… je sais bien que vous devez faire avec les sponsors pour pouvoir monter votre évènement mais passer une fois par la torture est déjà bien suffisant dans un même festival…

Ludovic Bonleux

PS : Selon les murs qui, comme nous le savons tous, ont vent de bien des rumeurs, un Sunny Side mexicain serait en préparation pour 2012… C’est le moment de commencer à féconder ses tiroirs à projets… et de préparer son voyage. Ici, je connais un hôtel sympa.

Les candidats, Marta Andreu et les petits fours – DOCSDF 2011 – © Cynthia Erika Gonzalez

Les précision du Blog documentaire

1. Réalisateur et photographe, Ludovic Bonleux vit et travaille au Mexique où il a réalisé Le Crime de Zacarias Barrientos (Images Plus, K production, CDP, 52´,2008) et Souviens-toi d´Acapulco (Novanima, Terra Nostra Films, 73´, en post-production). Vous pouvez retrouver certaines de ses photographies par ici.

2. Le palmarès de la 6e édition du Festival international de cinéma documentaire de Mexico a notamment distingué Last chapter. Goodbye Nicaragua, de Peter Torbiörsson, Tren Paraguay, de Mauricio Rial Banti, El lugar más pequeño, de Tatiana Huezo et Welcome to Romford, de Simon Smith.

3. Voyez la bande annonce de Last Chapter, Goodbye Nicaragua :

No Comments

  1. Pingback: Presunto Culpable (Roberto Hernández et Geoffrey Smith) « Le blog documentaire

Leave a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *