Bonne année à tous ! Merci d’être là. Et pour bien commencer 2013, Le Blog documentaire revient sur le Prix du producteur français de télévision 2012 décerné par la Procirep aux Films du Tambour à Soie. C’était en décembre.

Nous avions rencontré Nicole Levigne et Alexandre Cornu peu avant cette distinction venue couronner 25 ans de travail et plus de 130 films produits. Les Films du Tambour à Soie se sont également investis dans deux webdocumentaires, dont « Terres Communes. Il en était justement question dans cet entretien « bouts de ficelle » réalisé par l’inévitable Sacha Bollet.

logoTDS__lightgrey_170Un sujet plutôt austère, une interface sobre au point d’être funèbre… et pourquoi pas?
C’est le pari de Terres Communes, le premier webdocumentaire « made in Marseille », élaboré par les Films du Tambour de Soie.
Trois fenêtres encadrées de noir. Des images fixes et des films qui défilent. Une navigation par saison pour raconter le quotidien de ceux qui accompagnent les SDF en fin de vie et les conduisent jusqu’aux Terres Communes où ils seront enterrés.

Rencontre et retour d’expérience avec l’équipe de production : Alexandre Cornu et Nicole Levigne.

Le Blog documentaire : Qui sont les Films du Tambour de Soie ?

Alexandre Cornu– Nous existons depuis 1987, ça fait 25 ans. A l’origine, nous étions 5 jeunes réalisateurs qui voulions faire nos propres films. Très naïvement, nous nous sommes dit que ce serait plus facile en créant notre propre boîte. Ça a duré 2 ou 3 ans comme ça, et puis il a fallu se structurer un peu plus professionnellement.

Nous nous sommes réunis, on a demandé : « qui veut faire de la production ? ». Personne n’a répondu. Tout le monde voulait être sur le terrain, faire des films… Jacques Malaterre, le gérant de l’époque, a alors demandé : « qui sait taper à la machine ? ». J’ai répondu « moi » et il a dit : « bon, tu feras de la production », c’est comme ça que tout a commencé. Nous sommes installés à Marseille depuis 1993.

On produit 8 à 10 documentaires par an, surtout pour Arte, France 3 et France 5. A l’origine, on s’était créé une niche de films sur l’art : nous, la petite boîte du sud, on travaillait avec le Louvre, le musée d’Orsay ! Et puis au fil du temps, au fil des rencontres et des coups de cœur, on a commencé à ouvrir nos films à tous les champs : société, sport… et récemment le webdoc.

2013-01-01_155514Justement, comment est née l’histoire de Terres Communes ?

Nicole Levigne – Le réalisateur Emmanuel Vigier a d’abord fait des repérages dans son coin. Un beau travail de terrain, comme dans un projet documentaire classique. Il a commencé à filmer de manière spontanée parce qu’il y avait des choses qu’il ne fallait pas perdre. Quand il est arrivé chez nous, c’était donc un travail qui était déjà en cours de route.

Nous l’avons d’abord aidé à demander des aides et obtenu une aide au développement, qui nous a permis de continuer le tournage.

Tout ce projet qui parle de solidarité a fédéré beaucoup d’énergies. Le réalisateur avait rencontré les membres de l’association Zinc [association marseillaise spécialisée dans l’art et les cultures numériques, NDLR], qui lui ont présenté un webmaster – on dit plutôt un « réalisateur multimédia ».

J’ai proposé à tout le monde de mettre nos compétences en commun, tout en restant dans nos cœurs de métier, pour être plus efficaces. Zinc a pris en charge tout ce qui concerne le web, et  nous nous sommes occupés de la vidéo. C’était une meilleure manière de coopérer.

Tout en poursuivant le tournage, le réalisateur a commencé à réfléchir au développement du site. De notre côté, nous avons démarché très tôt – trop tôt peut-être – les chaines de télévision, France Télévisions Nouvelles Ecritures et Arte Web. Nous n’avions pas de support visuel à leur montrer, pas de travail graphique… C’était un peu austère ce qu’on leur racontait : un travail sur l’accompagnement des morts de la rue, avec une volonté d’être très sobre dans l’interface !…

Alexandre Cornu– J’ai pensé au départ que ce serait le thème qui leur ferait peur – la mort des SDF. Je me suis dit qu’ils ne nous suivraient jamais, en expliquant que le projet était intéressant mais trop anxiogène. Mais finalement, non, les personnes qui travaillent sur les nouveaux supports pour les chaines ont une pression moindre : ils ont moins d’argent, moins d’audience, et puis c’est neuf, c’est donc plus libre. A aucun moment on ne m’a répliqué que c’était trop dur.

Nicole Levigne – On a eu plusieurs réactions, Arte nous a dit : « ça manque un peu de  navigabilité, de participation ». Nous avons réfléchi à la manière d’amener l’internaute à participer au webdoc. Le projet d’Emmanuel était un dispositif assez clos, avec une navigation basée sur les différentes saisons de l’année. Il avait envie de guider l’internaute en lui proposant des options, mais ce n’était pas participatif.

On a quand même élaboré des projets, mais ce n’était pas suffisant pour convaincre Arte. Je pense qu’ils ont senti qu’au fond, la nature du sujet faisait que c’était très compliqué d’y rajouter des gadgets.

France Télévisions n’a pas vraiment justifié son refus. Je sais qu’ils avaient réalisé d’autres projets sur le même thème. Ce n’était peut-être pas le bon moment, ni le bon endroit…

Alexandre Cornu – © Caroline Dubois
Alexandre Cornu – © Caroline Dubois

Sans diffuseur télé, vous avez tout de même souhaité poursuivre le projet ?

Nicole Levigne – Ça a été une grosse claque parce qu’on savait que le CNC ne suivrait pas en production sans gros diffuseur. On s’est vraiment posé la question de savoir s’il fallait continuer ou pas. C’est notre politique aux Films du Tambour de Soie : faire des beaux projets et aider des projets plus fragiles. On a donc décidé de continuer. Les coproducteurs nous ont suivis. Mais comment continuer dans une économie quasi-inexistante ?

Alexandre Cornu D’abord, les personnes qui y croyaient ont donné énormément de temps de travail par rapport à ce qu’on était en capacité de les payer. En travaillant avec des professionnels du web, la seule solution c’est une forme de coproduction, parce que c’est impensable d’imaginer travailler avec une agence qui facture ses conseils à l’heure. Chacun doit donner de son temps, même si ça ne peut durer qu’un temps…

Nicole Levigne – Ensuite, nous avons démarché les fondations en lien avec le travail social et l’hébergement d’urgence. Elles nous ont dit qu’elles avaient l’habitude de coproduire des documentaires, mais en travaillant très en amont sur les projets, voire en les suscitant. Nouvelle déconvenue, donc.

Je dirais qu’on a réussi à terminer ce projet par magie. Il restait du montage et nous tenions à ce qu’il y ait une vraie post-production avec étalonnage et mixage, ce qui n’est pas toujours le cas dans le webdoc…

Nous avons financé cela par du crowdfunding (sur Kisskissbankbank), un mécène du réseau professionnel du réalisateur qui a donné 2.500 euros via sa fondation, et nous avons grappillé 1.000 euros auprès de La Croix et la FNAS, une fédération d’associations.

Enfin, le patron du cinéma l’Alhambra à Marseille nous a ouvert sa salle. Il nous a accueilli pour une projection sans rien nous faire payer. On a tenu aussi à faire une projection à Paris, aux Ateliers Varan, qui ont financé la projection.

Par cette succession de petits miracles, il y a un buzz qui s’est crée pendant quelques semaines.

Alexandre Cornu & Nicole Levigne - © Caroline Dubois
Alexandre Cornu & Nicole Levigne – © Caroline Dubois

Ça semble un peu « maso » vu de l’extérieur… Pour une prod reconnue, c’est se placer dans la position du petit débutant obligé d’aller grappiller des financements…

Nicole Levigne – Oui, mais ce que nous avons gagné dans ce cas là, c’est une totale liberté éditoriale. Le réalisateur est allé au bout de sa proposition. A aucun moment je n’ai dû lui dire « attention », quand il voulait être radical. Ça peut arriver dans le documentaire classique que le diffuseur dise : « on ne comprend pas le début, il faut le refaire » ou « il y a besoin d’une voix off parce que ce n’est pas suffisamment clair »… Ils connaissent leur public, ils ont des demandes justifiées.

Mais dans le cas de ce webdoc, c’était assez grisant parce qu’on pouvait faire tout ce que proposait Emmanuel, dans la mesure où c’était pertinent par rapport au sujet. C’était un luxe ! C’est assez rare et ça ne peut rester à mon avis qu’un laboratoire.

Alexandre Cornu – On fait ce qu’on veut ! On peut travailler sur des formes courtes ou longues, de l’image fixe et animée, de la 3D… On travaille avec des jeunes gens nouveaux, dont je ne connaissais pas le métier, qui ne parlent pas la même langue que nous. C’est ce champ de possibilités qui m’a intéressé. La contrepartie de ce grand espace de liberté, c’est qu’on est libre mais pauvre.

Êtes-vous en train de me dire que le webdocumentaire permet de faire du documentaire de création ?

Nicole LevigneJe suis plus pessimiste. On a réussi à faire ce webdoc en dehors des circuits, c’est comme une parenthèse enchantée. Il va bien falloir financer ce genre de productions à un moment et le formatage va nous rattraper. Par ailleurs, le documentaire de création demande un peu de temps pour rentrer dans un univers. J’ai du mal à croire que ça puisse coller avec l’usage du web et ses statistiques d’utilisation. Ou alors sous des formats extrêmement courts, très novateurs, comme ce que peut faire l’ONF, avec des recherches graphiques, narratives, amenées par des professionnels nouveaux, des gens qui sont de la génération Internet. Ce serait une mutation, pas forcément du documentaire d’auteur comme on le connaît

terrescommunes35Il y a une dichotomie entre la nécessité de rentrer dans une case pour être financé par une chaine de télévision et la volonté du CNC de ne supporter que des projets très expérimentaux.

Alexandre Cornu J’ai le sentiment qu’il y a eu dans de nombreux webdocs une mode des choses complexes, et qu’on revient aujourd’hui vers quelque chose de très simple. C’est à dire qu’une fois que vous avez compris comment on clique sur 4 trucs pour rentrer dedans, les internautes se désintéressent, ils ont fait le tour et c’est le contenu qui passe à la trappe. On revient maintenant vers une manière simple de montrer un contenu fort.

Nicole Levigne – Le mieux que je puisse imaginer à moyen terme, c’est une coexistence entre les projets pour les chaines et les projets qui se développent petit à petit en agrégeant des financements. Je pense qu’il y a beaucoup de sociétés de production moyennes qui essaient de tendre vers cela. Il sera intéressant de voir ce qui en sortira. Combien réussir à produire quelque chose qui sera diffusé ? Pour nous en tous cas, même si ça a été très riche, ça a été quand même éprouvant ! On va peut-être faire d’autres choses pendant un petit bout de temps…

Propos recueillis par Sacha Bollet

[La photos de Une de cette article est signée Frédéric Presles]

Bonus

Voici le texte rédigé par les Films du Tambour à Soie à l’occasion du prix de la Procirep :

En 1987 trois amis férus d’image se lançaient un pari fou : créer la structure qui leur permettrait de faire les films qu’ils aiment… Jacques Malaterre et Bernard George ont depuis eu le destin (de réalisateurs) qu’on leur connaît, et sont partis vers de nouvelles aventures. Alexandre Cornu a persévéré dans sa mission de producteur …

25 ans plus tard, l’équipe des Films du Tambour de Soie s’est agrandie. Notre catalogue compte aujourd’hui plus de 130 films et nous produisons chaque année 8 à 10 heures de programmes pour les chaînes françaises et étrangères.

Année après année, les Tambours de Soie poursuivent avec constance et fougue (oui, c’est de notre âge !) un chemin volontairement sinueux. Une ligne éditoriale ? Oui, pour l’ouvrir et parfois lui être infidèle, au gré de nos envies, de nos rencontres. Un support de diffusion ? Pourquoi se priver du web, ou d’un grand écran…
Nouveaux sujets, nouveaux formats, nouveaux médias : rester à l’affût, explorer. Sans jamais trahir les auteurs qui nous accompagnent ou nous rejoignent. Sans jamais déroger à l’exigence de rigueur et de qualité qui fait notre constance.

Nous poursuivons bien sûr le travail commencé depuis l’origine autour de l’art et de la culture pour des films coproduits avec les musées nationaux (un archéologue 2.0 en Ouzbékistan, avec Le Louvre…). Mais l’année qui s’achève a également été très cosmopolite, avec des tournages au Sénégal,  au Groenland, et au Japon !  D’autres voyages, dans le temps,  à la rencontre des Belles du demi-monde ou de ceux qui ont écrit l’épopée du béton… Et toujours, un regard sur ceux qui nous entourent, de la communauté sourde au mariage gay…

Cette année aussi a vu la diffusion de notre deuxième webdocumentaire, Terres Communes.  Nous poursuivons l’exploration des écritures pour le web avec une nouvelle génération de réalisateurs.

Notre catalogue est distribué par France Télévisions Distribution, Arte Distribution, Andana Films, Terranoa ou Insomnia. Nous sommes membre d’UNIFRANCE.

Notre collaboration se poursuit avec les musées nationaux mais également avec nos partenaires diffuseurs, Arte, France Télévisions, Voyage, Planète, LCP et les chaînes locales de TLSP pour la France, RTBF en Belgique, TSR en Suisse, YLE en Finlande, Al Jazeera…

Les Films du Tambour de Soie sont pour la quatrième fois sélectionnés pour le Prix du Producteur Français, décerné par la Procirep.

Au fait, le saviez-vous ? Le tambour de soie est utilisé dans le théâtre No comme un objet visuel, au timbre délicat…

No Comments

  1. Pingback: Doc/webdoc : Rencontre avec les Films du Tambour à Soie | Curiosité Transmedia | Scoop.it

Leave a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *