C’est un entretien détaillé, clair et très instructif que nous relayons ici sur Le Blog documentaire. Initialement publié sur le site Fiches du cinéma, cette conversation avec Anna Feillou pointe les enjeux auxquels fait face aujourd’hui le financement de la création documentaire. La documentariste et co-présidente de l’ATIS revient sur la réforme du COSIP en soulignant l’importance des chaînes de télévision locales et explique que les « oeuvres audiovisuelles difficiles » – selon la dénomination de l’UE – pourraient être mieux produites, et donc mieux protégées. Un entretien didactique où l’on reparle du collectif « Nous sommes le documentaire », mais aussi de télévision connectée. Un débat technique qui pose aussi des questions philosophiques…

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Anna Feillou

« Les enjeux sont presque d’ordre philosophique »

En début d’année, une fronde de réalisateurs et d’acteurs du documentaire s’est constituée contre les nouvelles mesures qu’entendait prendre l’Etat, à travers le CNC, concernant le financement – on parle de financement public – du documentaire. Quelles sont les mesures à l’origine de ce mécontentement ?

Pour commencer, il y a eu l’entrée en vigueur de la réforme du COSIP [Compte de Soutien à l’Industrie des Programmes audiovisuels], réforme dont le but déclaré était : d’une part, de soutenir la création de manière plus énergique ; et de l’autre, de structurer plus efficacement le secteur. Par voie de conséquence, certains programmes qui, jusque-là, étaient soutenus par le COSIP – alors qu’ils relevaient plutôt du reportage et du magazine – ne l’ont plus été. Parmi les programmes qui conservaient le soutien, il y en a certains qui, en raison de cette réforme, ont été soutenus plus que d’autres, à partir de critères objectifs liés à la notion de “création”, comme le temps imparti au montage par exemple, le choix d’une équipe de techniciens créatifs ou l’obtention par les producteurs, ou les auteurs, d’une aide préalable à l’écriture et au développement… Ces œuvres-là étant censées être mieux aidées que les autres. Il faut savoir que le fonctionnement du COSIP repose sur deux mécanismes : le soutien automatique et la commission sélective. C’est dans le cadre de l’automatique que ce qu’on a appelé les « critères de bonification » se sont mis à jouer. C’est-à-dire que certains documentaires – dont on considère qu’ils empruntent aux codes du magazine et du reportage – et qu’on souhaite aider cependant, vont l’être moins que des documentaires qui, eux, relèvent davantage de la création. Ça, c’est pour l’automatique.

Du côté de la commission, qui vient d’être renouvelée, il en va autrement. Quand on se présente au COSIP sans avoir suffisamment d’argent d’une chaîne de télévision ou qu’on n’a pas assez produit l’année précédente, on ne peut pas avoir accès au soutien automatique. Faute de quoi, on se présente à la commission sélective qui examine les projets et qui peut, comme son nom l’indique, en soutenir certains et d’autres non. Jusqu’à son renouvellement, cette commission pouvait aussi bien évaluer des projets de fictions télé, de documentaires, de magazines. Il existe désormais une commission spécifiquement consacrée au documentaire. A priori, cela semblait plutôt aller dans le bon sens. Mais l’entrée en vigueur de cette réforme de l’automatique a provoqué le mécontentement de producteurs qui n’ont pas compris que, tout d’un coup, les programmes qu’ils faisaient depuis longtemps sans doute, et avec telle ou telle chaîne de télévision, étaient déqualifiés ou alors étaient moins soutenus ou plus soutenus du tout.

Nous, nous étions d’accord avec cet aspect de la réforme. Et ce dont on s’est aperçu à cette occasion d’ailleurs – puisque le CNC a publié la liste des projets qui ont été examinés et déqualifiés par cette commission documentaire – c’est que, depuis des années, le COSIP soutenait des programmes, dont il ne s’agit pas ici de critiquer la qualité je le précise, mais qui n’avaient rien à voir avec la notion d’ »œuvre patrimoniale » qui est au fondement même de la création du COSIP. L’œuvre patrimoniale, c’est quelque chose qu’on est censé pouvoir voir et revoir dans 10 ou 20 ans et qui, justement parce qu’elle a fait œuvre, acquiert une sorte de valeur intemporelle. Alors que le reportage est beaucoup plus assujetti à ce qu’on appelle le flux, l’actualité, des choses volatiles qui vont effectivement documenter une situation mais qui, formellement, sont toujours produites de la même manière. C’est un produit de consommation courante en somme. Il ne s’agit pas de dire que ce n’est pas bien, encore une fois, mais de rappeler que le COSIP n’avait tout simplement pas vocation à financer ce type de programmes qui alimentent des grilles sans qu’il y ait œuvre à proprement parler.

Le problème des télévisions locales s’est également posé. Je crois savoir qu’elles étaient tenues de contribuer à hauteur de 25 % du budget d’un film, obligation à laquelle elles dérogeaient le plus souvent. C’était une tolérance et tout le monde fermait les yeux. Leur est-il bien demandé désormais de s’acquitter de cette obligation ?

C’est ce qui a déclenché la crise… C’est devenu une crise de la réforme du COSIP parce que le CNC n’a pas été très malin en terme de calendrier. En ce sens qu’au moment même où ils mettaient en œuvre une réforme consécutive à 18 mois de concertation avec les différents acteurs concernés et qui comportait bien des aspects positifs, le CNC a déclenché une campagne de contrôle comptable visant à la fois des chaînes locales et de petites sociétés de production, et bloqué l’attribution de subventions. Parce qu’effectivement, comme vous le disiez, les chaînes locales sont soumises aux mêmes règles que n’importe quel diffuseur. Et pour avoir accès au soutien automatique – j’insiste parce que ces 25% sont vraiment liés à l’automatique – n’importe quel producteur qui présente un plan de financement associé à sa demande de soutien doit justifier à la fois d’un maximum de 50% d’argent public et d’un minimum de 25% d’apport d’une chaîne. Sauf s’il ne s’agit pas de demander un soutien automatique mais un soutien sélectif, auquel cas la règle des 25% ne s’applique pas. La règle des 50% d’argent public, en revanche, s’applique dans tous les cas de figure.

Si la part de l’argent public ne peut pas excéder 50% du budget global, le reste doit être acquitté par la production, la chaîne ?

En gros, il y a la chaîne de télévision, en numéraire ou en industrie ; la production, sachant qu’en documentaire ce sont souvent de petites structures qui n’ont pas énormément de marges de manœuvre quant à la “part producteur” qu’elles peuvent apporter ; et la PROCIREP, organisme financé par la copie privée, où ce sont, là aussi, des commissions sélectives qui attribuent des fonds considérés comme de l’argent privé. Ce sont les trois sources de financement privé du documentaire. A quoi s’ajoutent les régions, peut-être y reviendrons-nous. Et c’est précisément là où, combinée à la règle des 50%, celle des 25% a été assez délétère pour les producteurs qui souhaitaient acquérir, ou conserver, un soutien automatique du CNC. Si une chaîne publique nationale dispose de ressources issues de la redevance – c’est-à-dire de l’impôt – et de la publicité, il en va tout autrement des chaînes locales qui ont relativement peu de ressources publicitaires et ne perçoivent aucune redevance… ce qui fait qu’elles ont très peu d’argent. Ce qu’on peut dire, c’est que les chaînes, les producteurs, les auteurs, on a tous fonctionné en conscience dans un système où bien souvent les apports en industrie s’éloignaient de la réalité… Tout le monde le savait mais ça permettait de faire tourner le système.

Vous voulez dire qu’ils s’éloignaient des obligations ?

Tout le monde a fait mine de respecter les obligations pour que les films se fassent, alors qu’en réalité il aurait fallu modifier les règles. Et finalement, cette campagne de contrôle déclenchée par le CNC, et qui vise à assainir les pratiques, n’est pas une si mauvaise chose, de ce point de vue. Quand il y a un système aussi foireux qui fonctionne, il faut bien que ça s’arrête un jour. Sauf qu’ils ont enclenché cette campagne au moment où il lançaient la réforme, de sorte que ses aspects positifs se sont dissous dans le brouhaha des cris d’alarme qu’ont lancés les productions qui voyaient leur demandes bloquées, leurs versements suspendus, et qui recevaient des document un peu comminatoires.

Si je comprends bien, tout cela faisait suite à 18 mois de concertations mais, dans le fond, vous n’avez pas été écoutés ?

Mon sentiment est qu’il n’a jamais été question des chaînes locales pendant ces 18 mois. Tout s’est passé comme s’il n’y avait pas de problème à ce niveau-là. Et si je me permets de le dire, c’est parce que j’ai lu le rapport Le Documentaire dans tous ses états – Pour une nouvelle vie du documentaire de création, qui a été commandité par le Ministère de la Culture à un groupe de producteurs éminents, tout à fait identifiés par la profession. Et c’est sur la base de ce rapport, dans lequel il est très peu question des chaînes locales et de leurs contributions à la vitalité du documentaire de création, que s’est appuyée la réforme du COSIP. C’est-à-dire qu’est apparue maintenant une espèce d’angle mort. Alors que ce rapport dit bien que dans un contexte de concurrence accrue avec l’arrivée de la TNT, les chaînes publiques nationales ont voulu fidéliser davantage leurs spectateurs et formater un peu plus leurs programmes avec des conséquences négatives pour la création. Tout cela est très bien analysé par le rapport mais aucun lien n’a été établi avec le fait que, pendant toutes ces années où les chaînes publiques ont effectivement resserré leurs grilles sur des documentaires globalement plus formatés, les auteurs et les producteurs qui avaient envie de continuer à produire des premiers films, des films adossés à une recherche formelle, un engagement sur leur sujet et qui ne correspondaient peut-être pas aux attentes des grandes chaînes, tout ce monde-là dont je fais également partie s’est réfugié en quelque sorte chez les chaînes locales où il n’y avait pas d’argent mais où existaient des espaces et des envies de création. Et cet aspect-là, en revanche, n’est pas du tout analysé par le rapport. Je ne sais pas ce qui a été exactement demandé aux rédacteurs mais le Ministère de la Culture et le CNC se sont privés d’une occasion de faire le lien entre ce qui se passait sur les chaînes nationales et ce qui se passait dans les chaînes locales. Résultat des courses, je pense que c’est une réforme inaboutie, qu’elle aurait tout à fait pu comporter un volet de modification des règles pour la production de films qu’on dit « fragiles » parce qu’en fait ce sont des films fauchés. Ils se sont privés de cette occasion. Ils sont en train de le faire maintenant parce qu’à force de bronca ou de fronde comme vous le dites, ils sont bien obligés de prendre en compte la réalité de la profession.

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