Si vous êtes habitués à flâner sur ce site, Stéphane Mercurio ne vous est pas inconnue… On vous a récemment proposer de voir son film « Quelque chose des hommes », on vous a aussi parlé de « Quand la caravane reste » et de « Mourir ? Plutôt crever ! ». Eh bien, voici que la cinéaste s’est aujourd’hui mis en tête de filmer Paris et ses habitants pendant tout le mois d’août, dans le calme de l’été. Et de poster quotidiennement ses découvertes sur Facebook et sur YouTube. Explications.

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C’est une tendance qui s’affermit un peu plus tous les mois : la création (documentaire) à l’intérieur même des réseaux sociaux. Twitter, Facebook ou encore Snapchat non plus convoqués pour valoriser des productions visibles sur d’autres sites, mais utilisés pour créer des récits au sein de ces plateformes. Utiliser un outil qui n’a pas été pensé dans cette optique pour raconter des histoires, susciter émotions et réflexions… Clara Beaudoux s’y est essayé avec un certain succès sur Twitter, les projets s’aiguisent sur Snapchat, et voici que Stéphane Mercurio jette son dévolu sur Facebook pour publier ses déambulations estivales à Paris. La réalisatrice nous explique : « Ça m’amuse d’essayer cette rencontre en direct avec des gens qui peuvent interagir avec moi, avec mes tournages. Ce qui a guidé cette aventure, c’est le désir, et le défi – ce n’est pas rien de tout faire seule à ce rythme-là ! ». 

Ce rythme, c’est une publication chaque jour. Photos, textes ou vidéos… Le projet « atypique, en dehors des clous… et pas facile à financer » est pour l’instant soutenu par La Générale de production. Et il pourrait devenir un film, en fonction de ce que la pêche aux images et aux sons aura donné. En attendant, c’est le portrait d’une ville par petites touches qui se dévoile progressivement… Avec ses habitants, chasseurs de Pokémon ou de carpes, qui nous accompagnent dans cette (re)découverte de la capitale…

Pour accompagner ces Parisiens d’août, nous reproduisons ici – avec son autorisation – les notes d’intention et de réalisation de la cinéaste. Manière de mieux comprendre ce qui anime sa démarche…

*

J’ai rêvé Paris en août
(note d’intention)

J’ai imaginé ce film au fil des années. Chaque fois, l’été, je découvre de petites scènes insolites. J’aperçois des hommes ou des femmes auprès desquels je pourrais m’asseoir pour écouter leur histoire ou en imaginer une autre.

L’été, plus précisément le mois d’août est un moment particulier dans les villes. Même dans MA capitale, le temps ralentit, l’activité se dilue avec cet air de vacances. J’aime l’été à Paris, il y a comme quelque chose de suspendu, de léger ou/et de désespéré. Une solitude un peu plus dense, les amours plus exaltés, les désirs plus puissants, les rencontres plus faciles, la liberté plus grande. Un air de fête.

Août est propice à la rêverie. C’est le moment où je prends le temps de regarder. Et quelles découvertes ! C’est comme ouvrir les yeux pour la première fois.

Mon désir de passer d’un rêve de film au film à venir a sans doute sa source dans les évènements du 13 novembre. J’étais au bord du canal ce jour là vers la place de la République. A quelques dizaines de mètres des terrasses dévastées, juste après la fusillade et avant l’arrivée de la police, sans rien savoir. Nous nous sommes juste étonnées avec mes deux amies du calme de ce vendredi soir… sans en comprendre le sens. A moins de 100 mètres des gens mourraient. Cela me semble impossible, incompréhensible.

En mars, j’étais à l’étranger, à Amsterdam, un homme d’une cinquantaine d’années désirait savoir si Paris avait changé. Je m’apprêtais à lui demander depuis quand il n’était pas venu. Mais j’ai soudainement compris que sa question se référait au 13 novembre. J’ai pensé que Paris pour lui s’était rétrécie à cela.

Ce film est aussi une façon de lui répondre.

Ce récit sera celui d’une ville subjective. Je suis née à Paris. Ce film sera mon regard posé avec lenteur sur la capitale. Un regard révélant à la fois une ville que je connais comme ma poche et que je découvrirai par la magie de cette déambulation. Il ne s’agit ni d’un film touristique, ni d’un film ethnographique, ni d’un film parisien, ni d’un film sur les attentats. Un film que je voudrais poétique, humain, contemplatif, exotique, drôle, étrange…

Je veux la vie de cette ville. Je veux sentir sa palpitation. Je veux regarder cette ville avec gourmandise, douceur, tendresse, avec la peur de la perdre.

Qu’est-elle donc en train de devenir avec ses mètres carrés qui s’envolent vers les sommets inaccessibles ? Elle se vide des petites gens, ceux que j’aime tant. Les gens de peu ont-ils encore une place dans ma ville ? J’aurais une attention particulière pour eux.

Regardons la ville avec ces yeux là.

Stéphane Mercurio

(Note de réalisation)

Une déambulation caméra au poing le long d’un itinéraire qui commence sous le périphérique parisien dans le parc de la Villette le 1er août et qui se terminera le 31 août quelque part, le long de la Seine, je filmerai. Toujours le long des rivages de la capitale, en suivant d’abord le canal puis la Seine.

Je marcherai chaque jour trois ou quatre heures avec une caméra, toujours à pied, seule. Je ferai donc l’image et le son. Le lendemain, je reprendrai exactement à l’endroit et à l’heure ou je me suis arrêtée la veille. Je m’accorderai 5 jours off pendant le mois d’août que je choisirai au dernier moment. Je mettrai 8 jours pour faire le tour du cadran mais le 31 août l’aventure prendra fin.

Le temps d’une déambulation urbaine au rythme de l’été. Je flânerai dans Paris afin de m’abstraire du rythme effréné de la ville et retrouver celui de ses habitants l’été. Rester au fil de l’eau est un gage de sérénité d’apaisement pour moi.

Je me laisserai guider avant tout par mes rencontres, par la lumière et les sons. Parfois, au cours de ces trois heures, je resterai presque immobile. D’autres fois, j’avancerai. Je m’adapterai à la réalité. Je prendrai le temps des rencontres avec les Parisiens du mois d’août ; le temps d’observer les petites choses minuscules, oiseaux ou papillons, plantes étranges, poissons, écharpe orpheline, paires de lunettes cassées, canettes qui témoigneront des agapes de la veille. Certains jours, ma pêche sera miraculeuse, un filet plein d’images et de mots, de sons riches d’une rencontre extraordinaire. D’autres fois, je reviendrai presque bredouille de ma promenade.

Je filmerai quoi qu’il arrive. S’il fait beau je marcherai, s’il pleut j’enfilerai un manteau de pluie à ma caméra, s’il vente un bas de soie autour du micro fera l’affaire. S’il fait nuit, les confidences affleureront sans doute plus aisément ; s’il fait froid, je grelotterai au bord du canal. A l’aube tout sera plus beau, comme chaque matin.

Je publierai ensuite quotidiennement une image, un son, une vidéo ou quelques lignes de mes déambulations parisiennes sur Facebook. Un petit instantané, comme un petit bonbon à déguster. Ces petits moments publiés sur la toile ne seront pas la matière principale du film à venir mais une mise en bouche, un partage, autre chose. Un autre récit permettant aux autres d’ajouter leur histoire ou leur souvenir au mien.

Cet échange permettra à ceux qui le souhaitent de réagir, de me proposer des pistes voire de venir à ma rencontre. Parfois je m’emparerai d’une suggestion pour en faire un tournage le lendemain. Un aller -etour dans les deux sens entre le virtuel et le réel. Un réel tout droit sorti de mes rêveries.

Stéphane Mercurio

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