Le Blog documentaire se tourne vers la télévision en ce début de semaine, avec un film très attendu ce mardi 22 janvier sur France 2. « Parloirs », le nouveau documentaire de Didier Cros, sera diffusé à 22h15 dans la case Infrarouge. Après « Sous surveillance », l’auteur poursuit son exploration intransigeante de l’univers carcéral, avec un brio certain.

Image 1Parloirs, c’est la rencontre de deux mondes dans un non-lieu. Une table, deux chaises, et 60 minutes pour garder contact, (re)nouer le lien, tenter d’établir une communication. Une mère et son fils, une femme et son mari, une fille et son père… Les rencontres entre les détenus et leurs proches se succèdent, et le réalisateur les restitue avec une poignante simplicité.

Dès l’ouverture du film, la sensation d’enfermement est palpable. Des grilles, des barreaux, des couloirs… Images de vidéo surveillance sur lesquelles s’égrènent, off, des demandes de rendez-vous par téléphone, le samedi ou le dimanche. Off encore claque le règlement intérieur du centre de détention de Châteaudun qui vient à plusieurs reprises scander la narration. Implacables règles qui encadrent ces rendez-vous entre l’intérieur et l’extérieur de la prison.

Une mère attend, assise derrière une table, le regard perdu. S’ouvre la porte, rentre son fils et son visage s’illumine. C’est le seul contact avec le monde extérieur pour le détenu, et un moment difficile pour les proches des prisonniers quand ils se heurtent à un mur de silence, ou d’indifférence. Leur désarroi, et le désarroi des mères en particulier, est désarmant.

De quoi parle t-on dans un parloir ? Des conditions de vie derrière les barreaux, des nouvelles de tel ou tel membre de la famille, des relations avec les surveillants, de l’avenir aussi. « L’essentiel, ce n’est pas de sortir, c’est de ne plus rentrer », entend-on.

On y voit également de la distance dans la proximité. Didier Cros filme la rencontre de solitudes qui se croisent, se regardent, se touchent, mais qui restent irréductibles. L’intimité se joue dans un lieu impersonnel et exigu où le temps suspendu du monde révèle les frustrations et les souffrances. Les larmes des proches à l’heure venue de la séparation sont un déchirement sur lequel le réalisateur s’attarde avec la juste retenue qui caractérise sa démarche.Image 3Le dispositif filmique est d’une rigueur élémentaire. Respect de l’anonymat des détenus oblige, le cinéaste s’est ingénié à cadrer des mains, des silhouettes, des nuques, avec une remarquable inventivité. Le visage et l’histoire personnelle des condamnés restent en dehors du cadre. L’intérêt du réalisateur se concentre sur la parole, et l’échange. Paroles d’autant plus lourdes et fortes qu’elles sont rares. Et les émotions que l’on devine sur le visage des visiteurs suffisent à rendre ces Parloirs saisissants.

Si la narration du documentaire est un peu systématique dans son alternance entre les scènes de rencontres et leurs coulisses, elle n’en demeure pas moins remarquablement efficace. Filmer un an dans un endroit où, théoriquement, on n’entre pas, place de fait le spectateur dans une position critique. Et c’est ce qui importe : projeter ses propres questionnements sur la prison à travers ce documentaire. Après Sous surveillance, Didier Cros confiait déjà au Nouvel Obs : « Le citoyen n’a pas d’éléments pour penser la prison, absente du discours politique comme des représentations médiatiques, contrairement à l’hôpital, l’école ou la police… ». Et d’ajouter dans un récent entretien au Monde : « Il est beaucoup plus facile pour le spectateur de s’identifier à un visiteur qu’à un détenu, dont la parole n’est pas audible car jugée non valable. Par le biais des familles, le parloir permet donc au spectateur de se projeter dans la problématique carcérale ». 

Ce documentaire est aussi un document exceptionnel. Jamais une caméra n’avait pu filmer si longtemps ces scènes de parloirs. Jamais aussi peut-être un cinéaste a pu s’immerger aussi longtemps dans l’univers carcéral. Il y a un peu de Wiseman dans cette démarche. Didier Cros est resté un an dans le centre de détention de Châteaudun. Trois mois sans caméra pour se faire accepter, et nouer des relations de confiance avec les détenus comme avec les surveillants. Ce temps, ce travail sur le temps et avec le temps, c’est l’une des richesse du documentaire, sans doute son matériau premier, et la promesse d’une expérience cinématographique juste.

« Mon métier, c’est l’apprentissage de l’autre, explique Didier Cros dans un entretien à Télérama. Seul le temps passé fait exploser la vérité humaine. Alors, il faut mettre les mains dedans. Quand la rencontre est réussie, le film l’est. Un documentaire est une rencontre accélérée. Il met la personne filmée dans un point d’ébullition. C’est dur d’accepter de se livrer. De tolérer dans la longueur un regard sur soi. La fin du tournage est un électrochoc. Si l’autre le sollicite, on a l’obligation morale de l’accompagner. »

Le diptyque Sous surveillance / Parloirs, produit par Ladybirds Films, sera prochainement édité en DVD, avec de nombreux bonus dont certains sont déjà présents sur le site du Monde. Parloirs sera donc diffusé ce mardi sur France 2, puis disponible pendant 7 jours sur Pluzz. Une avant-première du documentaire se déroulera par ailleurs ce lundi 21 janvier au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris.

Cédric Mal

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