C’est LA nouvelle technologie qui agite en ce moment de nombreux créateurs dans le monde, et qui s’invite donc sur Le Blog documentaire Si la réalité virtuelle n’est pas neuve, le développement – et bientôt la commercialisation – de nouveaux casques promettent monts et merveilles à l’industrie du divertissement et aux spectateurs. Les auteur-e-s de documentaires sauront-ils s’en emparer ? Des expérimentations sont en cours… En attendant et à l’heure où s’ouvre l’exposition Home Cinéma au festival EXIT de Créteil, voici les derniers progrès en la matière, recueillis il y a quelques jours au festival South By Southxest d’Austin, Texas.

logo-SXSWApparu en 1987 comme un petit festival de musique, adjoint dès 1994 d’une partie « Film & Multimedia », SXSW est devenu célèbre dans le monde du numérique pour avoir assisté au lancement de Twitter et de Foursquare, respectivement en 2007 et 2009.

Depuis, les annonces et les nouvelles applications se multiplient à chaque nouvelle édition. Sans forcément bouleverser la face du web, le festival offre à un instant T un regard transversal sur les tendances du numérique, toutes catégories confondues ; du cyber-harcèlement au e-sport en passant – proximité des mondes du cinéma et de la musique oblige – par les nouvelles formes de création interactive et immersive.

Strangers-©felix&paulLe virtuel devient réel

En 2015, plus de trace de Google Glass sur le nez des festivaliers. Désormais, on ne parle plus que de réalité virtuelle, alors même que les casques ne sont toujours pas commercialisés au grand public – excepté le Samsung Gear VR et d’autres de marques peu connues, qui nécessitent d’y inclure un smartphone pour pouvoir fonctionner.

Découverte l’an dernier dans l’exposition Game of Thrones ou avec Strangers with Patrick Watson, la réalité virtuelle, raccourcie sous le terme générique de VR, s’est immiscée cette année dans toute la ville, à travers différents stands et conférences.

Plus d’une vingtaine de rencontres comprenaient cette année le terme « VR » dans leur intitulé. Dans une salle bondée, le panel d’Oculus, en présence des fondateurs du casque de réalité virtuelle racheté rubis sur l’ongle l’an dernier par Facebook, se tenait un peu à part du cœur du festival, de l’autre côté du fleuve, dans la très populaire Gaming Expo, ouverte gratuitement au public d’Austin.

Leur intervention dans ce lieu précis témoigne de la priorité pour la firme d’axer le développement de sa plateforme vers le jeu vidéo, comme le confirme Palmer Luckey, le fondateur d’Oculus : « Oculus will be very focused on gaming but not only ».

Oculus l’a bien compris : pour promouvoir ce nouveau médium et le rendre plus pérenne qu’une paire de Google Glass, il faut produire du contenu adapté, disponible au moment de la sortie des casques. Afin que la réalité virtuelle devienne une expérience narrative accessible au grand public, et pas uniquement du jeu vidéo à sensation.

360 degrés de contenus

L’an dernier, Oculus a noué une alliance avec Samsung pour développer un autre type de casque, où la VR serait accessible à partir des téléphones Android de la marque.

Pour l’occasion, les deux marques ont demandé au duo québécois Félix & Paul, précurseurs de la vidéo 360°, de produire différentes œuvres.

Herders-©felix&paulTourné dans les vastes plaines de Mongolie, Herders nous plonge dans la vie quotidienne d’une famille d’éleveurs mongols : on partage leur repas dans une yourte traditionnelle, on assiste à une répétition musicale impromptue avant de traverser un troupeau de chevaux sauvages.

Dans Wild, tourné pour accompagner le film éponyme de Jean-Marc Vallée produit par la Fox, nous nous retrouvons cette fois au cœur de la forêt américaine. Nous contemplons une scène de fiction, qui s’intègre dans l’histoire racontée par le film. Reese Witherspoon apparaît dans l’arrière plan et sa voix envahit notre casque. Une apparition fantomatique apparaît alors – mais seulement si l’on tourne la tête dans la bonne direction.

Les deux québécois prolongent ainsi le dispositif mis en place dans Strangers : un plan-séquence immobile, où le spectateur-voyeur se retrouve littéralement au cœur de la scène ; qu’il s’agisse du studio d’enregistrement d’un musicien ou d’une scène de retrouvailles mère-fille.

Enfin, le troisième projet de Félix & Paul présenté cette année marque leur partenariat avec une marque de bière mexicaine, Dos Equis qui, à l’occasion du début du Carnaval, a proposé dans certains bars de La Nouvelle-Orléans la première expérience brand content de réalité virtuelle.

La scène se situe dans un salon d’une maison luxueuse où la fête bat son plein. Les invités affluent, tous déguisés et masqués, et le maître de maison, « The Most Interesting Man in the World », mascotte récurrente de la marque, finit par s’adresser directement à nous, dans un regard face « caméra ». La publicité se conclut en marquant l’analogie entre le Carnaval et la VR : « Les choses deviennent plus intéressantes lorsque l’on est masqué ».

La VR comme outil marketing

De même que Dos Equis, les grandes majors hollywoodiennes ont vite compris l’intérêt de la VR comme un moyen d’attirer l’attention et le « buzz » sur le spectacle offert dans leur film.

Après Game of Thrones et Black Storm l’an dernier, c’est Interstellar (Paramount) qui promouvait à SXSW la sortie de son Blu-Ray à travers une tente dédiée et une expérience de balade en 3D dans le vaisseau en gravité zéro.

Du côté de Lionsgate, le deuxième opus de la saga Divergente, sorti ces jours-ci sur les écrans du monde entier, faisait également l’objet à Austin, et dans quelques villes américaines, d’une expérience de réalité virtuelle, Insurgent : Shatter Reality, hébergée sur le stand Samsung et accessible à partir de téléphones Android.

Enfin, chez Google, dans la Google Fiber House, on pouvait s’inscrire (l’attente était longue) pour expérimenter Birdly, simulateur unique en son genre puisqu’il permet de voler comme un oiseau au-dessus de San Francisco – un passage secret permet même d’accéder aux Alpes suisses.

Pour répondre au succès international de cette expérience créée au sein de l’Université de Zurich puis exposée au Festival Tous Ecrans, à Sundance et au SXSW, les deux créateurs ont d’ailleurs fondé une start-up.

Journalisme et porno

Le cinéma n’est pas le seul à s’intéresser à la réalité virtuelle. L’industrie du porno, souvent pionnière dans l’appropriation des technologies numériques, du streaming HD en passant par la 3D, compte d’ores et déjà plusieurs expérimentations sur Oculus. L’une des conférences a même prédit que la VR allait s’imposer comme le futur de la pornographie, jusqu’à remplacer les rapports sexuels réels, si on l’associe à une technologie tactile et connectée.

Plus intriguant, le journalisme, et précisément Vice News, s’est déjà emparé de la question. Chris Milk, prodige du clip et de la vidéo interactive (The Johnny Cash Project, The Wilderness Downtown), a récemment fondé VRSE, société de production et de distribution d’œuvres VR, et multiplie les collaborations avec des partenaires aussi variés que les Nations Unies, pour filmer un camp de réfugiés syriens, ou Annapurna Pictures, la société de production menée par Megan Ellison (Foxcatcher, Zero Dark Thirty, The Master).

Milk s’est donc ainsi associé à Vice et au cinéaste Spike Jonze pour aller filmer, en décembre dernier, une séquence 360° au milieu d’une manifestation newyorkaise contre les exactions commises à Ferguson. Au milieu de 60.000 manifestants, l’immersion est immédiate.

SpikeJonze-ChrisMilk-©Vice

« My hope is that VR is the tool we need to stir more compassion for one another » professe Chris Milk, croyant fermement que la réalité virtuelle a le potentiel de bouleverser le journalisme.

À la manière de Meerkat, l’application de streaming en direct sur Twitter, star de SXSW 2015, le journalisme VR pose un regard brut, sans filtre, sur l’actualité. Une sorte de journalisme gonzo ultime, un réel sans cadre où l’internaute se retrouve propulsé à l’intérieur même de l’action.

Au-delà du challenge technique que cela représente (on est loin des plans-séquences paisibles de Félix & Paul), la question de la représentation et de l’éthique se pose alors. Le fait de représenter la vérité sans filtre la rend-elle neutre pour autant ?

Comme au temps des minutes Lumière, la position d’éditorialiste ou d’artiste réside alors dans le choix du point de vue, ne serait-ce que par l’endroit où l’on choisit de poser sa caméra.

Plan-séquence sans hors champ, la réalité virtuelle va devoir se créer sa propre grammaire visuelle, forcément différente de celle du cinéma dit « traditionnel » : comment se déplacer ? Comment passer d’un plan à un autre, d’un lieu à un autre ?

En attendant le grand public

Aujourd’hui, l’audience n’existe pas encore ; si seulement 200.000 personnes auraient expérimenté la réalité virtuelle jusqu’ici, on estime que ce nouveau médium pourrait toucher jusqu’à 178 millions de personnes d’ici à 2018.

En attendant, la plupart des expériences VR sont conçues pour être visibles en installation, comme Game of Thrones et ses cabines d’ascenseur pour grimper en haut du Mur, Birdly et son dispositif ailé, Interstellar et ses sièges vibrants.

Alors que les casques et autres Google Cardboards commencent à se développer, les applications du type VRSE offrent une double possibilité à leurs détenteurs : visionner le film en « simple 360° » en dirigeant l’appareil autour de soi, ou enfiler une paire de lunettes et passer en mode VR.

Chez ARTE, l’application Polar Sea 360 ainsi que Blanca Li 360° permettent déjà cette double option.

BlancaLi-©ARTEAttendus pour la fin de l’année 2015 ou le début de l’année suivante, les casques Oculus, mais aussi Vive (HTC) ou Morpheus (Sony), promettent tous monts et merveilles aux joueurs et autres aficionados de la réalité virtuelle : image plus nette, moins de flou lors des mouvements, fin de la sensation de mal de mer, etc.

En attendant, les producteurs de contenus, éditeurs de jeux vidéo et majors hollywoodiennes en tête, se pressent pour ce qui s’annonce être la révolution « la plus intéressante du monde » pour les industries créatives…

Oriane Hurard

A ne pas manquer

L’exposition « HOME CINÉMA » présente, à travers plus de 30 œuvres entre installations et réalité virtuelle, la manière dont la pratique cinématographique est bouleversée aujourd’hui.

Du 26 mars au 5 avril à Créteil.

Du 26 avril au 30 août 2016 à Lille.

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