Le Blog documentaire, partenaire du Sunny Side of the Doc de La Rochelle, vous présente ici l’édition 2012 de l’événement avec son commissaire général, Yves Jeanneau. Nouveauté : l’entretien est également disponible en anglais !

ENGLISH VERSION HERE !

Le Blog documentaire : Le Sunny Side, qui s’ouvre ce mardi 26 juin 2012 à La Rochelle, s’intitule cette année « Résistances, support the power of documentary ». Pourquoi cette porte d’entrée ?

Yves Jeanneau : Le point de vue du Sunny Side n’est pas français ou européen ; il est global. Et force est de constater que l’année dernière a été marquée par des bouleversements majeurs, notamment dans le monde arabe. Résistances, donc, au pluriel, parce que nous vivons dans un monde en crises, particulièrement au Moyen-Orient. Résistances, c’est aussi de mon point de vue l’une des caractéristiques ontologiques du cinéma documentaire. C’est son côté rebelle. A chaque crise ou presque, on assiste à un regain de la communauté internationale du documentaire. Il émerge une responsabilité nouvelle.

Concrètement, nous avons assisté, avec les Printemps arabes, à l’émergence de nouveaux acteurs qui ont fabriqué des documentaires comme jamais auparavant. Ils ont utilisé leurs téléphones portables parce qu’ils ne disposaient pas d’autre matériel. Dans les villes, dans les campagnes, on a très rapidement réalisé de nombreux de films, parfois diffusés sur des chaînes bricolées, parfois vus en festivals ; ce qui a provoqué des rencontres, des discussions et des échanges qui n’existaient pas. Le documentaire est ici un outil de résistance au sens le plus concret du terme. Aujourd’hui, ces acteurs se fédèrent, ils se rassemblent pour former une nouvelle communauté moyen-orientale qu’il convient d’accompagner.

De quelle manière justement le Sunny Side 2012 va-t-il rendre compte de ce mouvement ?

Ce mouvement  est compliqué à saisir parce qu’il est spontané. Il n’existe aucun support organisationnel, aucun CNC… Les chaines de télévision sont parfois aussi nouvelles que les producteurs. Nous allons rendre compte de cet élan à La Rochelle, en offrant notamment un espace de rencontres à ces nouveaux acteurs. Il y aura cette année indéniablement plus de producteurs et de diffuseurs en provenance du Maghreb et de l’Afrique.

Nous réfléchissons aussi à l’éventualité d’un Sunny Side délocalisé sur ce continent, comme c’est le cas en Asie ou en Amérique Latine. C’est un travail qui devrait prendre du temps, mais je pense que c’est stratégique. Aujourd’hui, nous discutons avec des acteurs du Qatar, d’Abu Dhabi, de Dubaï, du Maroc, de Tunisie… Nous avons aussi des interlocuteurs en Turquie ou en Iran . Nous pensons pouvoir les aider à s’organiser collectivement, à se structurer.

Le thème du Sunny Side 2012 – Résistances – est aussi une lecture géopolitique du documentaire, sur une ligne Nord/Sud. Pour simplifier, on pourrait dire que le centre de gravité s’est déplacé de l’Atlantique nord au Pacifique. A l’Ouest, principalement aux Etats-Unis, le documentaire est presque devenu un gros mot. C’est une vieille lune, quelque chose de déprécié. Aujourd’hui, on y réalise d’autres formats, souvent très bons, qui prennent la place du documentaire. En France, il y a une résistance, une lutte pour ne pas confondre le documentaire avec d’autres programmes.

J’aurais pu décider que le Sunny Side devienne le lieu de tous les « factuals » par exemple. On peut estimer que le documentaire regroupe tout ce qui traite du réel, que ce soit scénarisé ou non. On peut penser qu’on a le droit de coller le réel sur un scénario écrit en amont. On peut alors tout prévoir :  l’histoire d’amour, la rupture, etc. J’ai choisi de ne pas m’intéresser à ce genre de produits. J’ai choisi la ligne de résistance. Commercialement, c’est idiot, mais d’un point de vue historique, ça l’est beaucoup moins.On va donc voir de nouveaux acteurs au Sunny Side 2012. Il y aura des rencontres, des échanges, et des séances de pitchs. Concrètement, qu’est-ce qui fait un bon pitch ? Quelle est la meilleure manière de présenter son projet ?

C’est une question simple, mais la réponse est un peu plus compliquée. Grosso modo, tout le monde a appris à pitcher aujourd’hui. L’exercice dure 7 minutes environ, et on sait ce qui doit être dit, et ce qui doit être tu. Ce qui me frappe, c’est que tous les pitchs sont construits sur le même modèle, souvent de manière un peu mécanique : une accroche de 45 secondes, une bande annonce généralement réduite à 2 minutes, puis la présentation des personnages, de la spécificité du projet avant de terminer par des indications de production dans la dernière minute. Cette standardisation du pitch, c’est ce qui rend la démonstration efficace –  une entrée, un plat, un dessert – mais c’est aussi ce qui peut le rendre rébarbatif.

Assister à un bon pitch aujourd’hui, c’est rencontrer quelqu’un qui n’a pas l’air de faire de récitation scolaire. C’est rencontrer quelqu’un qui nous donne à penser, et à croire qu’il a un vrai désir de film, qu’il propose une histoire étonnante, et qu’il est hors des sentiers battus. Un peu rebelle, donc. Résistances, là encore…

Les projets qui ont été primés à l’Asian Side présentaient toutes ces caractéristiques. Le réalisateur chinois qui a remporté le grand prix croyait vraiment en son film. Il présentait de surcroît une bande annoncé très bien montée, avec des images magnifiques – c’était déterminant. Et il n’avait jamais pitché de projets.

Autre indication sur cette édition 2012 du Sunny Side : une large place est accordée à l’Allemagne et aux coproductions européennes ?

C’est un positionnement stratégique. Comme je le disais tout à l’heure, le curseur s’est déplacé de l’Atlantique nord vers le Pacifique, et si l’on parle de l’espace européen, il s’est également déplacé de Londres vers la forêt noire. L’Allemagne est devenue aujourd’hui une plateforme de coproduction intra-européenne plus importante que l’Angleterre ou la France. Il s’y monte des projets avec les pays scandinaves, avec les pays de l’Est de l’Europe, avec la France, la Suisse, le Benelux, et dans une moindre mesure avec l’espace méditerranéen. Cela concerne d’ailleurs aussi bien des coproductions pour le cinéma ou pour la télévision.

Dans les modes de productions, de financement ou d’écriture, il existe un dynamisme et une diversité plus importants en Allemagne qu’en France. Les chaines allemandes sont plus nombreuses, plus variées que chez nous. L’offre régionale est également plus importante, ce qui concourt à « fluidifier » le marché – alors qu’en France, ce secteur tend à se réduire. Ce qui se passe du côté des acteurs allemands a un effet domino qui impacte l’ensemble du système. Faire un focus sur l’Allemagne, c’est donc une démarche pour relancer la réflexion sur le documentaire dans le l’espace européen. J’ajoute qu’avec Arte, les producteurs allemands, français et européens ont besoin de se parler et de se rencontrer, et c’est ce que permet notamment le Sunny Side.

Cette année, le Sunny Side s’est associé avec Cuban Hat sur des projets de webdocumentaires. S’intéresser aux « nouvelles écritures », c’est aussi une forme de résistance ?

Oui, bien sûr. Cela fait déjà plusieurs années que nous discutons du webdoc ou du transmedia, et ça piétine toujours un peu, notamment en raison de l’absence de modèle économique. Ce qui n’est pas grave. Il se monte des projets, dont certains sont intéressants, mais on est encore en phase de recherches et développement. Cela dit, c’est le rôle du Sunny Side de s’y intéresser. On va poser toutes les briques existantes, et chacun pourra alors construire son petit mur. Cela fait trois ans que nous sommes présents sur ce secteur précis, et cette année j’ai pensé qu’il était temps de faire un pas supplémentaire en lançant un appel à projets.

Nous allons mettre tous les outils du Sunny Side en œuvre pour que ces projets puissent circuler, et être discutés. Nous utilisons ici avant tout Internet pour ce qu’il est ; c’est-à-dire un lieu d’échange et de rencontres. Chacun a pu y proposer son projet. Les meilleurs, ceux qui ont remporté le plus de suffrages, seront présentés à La Rochelle. Il y aura des rencontres, mais elles ne seront pas organisées sous la forme traditionnelle du pitch. Grâce aux « vidéo-pitchs » qui sont en ligne, on pourra expliquer à Dailymotion, Arte ou France Télévisions que tel projet a reçu x milliers de votes. C’est une belle rampe de lancement.

D’une manière plus générale, pensez-vous qu’Internet puisse devenir un élément indissociable de la production d’une œuvre documentaire, notamment du point de vue de la diffusion ?

Sans doute, mais les mentalités évoluent très lentement sur ce type de sujet. Le même phénomène s’est produit il y a 20 ans avec les tenants de la télévision et ceux qui ne croyaient qu’au cinéma. Les réticences à penser la télévision comme espace de diffusion – trop petit, trop tard, trop populaire – ont eu la vie longue. C’est la même chose pour Internet aujourd’hui. Il y a les convaincus, et ceux qui ne connaissent pas l’outil ne font pas l’effort de tenter de l’apprivoiser. De la même manière, ceux qui méprisaient la télévision ne la regardaient pas !

Aujourd’hui, Internet souffre peut-être de son image de plateforme générale où l’on trouve tout et n’importe quoi. Certains auteurs ne veulent pas que leur film soit noyé parmi d’innombrables flux. Bien évidemment, tout le monde ne réagit pas ainsi, et c’est peut-être d’ailleurs une question de génération.

Je pense qu’il faut être très pragmatique. « Dis-moi quel film tu fais, dis-moi pourquoi tu fais ce film et on pourra discuter ensuite de la meilleure manière de le diffuser ». A chaque film sa stratégie. On ne peut pas faire de hiérarchie entre les médias. J’ajoute que, souvent, la diffusion doit aussi être une démarche militante. Le film de Christian Rouaud par exemple, Tous au Larzac, a dépassé 120.000 entrées en salles. Je ne sais pas ce qui a été fait sur Internet, mais il est certain qu’un super travail a été effectué sur le terrain.

Internet est un outil merveilleux pour ces démarches dites « militantes », mais il manque peut-être quelque chose pour fédérer des communautés sur le long terme. Cela dit, si le public d’un film est très ciblé, il serait dommage de se priver des ressources d’Internet. Les projets qui misent sur le long terme pour être vus et (re)connus devraient aussi y penser. Il faut explorer les possibilités dans tous les sens. Par exemple, pourquoi ne pas utiliser Internet en amont du film ? C’est une question qu’il faut réfléchir.

Propos recueillis par Cédric Mal

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