C’est le genre de documentaire inévitablement précédé d’une attente peu commune. Il sera à n’en point douter scruté par les adeptes du genre, mais aussi par les éditorialistes de tout bord et par l’ensemble des observateurs de la vie politique française. Deux ans après avoir suivi, dans les « Gens du Monde », les journalistes du quotidien du soir pendant la dernière campagne présidentielle, et cinq ans après « Le Président« , Yves Jeuland se glisse dans les arcanes de l’Elysée pour une exploration autorisée de la mise en scène du politique.

Le film, dont Le Blog documentaire a eu la primeur lors d’une toute récente projection parisienne, sera diffusé en prime time sur France 3 le 28 septembre prochain. L’édition DVD, agrémentée de 60 minutes de bonus, sortira le jour même, tout comme le dispositif web qui accompagne le programme. Six projections-débats, en présence du réalisateur, se tiendront auparavant dans plusieurs villes de France (précisions ci-après).

Capture d’écran 2015-09-03 à 23.06.33Ne vous attendez pas à voir un documentaire sur François Hollande. Ni un film qui vous place aux premières loges de toutes les décisions politiques. Un temps de président scrute plutôt la manière dont la parole présidentielle se compose, s’élabore et s’articule, comment elle naît, comment elle se structure, circule, et se transmet. Comment construit-on, aussi, l’image d’un chef d’Etat ? Comment règle-t-on ses apparitions ? Le documentaire d’Yves Jeuland nous plonge ainsi dans les coulisses de la communication propre à la fonction présidentielle, dans ce temps si particulier (politique, pas météorologique) qu’il faut gérer contre vents et marées. Et à quelques exceptions près, le réalisateur filme davantage des costumes que des personnages.

Tour de contôle

Pivot incontournable du dispositif élyséen et figure centrale du film : Gaspard Gantzer, conseiller en communication de François Hollande depuis avril 2014 et l’éviction d’Aquilino Morelle. Celui qui décrypte l’écriture parfois tortueuse du Président, celui qui redresse les tords, distille les indiscrétions et relaie la parole présidentielle aux journalistes qui eux-mêmes la relaie sans coup férir et en concert sur leurs antennes. L’homme, finalement, qui se cache derrière une formule – « selon l’entourage du Président », et dont la présence derrière son bureau avec vue sur cour élyséenne ne cesse de ponctuer la narration de ce film.

L’omniprésence du conseiller (l’un des initiateurs du film aussi, visible jusque dans les dernières images du documentaire) révèle un président corseté par la communication. La contrainte n’est pas nouvelle, et elle est ici captée avec finesse. Téléphones, tablettes, journaux, photographies – dont le Président lui-même semble se délecter… et jusqu’à ce tweet imaginaire malicieusement inséré par la production dans le corps du film : tout est ici affaire de (maîtrise du) discours. Et François Hollande n’est pas en reste, présent jusque dans le car qui régit son allocution du 31 décembre 2014…

GG fenêtre
Gaspard Gantzer, à son bureau – © Yves Jeuland/La Générale de Production

Intérieur/extérieur

Yves Jeuland a exploré ces coulisses autorisées du pouvoir entre août 2014 et février 2015, du discours sous la pluie à l’île de Sein aux attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de Vincennes. Six mois de travail, 40 jours de tournage pour un film de 104 minutes dans lequel, malgré ce temps d’immersion, la parole présidentielle reste rare (« Il est avare de mots parce qu’il pense à l’après », entend-on). Les échanges avec le chef de l’Etat sont brefs, ou alors il s’agit d’un entretien accordé au Monde, d’une fête de Noël ou d’une réunion avec des députés PS à l’Elysée (notable incursion dans ce film du monde « extérieur » au Château…).

La caméra, elle, observe le ballet des corps dans le Palais ; huissiers, ministres, personnel administratif… Les êtres en mouvement, les allées et venues, les ombres gigantesques des conseillers qui se déplacent à la nuit tombée sur les murs de l’Elysée. Elle scrute aussi les détails, comme autant de signes pour décrypter ce qu’il se joue dans ce petit monde feutré. Le téléphone qui capte mal dans l’Elysée, le poing victorieux de Gaspard Gantzer à l’annonce de la promotion d’Emmanuel Macron, la tasse du Petit Journal perdue au détour d’un bureau… Là encore, tout est affaire de communication.

FH en voiture
François Hollande, dans sa voiture – © Yves Jeuland/La Générale de Production

Intruse mais autorisée, la caméra d’Yves Jeuland s’impose. On devine une présence massive derrière le cadre. Le premier plan du film l’expose : l’appareil de prise de vue est à l’intérieur du Palais quand le Président est encore à l’extérieur. Il pénètre dans les lieux, fait mine de ne pas la voir puis escalade les escaliers quatre à quatre. Il esquive ainsi régulièrement l’appareil, mais ne l’oublie manifestement jamais. Disons qu’il en joue de manière discrète…

Même phénomène après un déplacement de rentrée : la caméra l’attend dans la voiture. Elle lui pré-existe. C’est sa raison d’être, fondamentalement, dans ce film. Manuel Valls, lui, toise cet étrange objet de loin, méfiant de ce qu’il pourrait capter de lui. Tout doit rester maîtrisé, et cette caméra qui n’est pas estampillée du logo de BFM ou d’iTélé doit paraître bien indocile. Imprévisible. Volatile, même. La science du montage de Lizi Gelber donne parfois le tournis au spectateur. Sentiment d’ubiquité alors même que tout est filmé avec une seule caméra…

La problématique du off

Le film est dénué de toute interview, capté dans la veine du « cinéma direct ». Seule la bande son échappe à cette « prise sur le vif ». La musique, d’abord, omniprésente à l’amorce du film et qui se fait ensuite plus discrète. S’agissait-il de « donner du rythme » à la narration dès les premières séquences du documentaire ? L’effet, à ce stade, est dissonant par rapport aux enjeux. Agaçant même, quand cette bande sonore vient masquer les paroles que s’échangent les ministres du nouveau gouvernement Valls sur une terrasse de l’Elysée. Étonnamment d’ailleurs, les seuls propos rendus intelligibles par l’insertion de sous-titres sont les conseils surprenants qu’échangent le Président et le Premier ministre avec la nouvelle ministre de la Culture Fleur Pellerin…

Si la musique empêche ici d’entendre, camoufle et pose question sur l’identité du chef d’orchestre, elle remplit bien sûr des fonctions plus dramatiques par ailleurs – et c’est admirablement le cas lors du solo de batterie qui accompagne la venue des chefs d’Etat étrangers à l’Elysée le 11 janvier 2015.

Mains 11 janvier
L’image-clé du film – © Yves Jeuland/La Générale de Production

La radio vient également semer le trouble à plusieurs endroits du récit. Le réalisateur convoque ce support pour contextualiser les événements, en insérant des extraits de journaux d’actualités sur certaines séquences. Louable didactisme, qui marque aussi la prégnance des médias sur le temps (du) politique, mais le point d’écoute, lui, n’est jamais signalé. Nous ne savons pas d’où émanent ces sons. Qui parle ? Et à qui ? On l’imagine, bien sûr, mais un doute subsiste, et il dérange. Gaspard Gantzer écoute t-il les sons qui retentissent dans son bureau ? François Hollande entend-il cet extrait dans sa voiture le jour où son ex-compagne sort son livre si fracassant ? Le documentaire ne donne pas de réponses.

Ironie du procédé, c’est lors d’une séquence tournée dans l’enceinte de France Inter, en live, que l’on perçoit sans doute le plus manifestement les pouvoirs du « cinéma direct » débarrassé de ses béquilles sonores. Filmée comme elle-même ne sait pas le faire, la radio devient le théâtre d’une réjouissante joute entre le Président et les journalistes qui l’interrogent. Le ton est vif, les mots ne sont plus policés. Les idées fusent, s’achoppent, s’enchaînent et s’entraînent. Fulgurante et salutaire séquence à cet instant du film…

Mise en scène

Il y a de la tension, de l’émotion et de la grâce (celle de Jean-Pierre Jouyet) dans Un temps de président. Quelques fulgurances, aussi, que nous ne vous dévoilerons pas ici… Et au terme de ces 104 minutes de film se dessine aussi en creux les limites contemporaines de la représentation du pouvoir à l’écran. Au delà même du secret d’État, ce film dit parfois ce qu’il n’a pas pu ou voulu dire. Dans les coulisses autorisées de l’Elysée, on ne peut sans doute représenter que la mise en mots et en image du politique. « On ne peut pas filmer le pouvoir, on ne peut filmer que des rituels », expliquait Patrick Rotman après son documentaire filmé dans le même lieu et (presque) avec les mêmes « acteurs » en 2012. Reste la question de la mise en scène, dont on ne sait finalement jamais très bien qui la conduit…

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Une image du livre interactif – © Sébastien Calvet

Voir au-delà du film

C’est justement à une nécessaire – et salutaire – mise en perspective du film que se sont livrés les producteurs de La Générale de Production dans le dispositif transmédia conçu autour et à partir du documentaire d’Yves Jeuland. Un site web – qui pourrait éventuellement devenir une application – et un livre interactif viennent très pertinemment « compléter » la proposition initiale en y puisant partie de leurs substances.

Sur Internet, le PrésidenScope, développé avec France Télévisions Éducation, explorera les relations que les différents présidents ont entretenues avec les médias en général, et la télévision en particulier. A partir de 60 minutes d’archives plutôt rares et assez savoureuses, 14 motifs déclinent les passages obligés de la communication présidentielle à travers les âges (arbre de Noël, visites aux entreprises, voyages d’Etat, etc.). Des vidéos – pépites, pour certaines – commentées et mises en regard du film d’Yves Jeuland pour « un accès simple, documenté et ludique aux grands moments de la communication poliyico-audiovisuelle des sept présidents de la Vème République ».

© Sébastien Calvet
François Hollande dans l’oeil du viseur © Sébastien Calvet

Images du pouvoir, pouvoir des images

Le livre interactif, baptisé Elysée en scènes, confronte les photographies de Sébastien Calvet aux décryptages de celui-ci et aux éclairages de l’historien Christian Delporte. Il s’agit ici de déconstruire les images du politique en les (re)contextualisant, aussi bien par l’état d’esprit du photographe au moment de la prise de vue que par des considérations sociales plus conjoncturelles. Manière d’interroger la représentation et la mise en scène de la fonction présidentielle dans un écrin très intuitif qui propose une navigation souple, agréable, dotée d’une interactivité contrôlée pour une lecture confortable. En se focalisant parfois sur l’avant et l’après de l’instant décisif, la proposition constitue un contre-champ bienvenu au documentaire d’Yves Jeuland.

Un DVD renforcé par 60 minutes de bonus sera également disponible fin septembre. On y appréciera notamment le « débrief » après la matinale de France Inter à laquelle le Président de la République a participé. La séquence fera sans doute parler, mais vous l’aurez compris, ce n’est pas là l’essentiel…

Projections-débats

– Le 7 septembre à 20h30 à Pessac (cinéma Jean Eustache) ;
– Le 9 septembre à 20h30 à Toulouse (cinéma ABC) ;
– Le 10 septembre à 18h15 et 21h10 à Carcassonne (cinéma Le Colisée) ;
– Le 11 septembre à 17h50 à Montpellier (cinéma Le Diagonal) ;
– Le 23 septembre à 20h30 à Blois (cinéma Les Lobis).

2 Comments

  1. Si votre objectif était de filmer les coulisses du  » pouvoir », je pense que vous vous êtes trompés d’endroit.

  2. Pingback: "Edouard, mon pote de droite" filmé par Laurent Cibien, plutôt de gauche (France 3) - Le Blog documentaire

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