C’est un événement assez rare et délicieux qu’organise Documentaire sur grand écran, avec lequel Le Blog documentaire a la joie de s’associer. Alain Cavalier présente, ce lundi 30 septembre à Paris, son documentaire « Vies », réalisé en 2000. Petit bijou de cinéma que « l’honnête filmeur » se fera un plaisir de discuter avec vous.

Comme d’habitude pour ces séances, 10 places gratuites sont à gagner pour assister à cette belle soirée. Pour cela, une seule adresse: leblogdocumentaire@gmail.com. Un tirage au sort départagera vos réponses…

Et en guise d’introduction : un extrait d’une analyse parue en 2006 dans la revue IMAGES documentaires, suivi de quelques mots du cinéaste…

[A noter que la photo de Une de cet article est signée Olivier Roller]

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« L’avenir du Cinématographe est à une race neuve de jeunes solitaires qui tourneront en y mettant leur dernier sou et sans se laisser avoir par les routines matérielles du métier ». Alain Cavalier a certainement entendu (et écouté) Robert Bresson puisqu’il a lui-même clairement choisi cette voie depuis de nombreuses années. Celle d’un cinéaste solitaire qui filme en marge des contraintes inhérentes à la fabrication classique d’un cinéma engoncé dans de lourdes pratiques (dont il a pourtant été l’un des artisans dans les années 60). L' »honnête filmeur » s’est délibérement écarté de ces sentiers pour retrouver une certaine fraîcheur cinématographique. Désormais, il ne filme plus de visages d’acteurs maquillés. Il préfère écrire à la façon d’un artisan, avec cette caméra numérique qui sied si bien à sa volonté de dépouillement esthétique et d’épure cinématographique« Je suis devenu un travailleur manuel sur le tard, dit-il, au moment où la caméra vidéo a permis au cinéaste de se passer de contraintes, mais aussi pour en trouver d’autres, comme la fatigue physique de filmer soi-même ». Il en a donc fini des pesanteurs institutionnelles et cela lui permet une remarquable liberté de production qui accompagne une liberté de ton et une inventivité formelle. Au sein des Films de l’Astrophore, avec le regard complice de Françoise Widhoff, il développe des essais de sens et de construction d’un langage cinématographique particulier qui explore les richesses expressives d’un singulier projet : filmer, et parler en même temps, tout simplement.

En documentaire, ce n’est finalement qu’avec Le Filmeur (2005) qu’il dévoile sa figure au cinéma. Il est là, devant-derrière la caméra, il nous parle et se montre. Pour la première fois, nous rencontrons le corps d’où émane la voix qui régissait les documentaires précédents. Pourtant, ce film témoigne peut-être le plus de son absence. Il confie dix ans de vie en recomposant ses dix ans de journal intime filmé mais une distance s’installe dans la relation particulière qu’il avait l’habitude de tisser avec nous, spectateurs. Sa voix, en particulier, perd un peu de sa force et de sa capacité d’envoûtement du fait même qu’elle se montre. Notre oreille n’est plus collée à ses images, et c’est notre vue qui suit les mouvements du corps-porteur de sa voix. Dans les Portraits et dans Vies, le filmeur révélait des visages, mettait en lumière de simples artisans et sublimait leur quotidien dans une proximité essentiellement vocale. Il ne se montrait pas, ou peu, simplement se faisait-il entendre. Son timbre enrobait le sujet qu’il se proposait de portraiturer (c’est-à-dire dé-peindre, avec les moyens du cinéma) et montrait subtilement le travail du filmeur comme un métier artisanal qui valorise la main – et la voix – agissante(s). Et ce n’est pas tant dans ce que ces cordes vocales énonçaient que résidait la force expressive de ces « mises en présence » d’artisans, mais bien plus dans la façon avec laquelle elle s’enlaçait au monde (filmique) et dans les rapports qu’elle construisait (rapports physiques entre les gens ; symboliques entre les choses, les images).

vies alain cavalier(…)

Conversation : cela exclut l’interview ou l’entretien. Le ton est léger, espiègle, parfois à la limite de l’ironie. (…) Profondément tendre, enchanteur et attentionné, Alain Cavalier instaure un véritable échange. Un dialogue posé, serein, intime, où filmeur et filmé(e)s sont sur un pied d’égalité. Formellement, ils se partagent le son ; c’est-à-dire que souvent, le filmeur amorce des phrases (ou de fausses questions) que la femme ou l’homme portraituré complète et termine. Dans Vies, Jean-Louis (le sculpteur) ouvre la porte au filmeur qui traverse un couloir sombre avant de venier directement poser son objectif sur les murs de son ami. La caméra, subjective et à l’épaule (à la main?), s’attarde sur des ornements muraux hétéroclites et disparates, soit lus ou commentés par l’hôte, soit décrits en direct par Alain Cavalier. Les deux personnages se partagent la bande son ; l’un ébauchant une question, l’autre coninuant la discussion ainsi amorcée. L’un montre, l’autre explique : ce sont deux instances qui entretiennent le récit. L’un régente le son ; l’autre l’image.

A plusieurs reprises, le filmeur s’attarde sur certains éléments tandis que Jean-Louis fabule autre chose. C’est ce même principe qui préside à la visite de l’ancienne maison d’Orson Welles : la caméra du cinéaste, subjective encore, cherche un point d’appui en balayant l’espace puis se fixe sur un objet ou une configuration spatiale inédite cependant que Françoise délivre ses anecdotes.  Une habile façon de renforcer le pouvoir d’envoûtement d’un récit qui ne peut s’accrocher à aucune présence physique à l’image. Une savante manière de le (re)marquer en le faisant résonner sur ces agencements plastiques alors connotés d’une teinte soumise à l’énonciation.

La qualité sonore de ces séquences de Vies révèle la présence du cinéaste non plus bord cadre (comme dans les Portraits), mais derrière la caméra. Alain Cavalier donne plus de présence à sa voix qu’à celles de ses ami(e)s de par la proximité que sa bouche entretient avec le micro. La facture de ces images, numériques, renforce la présence du cinéaste à ce(ux) qu’il filme, en écho à la proximité qu’il entretient avec son sujet. Sa voix accentue l’identification entre son point de vue et le point de vision de l’appareil : il fait corps avec la caméra.

(…)

Texte extrait de « Ecouter Alain Cavalier Filmer », par Cédric Mal, IMAGES documentaires, n°55/56, janvier 2006.

Alain Cavalier - © Olivier Roller (2009)
Alain Cavalier – © Olivier Roller (2009)

« Vies » (2000).
Quatre belles rencontres par le filmeur Alain Cavalier : un chirurgien, un boucher, un artiste et l’ancienne assistante d’Orson Welles…
Confessions du réalisateur :

Depuis trente ans, j’ai un ami chirurgien qui opère les yeux. J’ai toujours été attiré par son travail, par lui, par ce qu’il dégage. Un jour, il me dit, avec un peu de tristesse dans la voix : « La semaine prochaine, c’est mon dernier jour d’opérations à l’Hôtel-Dieu, je suis mis à la retraite par l’Assistance Publique ». Sans réfléchir, alors que la vue d’un scalpel me rend malade, je lui propose de filmer cet adieu, de le faire pour lui, pour qu’il garde le souvenir de ses gestes, pour qu’il lui reste une trace de son équipe et du lieu où il a rendu la vue à ses patients. Je tourne donc dans un bloc opératoire beaucoup plus petit que je ne le pensais, avec un masque sur le visage, en essayant de me faire oublier. Et je lui envoie une copie de mon travail (cela ressemblait à une nouvelle de Maupassant) et je lui précise que cette bande est non seulement pour lui mais aussi à lui seul…

Depuis ma jeunesse, je suis lié par l’amitié à un sculpteur de mon âge. A chaque fois que je passe le voir, son atelier et sa façon de vivre me plaisent tant qu’un jour je sonne et j’entre carrément avec ma caméra vissée à l’oeil. Je lui donne une cassette et pendant cinq ans, à chacune de ses sculptures achevées, je viens filmer son ouvrage pour que bientôt, sur son site internet, il puisse remplacer les photos par des images en mouvement…

J’ai fait il y a sept ans un film : « Libera me », où Michel Labelle, un boucher, jouait le rôle d’un boucher. J’ai sympathisé avec lui. J’ai pu comprendre mieux certaines choses qui le concernaient parce que je suis aussi devenu un travailleur manuel sur le tard, au moment où la caméra vidéo a permis au cinéaste de se passer de contraintes, mais aussi pour en retrouver d’autres, comme la fatigue physique de filmer soi-même. Donc, un jour, mon cher Michel me dit qu’avec bonheur et le sentiment du devoir accompli, il quitte son travail. Je galope vers l’endroit où il coupe et recoupe de la viande. Et il m’offre le roman compressé d’une vie entière… Pour terminer et faire court, un été, je roule en compagnie de Françoise sur une route d’Ile-de-France. Elle me dit :

« Tu veux voir la maison d’Orson Welles ? C’est la prochaine route à droite. C’est là où j’ai travaillé avec lui pendant deux ans. » Moi, je ne dis pas un mot, tous mes capteurs en alerte, la main serrant ma caméra dans mon sac, cette caméra qui ne me quitte jamais. J’accompagne Françoise dans son retour vers sa jeunesse face à l’ogre. Je glisse du réel au fantastique…

Des rencontres semblables, j’en ai filmées plus de vingt, j’en ai plusieurs en chantier. Elles ne sont pas toutes une réussite pour la pellicule. La vie donne beaucoup au cinéma autant qu’elle le renvoie à ses limites. Mais ces quatre personnes qui ne se sont jamais rencontrées, sauf dans mon viseur et sur votre écran, me sont apparues constituer un ensemble, une sorte de quintette. Je dis quintette et pas quatuor parce que je pense faire partie de cette fraternité.

Alain Cavalier

Plus loin

– Alain Cavalier ou la réalité comme mot (par Emilie Houssa)

– « Les braves » (Alain Cavalier) (par Cédric Mal)

No Comments

  1. A reblogué ceci sur Le Petit Lexique Colonial and commented:
    J’adore le regard de Cavalier. C’est un regard amoureux de la vie comme peut l’être celui d’un enfant qui s’émerveille et découvre. Regarder les films de Cavalier me donne un goût du paradis, de la félicité. La plus petite chose est regardée avec intérêt, comme s’il tendait l’oreille pour écouter l’histoire que la plus petite chose aurait à raconter.

  2. Pingback: « Vies » - projection et rencontre ...

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