Le Blog Documentaire explore l’ensemble des problématiques qui touchent le webdocumentaire et les nouveaux médias. Aussi, après avoir évoqué le premier atelier Varan dédié à ce nouveau genre, nous poursuivons notre éclairage sur cette thématique ; à savoir : les rapports, parfois proches de la passion, qu’entretiennent désormais le webdocumentaire et le monde de la formation.

Aujourd’hui, nous revenons sur la démarche de Canal France International, organisme public de coopération audiovisuelle à l’étranger, qui a organisé son premier stage webdocumentaire auprès de journalistes du Caire, en Egypte. Le programme s’appelle « The Way from Tahrir« . Parmi les trois formateurs, Benoît Califano, par ailleurs directeur de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Montpellier, qui revient notamment pour nous sur l’influence du web sur les nouvelles pratiques journalistiques…

 

Il est simple de comprendre combien le webdocumentaire, dans sa dimension narrative nouvelle, son rapport modifié au spectateur (ou au lecteur) a pu très rapidement devenir un objet de fascination pour la formation : les travaux des étudiants y trouvent instantanément leur place et l’économie – apparente… – de moyens que permet le web semble correspondre à un milieu audiovisuel et journalistique en crise, qui fait les yeux doux aux auto-producteurs pour concevoir des œuvres parfois sous-produites.

En nous intéressant à « The Way from Tahrir« , rangé sans autre forme de classification dans la catégorie « webdocumentaire » par les sites agrégateurs de liens (comme www.webdocu.fr), nous cherchions à connaître la façon dont les commanditaires de ce projet le présentaient. Car si la mode du webdocumentaire commence à constituer un nouveau miroir aux alouettes, il n’en reste pas moins vrai que la logique du web peut, elle, pallier les insuffisances des médias traditionnels. Et que l’utilisation du web peut se révéler une arme dans le développement du pluralisme journalistique, par la plasticité de l’outil et sa logique « décentralisée ».

CFI, qui a organisé le stage d’une semaine aboutissant à la réalisation du programme, nous répond de manière très claire, et avec une modestie qui les honore, à cette question apparemment rhétorique sur l’appellation « webdocumentaire »: « il ne faut pas oublier que « The Way from Tahrir » est un blog de travail, c’est le résultat d’un stage/atelier professionnel mais cela reste le résultat d’un travail de formation ». Vision que nous confirme Benoît Califano, directeur de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Montpellier, et formateur sur cet atelier (avec Marco Nassivera et Valérie Smith-Defournier), dès que nous nous entretenons avec lui au téléphone.

Le Blog documentaire : Est-ce qu’on peut qualifier « The Way from Tahrir » de « webdocumentaire » ?

Benoît Califano : Nous n’avions pas l’ambition de réaliser un webdoc en si peu de temps. Le stage ne durait que six jours. Il s’agissait avant tout de se concentrer sur l’aspect journalistique du travail, en mettant en avant la convergence entre le web et le journalisme. Je pense que cette convergence peut permettre de raconter et de témoigner autrement, par d’autres moyens, et qu’il s’agit d’un enjeu pour l’avenir.

Quel était le profil des stagiaires égyptiens ? Connaissaient-ils le webdocumentaire et utilisaient-ils déjà le web dans leurs propres pratiques ?

En termes de webdoc, c’est simple : ils n’en connaissaient pas. Nous sommes partis de zéro, avec l’objectif de leur montrer ce qui se faisait, du plus simple et linéaire au plus interactif et complexe, comme Prison Valley. On a essayé de faire passer la règle de base du webdoc : que justement, il n’y a pas de règle de base ! Tout est à créer et à inventer. Cela dit, les journalistes stagiaires avaient tous moins de 30 ans, et commencent tous à utiliser le web dans leur métier. L’envie que nous avions était de leur faire passer ce message : il est possible d’utiliser le web en y intégrant des photos, des vidéos, du texte… Bref, que cela ne ressemble pas à un PDF !

Comment s’est concrètement déroulé le stage ? Avez-vous notamment réalisé l’interface graphique ?

Non, nous nous sommes concentrés sur l’aspect journalistique et la façon de traiter l’information. Nous n’avions ni le temps, ni véritablement l’envie de mettre « le nez dans le moteur » de la technique. Le crédo avec Marco Nassivera, du point de vue de l’interface graphique, c’était : plus c’est simple, mieux c’est. Nous avions donc un partenaire en France, ETIC Communication, qui était chargé d’intégrer les éléments que nous filmions pendant le stage. La plateforme avait donc déjà été pensée en amont, selon l’idée que nous souhaitions proposer aux stagiaires : une cartographie du Caire retraçant un cheminement de la place Tahrir vers le palais Abdeen. En fait, cet aspect a été totalement repensé dès le départ de la formation, lorsque les stagiaires nous ont dit que, pour eux, le palais Abdeen ne constituait pas un lieu symbolique assez fort. Il était plus pertinent d’établir des liens entre différents lieux symboliques de la ville, autour de la place Tahrir. Ces différents points, apparemment sans connexion, pouvaient ainsi se retrouver reliés par un trajet en taxi par exemple, au cours duquel les stagiaires-journalistes recueilleraient les commentaires du conducteur… Nous n’avons pas eu le temps de réaliser cette partie-là, mais l’idée a été évoquée par les stagiaires.

Il est notable de remarquer la densité du travail réalisé en seulement cinq jours…

Oui, Marc et moi, nous sommes un peu des bulldozers, au niveau du travail ! Et en même temps, nous sommes aussi des couteaux suisses, dans une veine moderne du journalisme, où l’on touche à la fois à la prise de vues et au montage… Le défi était que les éléments réalisés par les journalistes pendant le stage soient intégrés à Paris en temps réel par notre prestataire, afin que le résultat soit visionnable immédiatement. Nous avons même réalisé une projection des modules filmés à la fin de l’atelier !

Quelles suites vont être données à cet atelier ?

L’un des participants égyptien, francophone, s’est vu proposer par Marco Nassivera de réaliser un blog écrit à quatre mains pour ARTE sur la situation politique en Egypte. Nous devrons également réaliser une deuxième session de l’atelier en mars, toujours avec CFI, afin de compléter le webdocumentaire, et notamment entrer davantage dans les questions politiques que pose, un an après, la chute du régime Moubarak.

Parlons rapidement de l’ESJ : comment le webdocumentaire s’intègre-t-il dans la culture journalistique de l’école ? Les étudiants y sont-ils sensibles ?

Plus que jamais ! Cette année, ceux qui sont arrivés voulaient tous faire du webdoc… et explorer de nouvelles formes de narration. Nous intégrons bien évidemment cet engouement pour le webdocumentaire dans nos formations, qu’elles soient générales ou continues à Lille, ou en alternance à Montpellier. Cependant, il est évident que la question de l’avenir du genre se pose : la visibilité quant aux modèles économiques possibles pour ce type de programmes est tellement faible que nous pensons en priorité à former les élèves au journalisme classique. Qu’ils maîtrisent le métier constitue la base qui leur permettra aussi de s’insérer sur le marché du travail.

Le webdocumentaire et les écritures nouveaux médias constituent évidemment un enjeu, aussi bien théorique que pédagogique : nous ne savons par exemple pas encore très bien travailler avec de nouveaux corps de métiers qui apparaissent aujourd’hui. Les journalistes connaissent le travail avec les monteurs, mais pas encore celui qui peut être fait avec les architectes ou designers web. Comment s’organise et se répartit le travail entre eux ? Comment arriver à travailler en complémentarité ? Ce sont des questions qui sont au cœur du développement que nous réalisons actuellement à l’ESJ.

Propos recueillis par Nicolas Bole

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