Qu’est-ce exactement que la Transmedia Immersive University ? C’est pour le savoir que Le Blog documentaire est allé à la rencontre de son créateur, Jérémy Pouilloux, et de sa coordinatrice de projets Oriane Hurard.

Producteur associé à la Générale de production, Jérémy Pouilloux a crée l’association Transmedia Immersive University (TIU) en 2011 pour promouvoir la fiction interactive et les écritures transmedia. Quelles sont les ambitions de cette structure ? Quelles actions, quelles perspectives ? Et, plus largement, quelle est sa vision de ce secteur encore naissant ? Entretien.

@TIU : Rencontre avec Jérémy Pouilloux et Oriane Hurard

Le Blog Documentaire : Pourquoi avez-vous crée l’association TIU ? Quel est son ambition ?

Jérémy Pouilloux : Je me suis toujours intéressé aux écritures innovantes notamment sur les médias numériques. En 2009, j’ai développé un projet de fiction transmedia native intitulé L’œil Américain qui a été sélectionné par la bourse du TransmediaLab d’Orange (premier acteur institutionnel sur les projets transmedia). Pendant six mois, nous avons co-écrit un corpus pédagogique destiné à ces nouvelles écritures. Le TransmediaLab était légitime puisqu’ils développaient cinq projets transmedia en même temps et qu’ils possédaient toutes les plateformes d’expression transmedia possible.

J’ai présenté ce projet au Power to the Pixel en 2010 et je me suis alors rendu compte que ces écritures étaient vraiment en train de se développer au niveau international. Pourtant, en France je me suis heurté à l’hésitation des diffuseurs pour qui la télévision reste le media de référence.

J’avais envie de faire vivre des expériences transmedia immersive aux diffuseurs potentiels, pour les rassurer et leur montrer que c’est en fait très ludique, simple et grand public. L’idée était de changer les mentalités pour aboutir à une certaine mutation culturelle. J’ai alors eu l’idée de proposer la réalisation de plusieurs projets transmedia à des étudiants (en arts graphiques, web, jeux vidéos, production, communication) dans le cadre de leurs formations. J’ai repéré les structures pédagogiques à même de réaliser ces projets dans toutela Franceet je leur ai proposé le projet.

L’association a donc d’abord pour but de promouvoir les écritures transmedia. L’organisation de l’événement « TIU » est la première démarche de l’association.

Comment est organisée l’association ?

L’association réunit une vingtaine de professionnels issus du secteur du transmedia. Ce sont des producteurs ou des professionels qui réfléchissent et s’intéressent à ces nouvelles formes d’écritures (le TransmediaLab d’Orange par exemple). Avec Oriane Hurard, nous coordonnons les projets des étudiants. Nous faisons en sorte de les mettre notamment en relation avec des producteurs et des diffuseurs.

L’association est soutenue par plusieurs partenaires reconnus : France Télévisions, Le Monde, La Gaieté Lyrique, Touscoprod.com, le MIP Cube, Arte, bientôt le CNC…

Quelles sont les formations qui ont accepté votre projet ? Comment avez-vous été accueilli par leurs responsables ? 

Oriane Hurard : Aujourd’hui, nous en sommes à 10 projets et 8 formations Nous avons réussi à rassembler des organismes de formation très divers : l’Ecole des Gobelins, l’Ina Sup, le Celsa Misc, deux écoles de jeux vidéos, l’école d’art Bellecour à Lyon (Esia 3D) et une école de management.

J. P. : Mis à part l’Ecole des Gobelins, qui était déjà en train de travailler sur deux projets transmedia, les autres responsables de formation ne savaient pas exactement ce que le terme recouvrait. J’ai usé de beaucoup de pédagogie en insistant bien sur le fait que le marché est en train d’évoluer. Les enseignants qui ont accepté de participer ont envie de diffuser cette culture au sein de leurs écoles. Nous sommes davantage un organisateur événementiel, qui diffuse des projets, qu’une université. La paternité des projets appartient toujours aux écoles.

Quelles sont les grandes étapes de l’événement ?

J. P. : L’événement a commencé en octobre dernier avec une phase d’écriture de projet qui s’est terminée en janvier avec une journée de sensibilisation au transmedia pour tous les participants.

Le 13 janvier, les étudiants ont participé à une journée de pitch à la Cité des Sciences, à Paris, face à une quarantaine de professionnels (cf. vidéo ci-dessous) : des membres de l’association, des professionnels du game design et des diffuseurs : TF1, France Télévisions, Arte, Canal +, Dailymotion et Orange.

O. H. : Cette journée était l’occasion de confronter les étudiants à l’exercice du pitch, et de proposer des pistes d’amélioration. Un des principes de TIU est de ne pas sélectionner un ou deux projets. Nous ne sommes pas dans une démarche de concours mais dans un suivi, afin de faire en sorte de proposer des projets très qualitatifs.

En ce moment, les étudiants réalisent leurs projets et passent les tests d’ergonomie jusqu’en septembre prochain.

L’événement se terminera avec quatre jours de projection du 18 au 21 octobre 2012. Les étudiants sont également en train de réfléchir à la scénographie et à la théâtralisation de leurs projets pour ces quatre jours. Ils doivent aussi intégrer la question des usages que le public pourra créer avec leurs projets.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les projets ?

O. H. : Tous les projets figurent sur le site de TIU. Certains d’entre eux ont déjà leurs comptes Twitter et Facebook (@MarkGuilty, @OOlympus, @malifeTV, @Type_Rider). Certains disposeront de leurs propres sites. Quatre des dix projets ont lancé une collecte de fonds sur le site touscoprod.com. Quant à la plate-forme TIU, elle permettra d’agréger tous ces contenus en ajoutant une galerie Flickr, des vidéos, etc…

Quelles sont les perspectives d’évolution pour la TIU ?

J. P. : Nous souhaitons poursuivre nos efforts dans deux directions. D’une part, l’élargissement de notre action en prospectant d’autres écoles pour la deuxième édition. D’autre part, nous aimerions créer un comité scientifique paritaire entre universitaires et professionnels afin de porter un discours cohérent et constructif sur l’évolution du secteur (écriture, notion d’engagement, marché, solutions économiques). Ce lobbying professionnel permettrait de proposer des solutions pour changer les mentalités. Par exemple, il serait intéressant que les diffuseurs réfléchissent en termes de programmes plutôt qu’en termes de plateformes. Cela permettrait de créer des passerelles utiles pour les projets transmedia et ainsi de partager les budgets dédiés.  Ce ne serait pas une révolution, simplement une évolution pour penser et agir autrement.

L’association aura vocation à mettre en place des cycles de conférences, des colloques pour présenter des pistes de réflexions et proposer des solutions.

Quelle est votre vision personnelle du transmedia en termes de contenus ?

J. P. : Utiliser le seul terme « multi-plateformes » pour décrire le transmedia est une erreur. Je pense que le multi-plateformes est intéressant seulement dans la mesure où il est utile à l’immersion ou à la gamification. Utiliser plusieurs supports ne doit pas être un critère en soi. Cela doit servir une narration, une expérience. Il n’y a pas de solution miracle. On parle de transmedia quand il y a au moins deux supports. Mais il peut y en avoir trois, quatre, cinq… À partir du moment où cela sert une expérience immersive, alors c’est intéressant.

Quelle différence faites-vous entre immersion et interactivité ?

J. P. : Selon moi, certaines œuvres transmedia peuvent être immersives mais présenter un très faible degré d’interactivité. Je prends souvent cet exemple pour m’expliquer : imaginons une série télévisée et une série web. La série télévisée diffusée vers 19h s’intéresse à l’histoire d’une petite famille (comme peut le faire M6) et à minuit, on peut suivre les aventures de l’adolescent trash de la famille sur internet. Dans cet exemple, il n’y a pas d’interactivité et pourtant c’est du transmedia immersif avec une forte dose de contamination sémantique.

Encore une fois, je suis convaincue que les expériences transmedia sont ludiques, simples et grand public. Certains diffuseurs sont réticents car ils considèrent l’immersion comme une expérience réservée à une petite communauté de geeks qui aime les jeux de rôles. En réalité, ces expériences sont réellement grand public et ce sur toutes sorte de thématiques. Nous remarquons que les projets qui se développent touchent plutôt aux enquêtes mais tous les sujets peuvent être abordés à partir du moment où ils s’adaptent aux publics et aux supports.

Les publics sont d’ailleurs prêts à vivre ce genre d’expériences. Mais il existe encore un frein économique.


La journée de pitch du 13 janvier 2012.

Pour revenir à ce que vous disiez sur les diffuseurs en France, quel regard portez-vous justement sur l’économie naissante du transmedia ?

J. P. : Le financement des œuvres transmedia reste aujourd’hui un sujet compliqué. Non seulement parce que les ressources de financement principales sont celles des institutions traditionnelles – à savoir la télévision et le CNC – mais surtout à cause de ce problème de mutation culturelle que j’évoquais tout à l’heure.

Dans les années à venir, je pense que le financement du transmedia se fera à 50% en préfinancement et 50% en post-financement en s’adaptant évidemment à chaque programme. Le préfinancement ne changera pas par rapport à ce qui se fait actuellement. Le CNC, la télévision, les fonds nouveaux médias investiront. On peut aussi compter sur une participation de plus en plus importante des annonceurs. Il faut veiller à ce que cette participation n’ait pas d’influence sur le contenu, sinon cela ressemblerait à de la publicité déguisée.

Pour le post-financement, on peut imaginer plusieurs modèles. L’exemple de True Blood est intéressant dans ce sens : le producteur est propriétaire de la licence qu’il fait exploiter par un industriel dans un contrat prévu à l’avance afin de servir l’univers narratif. C’est du placement de produit basique. Par ailleurs, il est intéressant de regarder ce qui se fait dans d’autres pays pour alimenter la créativité financière.

O. H. : Le post-financement passe aussi par le micro-paiement, le freemium (une version gratuite puis des extensions payantes) et le modèle des jeux vidéos qui devient de plus en plus influent.

 

Propos recueillis par Sibel Ceylan

Les précisions du Blog documentaire

1. Voici le résumé des projets retenus par la Transmedia Immersive University :

  • Captifs est une fiction courte interactive réalisée par les étudiants de l’Ina Sup.« Paris. Octobre 2012. Un simple geste va bouleverser vos certitudes. Votre quotidien va basculer. Vous voila pris au coeur d’une machination qui vous dépasse ; entre manipulations politiques, menaces sanitaires et drame humain. Votre rôle est crucial. Vos décisions essentielles. La suite, on ne peut pas vous la dire, il faudra la vivre… ».
  • La crise pour les nuls (Celsa Misc) est une caricature burlesque des agences de notation dans laquelle un balayeur congolais sollicite l’aide du spectateur afin d’enquêter sur un terrible complot, dans un contexte européen de crise économique et politique.
  • Occupy Olympus est une installation transmedia proposée par 12 étudiants de l’ENJMIN. Elle vous propose de vivre une expérience où se rencontrent la crise financière et l’univers mythologique grec. Concrètement, Occupy Olympus c’est 2 jeux qui communiquent et qui vont demander aux utilisateurs de prendre position et de choisir son camp et ses méthodes dans un seul but : occuper l’Olympe.
  • La race des seigneurs (Centre Factory) met en scène une dizaine de jeunes formant une sorte de « confrérie », pour réaliser leurs fantasmes à tour de rôle lors de soirées organisées pour. La série se veut une vision buñuelienne de notre société, et plus précisément de la jeunesse. Elle sera constituée de 22 épisodes.
  • Type:Rider est un projet transmedia proposé par les étudiants de la formation IDE2012 de l’école des Gobelins. C’est une expérience ludique axée sur la typographique sous forme de jeu vidéo. L’utilisateur évolue dans de nombreuses atmosphères inspirées des familles de lettres. Le jeu se compose de phases d’exploration et de phases documentaires, et permet ainsi d’apprendre et de découvrir un univers souvent méconnu.
  • Polymorphe (les Gobelins) est le nom d’une matière virtuelle qui réagit au maillage des activités numériques des individus et veut exister dans le monde tangible. Ce projet nous propose de faire l’expérience de la virtualisation et de la matérialisation sous la forme d’une expérience interactive ludique.
  • Rush for Office (école de jeu vidéo Gamagora du MAAAV) est un jeu de course dans lequel les personnages-joueurs chevauchent une chaise de bureau dans un cadre d’entreprise déjanté et caricaturé. Axé sur le mode multi-joueurs, le projet propose de prolonger son expérience sur le web et les réseaux sociaux, de façon à renforcer son aspect communautaire.
  • Shadow Diver (école de jeu vidéo Gamagora du MAAAV) Qui n’a jamais rêvé de voler comme un oiseau… sur Mars ?! Ce crossover entre sport extrême et science fiction, c’est le mythe d’Icare revisité. Un jeu de vol en chute libre dans un environnement urbain futuriste. Le jeu scénarisé s’articule autour d’une succession de missions ; la réussite ou l’échec du joueur aura un impact sur le déroulement de l’histoire.
  • Malife.tv est un projet de série animée 3D transmedia pour les filles de 12 ans et plus proposé par Esia 3D, école française de l’image, à Lyon. La série se présente sous forme d’un vidéo-blog tenu par Joe et se compose de 52 épisodes de 13 minutes. « Salut, moi, c’est Joe ! Ou JOE L’EXCENTRIQUE DE SERVICE ! Il faut dire qu’entre ma famille de déjantés finis, mes voisins plutôt du genre méga envahissants ou encore mes amis un peu… particuliers, ce ne sont ni l’action ni les aventures débiles qui manquent à la maison ! Et c’est bien ça le problème ! ».
  • « Mark guilty : Dulltown cases » est un projet d’animation né au sein de l’ESIA3D, école française de l’image, à Lyon. « Soyons honnête, à la grande loterie des justiciers, la ville de « Dulltown » ne possède pas de ticket gagnant. Car « Mark » n’a ni pouvoirs ni collants, et ne défend ni la veuve ni l’orphelin. Et d’ailleurs il n’est pas vraiment un redresseur de tort… Ou pas de ceux qu’on espère. Pathologiquement ambitieux, il est l’avocat sulfureux de toutes les causes, mais surtout des plus crapuleuses. Quitte à sauter à pieds joints sur la morale, la ville et tous ses habitants ».

3 Comments

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