Ne lui dites surtout pas qu’il est le père du webdocumentaire !

Samuel Bollendorff refuse toute paternité sur le genre, que certains lui attribuent depuis son Voyage au bout du charbon. Car Le Blog Documentaire l’a constaté : s’il a utilisé le webdoc pour faire passer ses idées, il ne s’en tient pas à ce seul média.

Aujourd’hui sort en effet un livre, A l’abri de rien, tiré de son travail photographique sur la crise sociale en France, et bientôt une exposition géante verra le jour sur les murs de Paris.

Nous sommes revenus en détail sur les motivations de Samuel Bollendorff : la photo, le journalisme et même l’éducation à l’image. Et nous avons bien sûr parlé financement du webdoc…

« Il ne faut pas avoir peur du temps sur Internet »

Le Blog Documentaire : Commençons par cette actualité chargée autour de A l’abri de rien, avec un livre et une exposition à venir ?

Samuel Bollendorff : Oui, avec Medhi Ahoudig (en charge du son sur le webdocumentaire), nous sortons le livre ce mercredi. Cela fait partie d’un dispositif plus large : du 30 mars au 8 avril prochain, nous organisons aussi une exposition le long du canal Saint-Martin à Paris, où nous allons placarder de très grandes affiches, comparables en taille à celles que l’on trouve dans le métro. Il n’y aura pas uniquement des images, mais aussi du texte ; l’idée est de proposer des objets documentaires. Une exposition à la FNAC des Ternes accompagne également la sortie du livre. Enfin, je présenterai à nouveau le webdocumentaire A l’abri de rien au point Éphémère le 25 mars prochain.

Cette diffusion multi-supports, « cross-media » diraient certains, était-elle prévue dès le début du projet ?

Oui, en quelque sorte. En tout cas, nous nous sommes laissés la possibilité, en soignant l’image, d’utiliser ce matériau sur d’autres supports. J’avais trouvé, sur mon projet sur l’obésité, que les images n’étaient pas assez bonnes pour les utiliser pour un livre ou une exposition. J’aimais l’enquête que j’ai menée mais j’étais frustré par la qualité des images. Mes automatismes n’étaient pas les bons : ceci était dû en partie au fait que j’utilisais un appareil photo que l’on m’avait prêté et que je connaissais mal.

Qu’est-ce qui a présidé au choix de l’argentique pour les photos de A l’abri de rien ?

Je trouvais que le grain de l’image, comme dans les documentaires filmés en pellicule, donnait une profondeur intéressante au sujet. Et puis, il n’y a pas de différence de philosophie entre la carte mémoire et le film 36 poses. Le fait de devoir changer de carte mémoire une fois qu’elle est saturée revient à la contrainte du magasin film sur les caméras. On s’est donc recréé une contrainte qui n’existait pas avec la cassette dont on sait qu’elle dure une heure par exemple.

Comment la partie interactive du webdoc, qui permettait à l’internaute de laisser ses idées de solutions contre le mal-logement, a-t-elle évolué ?

Je n’ai pas géré cette partie du site, qui dépend de la communication de la Fondation Abbé Pierre. Nous souhaitions simplement créer une caisse résonnance pour les idées contre le mal-logement. Souvent, la réaction des gens est de dire, en voyant le webdoc : « qu’est-ce que je peux faire ? ». Au lieu de leur dire de donner de l’argent, on leur proposait de participer pour occuper le terrain médiatique, surtout en vue de la campagne présidentielle. Mais il s’agit bien d’un projet géré en propre par la communication de la Fondation. Je crois savoir que la pétition a recueilli plus de 150.000 signatures [NDLR : un peu plus de 146.000 en réalité, sur un objectif de 400.000].

Pour A l’abri de rien, j’attends de faire un bilan global, après le livre et l’expo dans la rue. Je sais que la Fondation Abbé Pierre parlait de 100.000 visionnages du webdocumentaire il y a quelques mois, chiffre qui a dû évoluer.

Est-ce à dire que le webdocumentaire doive toujours être pensé en association avec d’autres projets ?

Je ne sais pas. Pour ma part, j’ai toujours pensé mes projets sur plusieurs supports. Déjà lors de mon travail sur les hôpitaux, j’imaginais un documentaire classique, une exposition à la Maison des Métallos, des rencontres avec des professionnels… C’est aussi comme cela que j’arrive à financer des projets aussi importants. Il n’est pas possible du reste de déployer autant de temps et d’énergie uniquement pour la réalisation d’un webdocumentaire. C’est pour ça que j’ai imposé l’utilisation de l’argentique : pour que le fonds iconographique soit utilisable sur d’autres supports.

La Fondation Abbé Pierre a permis de financer l’enquête et le webdoc. Nous leur avions présenté Voyage au bout du charbon en Conseil d’administration et ils nous avaient donné carte blanche pour la réalisation du webdoc. Concernant le livre, ils ont préacheté un certain nombre d’exemplaires, et ils sont partenaires de l’exposition.

Cette recherche de financement prend-elle beaucoup de temps, même pour quelqu’un de reconnu comme vous ?

Oui, il faut trouver sans cesse de nouveaux relais de financement. Ce planning de recherche de financement permet de structurer le travail à mener sur le projet. Mon travail sur la Chine par exemple, qui a abouti notamment à Voyage au bout du charbon, m’a pris tellement de temps que j’ai pu mener de front écriture et recherche de fonds. Car une chose est sûre et ne varie pas : on passe plus de temps à chercher des fonds qu’à les dépenser !

Auparavant, lorsque la presse finançait des projets, la production était morcelée : tel journal finançait un volet du travail, une bourse pouvait financer une autre partie, et ainsi de suite. Cela permettait ensuite de trouver de nouveaux partenaires sur un projet qui prenait de l’importance peu à peu. Aujourd’hui, le système oblige à écrire en amont le projet dans sa globalité, ce qui permet du coup de le penser dans sa globalité.

Dans la création du webdoc, il existe une souplesse formelle que l’on ne peut s’octroyer sur du documentaire classique. En fonction de l’événement traité, on peut choisir d’utiliser tel ou tel outil : vidéo ou série de photos, par exemple. Et surtout, on peut être davantage réactif, protéiforme, sur ces questions, que pour un documentaire classique produit pour une chaine de télévision.

Sur vos projets, à quel moment réfléchissez-vous à la construction de l’interface ? Au moment de l’enquête ou après ?

C’est une réflexion que l’on mène en même temps. Le travail réalisé avec un producteur permet de s’y intéresser, car il nous interroge à raison sur les dispositifs formels employés. En outre, se poser des questions en amont donne des idées sur le terrain.

Quel que soient les projets, il faut bien garder à l’esprit que nous ne sommes vraiment qu’au début d’une nouvelle forme d’écriture. Il faut se laisser du temps. Ce serait dommage de ne pas rester dans l’expérimentation, sous prétexte qu’il faut sortir des œuvres rapidement.

Pour moi, les logiciels (comme Klynt ou 3WDoc) qui permettent de commencer à s’émanciper du développement d’interface ont le travers de vouloir tout faire entrer dans un même entonnoir alors que nous sommes à un moment où il ne faut surtout pas s’enfermer, où il faut rechercher.

Certains critiquent le webdocumentaire en évoquant une narration proche du CD-ROM, sans recherche sur l’utilisation du média web. Qu’en pensez-vous ?

Je vois mal l’intérêt de dénigrer ces initiatives… Il y a évidemment des points communs avec le CD-ROM. Ce qu’on fait maintenant a déjà été fait avant : et alors ? Je me fiche de savoir qui a créé quoi en premier. L’important, c’est l’utilisation qu’on en fait.

Et puis, le webdoc a ceci de différent du CD-ROM qu’il est dématérialisé. C’est une différence de taille ! Plus besoin de l’acheter, le projet est directement accessible, si bien que cela permet à des gens qui n’avaient pas aucune raison de tomber sur un projet interactif de le découvrir quand même et s’y immerger, un peu par hasard. C’est formidable !

L’enjeu du webdocumentaire réside à mon avis dans la question de savoir à qui on s’adresse vraiment. Si on ne s’est pas rendus compte que le public, qu’il soit différent ou pas, n’est pas dans la même position que lorsqu’il est devant la télé, on n’a pas compris l’enjeu de l’interface, du clic. Être devant sa télé avec son bol de chips de manière passive, ou sur Internet, soit pour regarder un objet linéaire, soit pour être dans une démarche active de recherches, ce sont deux (voire trois) choses différentes. L’une n’est pas mieux que l’autre : simplement, il faut avoir en tête que les attentes sont différentes, et que les projets doivent être adaptés en conséquence.
Sur Voyage au bout du charbon, il m’a semblé intéressant d’utiliser le positionnement des boutons d’action dans l’idée du jeu vidéo. Pas pour en faire un jeu vidéo en soi, mais davantage pour dire à l’internaute : « vous avez déjà ces réflexes, vous ne vous posez pas la question de la navigation quand vous êtes sur le site ». C’est intuitif.

La question est vraiment de savoir ce que, au fond, on a à raconter. La différence avec le CD-ROM, c’est que le webdocumentaire intéresse des sites de presse généralistes qui leur donnent une visibilité. Alors c’est vrai qu’il y a parfois des déficits de narration pour certains de ces projets, mais où est le mal ? Le webdoc n’est qu’un outil, un porte-voix. Quelqu’un qui n’a rien à dire sera autant entendu que celui qui propose quelque chose. Mais sera-t-il pour autant écouté ? Il existe pleins de photos qui ne valent pas la peine d’exister, mais elles ne font pas d’ombre aux photos qui ont quelque chose à raconter. Dans les deux cas, le crédit et la reconnaissance s’acquièrent au fur et à mesure. C’est très bien que tout le monde ait aujourd’hui voix au chapitre… du moment que la liberté de ne pas s’intéresser à ce qui n’est pas intéressant existe elle aussi !

Donc d’après vous, il n’est pas utile d’édicter une sorte de charte pour établir ce qu’est un webdoc et ce qui ne l’est pas ?

Surtout pas ! Le webdoc n’existe pas encore ! On ne va pas le définir, avant que des usages se forment. Et puis, il y a un côté rétrograde à se regarder et se demander ce qu’on va devenir, entre journalistes ou documentaristes. C’est un fait que les lignes bougent : soit on fabrique des remparts pour éviter que ça bouge, soit on accepte ce mouvement et on attend de voir ce qu’il donne. Il faut laisser du temps à ces nouvelles pratiques.

En tant que webspectateur, que regardez-vous ? Avez-vous regardé par exemple des expériences très immersives comme Manipulations, l’expérience web ?

Je suis assez peu webspectateur dans l’âme. D’abord parce que ça prend du temps. Je suis bien sûr ce qui se fait, j’ai vu Manipulations... Il y a là certainement une histoire de culture et de génération : le fait est que je ne suis pas né avec une souris dans la main ! Du coup, je reste très sensible au fait qu’on me raconte une histoire, d’être dans une démarche passive d’écoute. C’est amusant car j’ai regardé Manipulations, j’ai cliqué un peu… et puis, j’ai appris que l’enquête avait aussi fait l’objet d’une série documentaire classique pour la télévision. Hé bien, j’ai arrêté de cliquer et je suis allé regarder le documentaire classique !

Ce n’est pas pour rien qu’il existe des auteurs, des journalistes, des documentaristes : ils ne sont pas là pour proposer un catalogue des infos disponibles, mais surtout pour qu’ils mettent en scène, construisent une dimension dramatique, racontent une histoire. Pour Manipulations, il était clair que j’étais plus proche du documentariste qui propose son point de vue et qui me dit : voilà comment j’orchestre toutes ces informations pour qu’elles fassent sens. J’ai trouvé ça passionnant. Je réalise mes propres enquêtes sur d’autres sujets, et je n’avais pas le temps ni l’envie de le faire sur l’affaire Clearstream. Cela ne veut pas dire que le projet n’est pas bon ! Je pense qu’un autre type de public est intéressé par Manipulations, l’expérience web, un public qui d’ailleurs sera peut-être moins manipulé que moi par le point de vue de l’auteur. Mais c’est un statut que j’accepte.

Il est évident en revanche qu’il existe un enjeu lié au support web et aux tablettes graphiques : la dématérialisation des supports couplée au déclin de la presse écrite, à ce que je qualifie de « drame » de la presse magazine, qui ne raconte plus rien, tout concourt à ce que l’on se saisisse de ces nouveaux supports pour continuer à raconter des histoires.

Venons-en à l’éternelle question du financement… Comment, vous, parvenez-vous à financer vos projets ?

Le webdoc me permet de continuer à exercer le même métier qu’avant : le travail documentaire, les interviews… Je ne fais que donner une forme à mes propos qui puisse s’adapter aux supports de diffusion. J’organise donc les choses différemment mais l’enquête sur le terrain est rigoureusement la même. Pour ma part, je trouve que le webdocumentaire est financé : j’ai pu travailler un an, avec A l’abri de rien, sur la problématique du mal-logement. Le projet sur l’obésité avait été financé par France Télévisions et le CNC. Et puis le webdoc est un espace de liberté incroyable : les chaines de télévision comme la presse ne sont pour ainsi dire pas intrusives sur la réalisation. C’est unique.

Ce qui est dommageable, c’est d’être obligé de plus en plus à faire une partie d’un métier qui n’est pas le nôtre, ce qu’on ne faisait pas avant, comme la diffusion, mais aussi le son ou la réalisation. Pour moi photographe, assurer la réalisation de mes projets, c’est formidable. Certains photographes en revanche, ne sont que des « opérateurs », en quelque sorte, sans que cela soit péjoratif, et ne peuvent pas assurer la réalisation. C’est important que chacun puisse faire son métier, et pas celui d’un autre.

Dans nos métiers, savoir enregistrer un son ou utiliser un banc de montage est un atout. Nous sommes obligés de toucher à la technique. Moi-même, je ne développe pas sur Flash, mais je sais me servir de Klynt ou de WordPress, même si ça m’ennuie. Maîtriser WordPress demain, ce sera comme maîtriser Word aujourd’hui : une nécessité. Pour autant, maîtriser ne signifie pas qu’on doive se substituer aux véritables professionnels. C’est un grave problème de devoir faire le travail du son par exemple sur un webdocumentaire. Le travail du son doit être rétribué à sa juste valeur. En outre, ne pas faire appel à un ingénieur du son nuit à la qualité de l’œuvre, car le son n’est pas qu’une technique : c’est aussi une écriture. De la même manière, je sais qu’énormément de photographes acceptent de faire de la vidéo, alors que ce n’est pas leur métier, à la base.

Qu’espérez-vous à titre personnel par rapport à l’évolution du webdocumentaire ?

Je n’espère pas grand-chose, à vrai dire… J’essaie de m’adapter au monde qui évolue. Mais si vous me parlez d’idéal, je dirais qu’il faudrait arriver à refondre l’éducation, l’enseignement pour doter les gens d’un regard et d’un sens critique. Afin qu’ils ne se satisfassent pas de certaines informations. Mais c’est un problème bien plus général, qui concerne l’Education Nationale…

Aujourd’hui, qu’est ce qu’on apprend aux journalistes ? Peu ou prou, à réaliser des copiés-collés de dépêches. Je peux comprendre qu’on les forme dans une logique de rentabilité, pour qu’ils s’adaptent au monde du travail. Mais je pense qu’on pourrait leur procurer davantage de nourriture intellectuelle et de sens critique.

La question du financement revient régulièrement sur le tapis dès qu’on parle de webdocumentaire. Quel type de modèle économique pourrait être mis en place, d’après vous ?

Il faudrait essayer de débloquer des fonds spécifiques à la création d’œuvres sur le web. France Télévisions le fait aujourd’hui, le CNC aussi. Sans méconnaître les difficultés des professionnels, il faut admettre que l’on vit dans un pays exceptionnel de ce point de vue-là. Pour moi, ils réalisent un investissement en se positionnant sur le terrain du webdocumentaire. Le jour où celui-ci sera monnayable, ils pourront arguer d’une bonne expérience.

Comment le webdocumentaire pourrait-il devenir monnayable ?

On peut imaginer que nous allons vivre à court ou moyen terme une convergence entre l’écran d’ordinateur et l’écran de télévision. Les interfaces de diffusion vont être rassemblées. Les webdocumentaires pourront peut-être alors être accessibles sur les mêmes plateformes que celles des films de fiction en VOD. Alors, ils pourront être monnayés. Imaginez : si 50.000 personnes téléchargent un projet de webdocumentaire à 2 euros, cela donne 100.000 euros de budget. De la même façon, les journaux en version papier vont dépérir : il y aura des développements sur iPad par exemple.

Donc, le webdocumentaire doit devenir payant pour exister ?

C’est une question complexe. Il peut devenir payant, avec des systèmes de bande-annonces, d’extraits. Je suis sûr que d’excellents marketeurs auront de brillantes idées sur la manière de mettre le webdoc sur le marché. Ce n’est pas illégitime du reste, car réaliser un webdocumentaire constitue un travail qu’il faut bien rétribuer.

Mais peut-être aussi que le webdoc ne trouvera pas d’existence s’il n’est pas gratuit : il faudra alors trouver des solutions pour les faire exister.

 … comme une contribution par exemple des Fournisseurs d’Accès à Internet pour la création web ?

Ce serait formidable. Les FAI ont de toute façon tellement gagné d’argent qu’ils vont à un moment donné devoir redistribuer. Il faut que nous prenions en compte que des millions d’utilisateurs ont fait de l’internet un objet gratuit : aller à l’encontre de ce simple fait, c’est ne pas comprendre comment le monde de l’Internet fonctionne. HADOPI n’est pas une bonne loi de ce point de vue.

Est-ce que vous passez beaucoup de temps à regarder des programmes sur Internet ?

Quand je regarde des programmes longs sur Internet, ce sont des programmes linéaires. Ça s’apparente à la télévision en fait. Je pense qu’une immersion, sur un film comme Fengming par exemple de Wang Bing (lire l’entretien ici), n’est pas possible ailleurs qu’au cinéma : 3 heures 40 sans être diverti et sans ouvrir le frigo une fois, je n’y crois pas !

J’ai regardé la totalité de Prison Valley par exemple. Ceci dit, c’est un objet très linéaire. Les clics sont accessoires, qui permettent juste de regarder le film en plusieurs fois. D’ailleurs, la version ARTE est basée sur le même montage. Sur A l’abri de rien, il y a très peu d’interactivité car l’enjeu n’était pas de cliquer pour cliquer.

A mon avis, il y a deux façons de venir sur Internet : si on y vient rapidement, on n’a pas forcément le temps, il faut donc créer des formats courts pour ce type d’usage.

Mais parfois, on vient sur Internet avec du temps, et on décide d’y passer du temps. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur du temps sur Internet. La notion avec laquelle il faut travailler, c’est davantage celle du flux. Il existe un flux continu sur Internet, et on peut très bien se laisser dériver sur Internet, ce qui nécessite que l’attention soit sans cesse renouvelée par des formats courts, des clics…

Je pense qu’il y a la place pour des écritures différentes. La photo sur le web par exemple permet d’arrêter ce flux. Je ne comprends pas tous les photographes qui proposent des mouvements de caméra sur leur photo parce qu’ils ont peur que le public décroche. Je pense au contraire qu’Internet est l’espace où l’on peut redéployer des images en plan fixe. Dans Voyage au bout du charbon, ce ne sont pas des diaporamas. On peut regarder l’image autant qu’on veut, puis on passe à la suivante en cliquant. Quand A l’abri de rien a été diffusé au Cinéma des Cinéastes, dans la noir d’une salle de cinéma, dans des circonstances très immersives, certaines personnes ont redécouvert la photo. C’était ça, le but : essayer de fabriquer un objet sans avoir peur du temps, avec du silence et des photos.

On entend souvent dire de Samuel Bollendorff qu’il est l’un des pères du webdocumentaire…

Je me fous d’être catalogué comme le « premier » ou le « pionnier ». Je me sers simplement des outils que j’ai à ma disposition. Je ne travaille pas sur des scoops, mon matériau est celui que nous avons tous : je pars de l’idée que l’on se fait d’une situation, l’idée reçue, dans tous les sens du terme. J’en ai, comme tout le monde, et tout mon travail consiste à prendre du recul sur une idée, sur un cliché, et à faire un pas de côté pour présenter à nouveau ce sujet aux gens, en leur proposant de le regarder autrement. C’est ça mon métier.

Je le répète, le web n’est qu’un outil : pour tout vous dire, quand j’ai rencontré Arnaud Dressen qui m’a proposé de réfléchir sur la façon d’utiliser mon travail surla Chine sur le web, j’étais même un peu sceptique. Mais j’ai travaillé pendant huit ans sur ces problématiques de mise en forme web du travail des photographes de l’œil public, quand j’ai mis en place le site web de l’agence. J’ai accumulé des connaissances et des expériences : mais cela ne fait pas de moi un père de quoi que ce soit !

Vous dites ne pas rechercher le scoop. Vous pensez que le journalisme se trompe en se lançant dans cette course à l’info exclusive ?

La recherche du scoop par le journaliste est devenue vaine. Pourquoi ? Parce que les premiers sur l’info, ce sont ceux qui la vivent. Et aujourd’hui, ceux qui la vivent sont aussi des fournisseurs d’images. Pour la photo, on est en retard sur l’actu : regardez les images faites en Syrie ou en Libye. Les premières qui nous parviennent sont celles des téléphones portables des rebelles ! Kadhafi lui même est mort devant un téléphone portable, pas devant un appareil photo d’un professionnel. Le fait aujourd’hui, ce n’est pas la photo en elle-même mais le fait qu’elle ait été prise par un amateur.

Cela ne sert donc plus à rien de faire du scoop, il faut proposer autre chose. On ne peut pas juste dire « nos appareils photos sont meilleurs que les vôtres », car certains amateurs possèdent aujourd’hui les mêmes ! La seule différence que peut faire valoir le journaliste, c’est sa façon de raconter une histoire à partir des faits. Pour cela, il faut refonder un sens critique. Et de ce point de vue, le spectateur n’est pas plus en danger devant Internet que devant le journal de 20 heures.

Quels sont vos prochains projets ?

Samuel Bollendorff : C’est encore trop tôt pour en parler…

Propos recueillis par Nicolas Bole et Laurent Gontier

Plus loin

1. Le site de Samuel Bollendorff

2. A l’abri de rien

3. Voyage au bout du charbon

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  4. « Samuel Bollendorff refuse toute paternité sur le genre, que certains lui attribuent depuis son Voyage au bout du charbon. »

    Et il a bien raison !

    2005 > http://www.lacitedesmortes.net/
    2007 > http://www.thanatorama.com/
    Octobre 2008 > http://gaza-sderot.arte.tv/
    […]
    Novembre 2008 > Voyage au bout du charbon !

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