Alma, c’est le nouveau webdocumentaire proposé par UPIAN, ARTE et l’Agence VU’, dont on annonce la mise en ligne le 25 octobre 2012. Le Blog documentaire vous propose ici un avant-goût de ce portrait en forme de confession d’une jeune femme victime des gangs au Guatémala. L’œuvre est signée Miquel Dewever-Plana et Isabelle Fougère, et elle nous promet d’expérimenter une nouvelle narration… résolument tactile.

Non, nous n’allons pas vous présenter en détail le fond du propos d’Alma. Pas avant d’avoir entièrement testé l’interface, promené notre doigt (sur l’iPad) ou actionné la souris (sur l’ordi) entre les interstices des deux récits qui se répondent et s’accompagnent.

L’expérience, entrevue le 24 septembre lors de la projection presse, promet une déambulation aussi sensible que le sujet du webdocumentaire est poignant. Car pour cette présentation sur la vie d’Alma, jeune rescapée des gangs guatémaltèques, Alexandre Brachet a pris les commandes d’une tablette numérique pour une projection en direct, et forcément singulière. Une façon de faire vivre le webdoc en salles, avec le caractère unique de chaque projection qui nous intéresse particulièrement ici, dans sa dimension participative et régénératrice d’un « visionner-ensemble ».

Du fond, nous aurons donc l’occasion de parler à la sortie du webdocumentaire, le 25 octobre, sur le site d’ARTE, diffuseur et défricheur fidèle de propositions éditoriales fortes. Nous nous plongerons ainsi, en détail avec le patron d’UPIAN, dans le double écran, sorte de « marque de fabrique » (sans doute inconsciente) du producteur : deux films simultanés pour une expérience renouvelée à chaque passage, où l’on peut choisir à tout moment entre le récit d’Alma, tout en sobriété sur fond noir, et l’évocation, déambulation photographique dans l’universalité des thèmes abordés par cette jeune femme, tout autant victime qu’elle fut bourreau quand elle appartenait au gang.

Comme toujours avec Brachet et consorts, il faut s’attendre, de la manière qu’ont les grandes œuvres de produire un effet inédit sur les spectateurs, à un je-ne-sais-quoi d’indéfinissable, une gravité en même temps qu’une certaine grandeur dans la façon d’aborder le sujet. Ça, le trio UPIAN – ARTE – Agence VU’ possède cette rigueur créatrice (les termes, pour Alma, ne sont pas antinomiques) qui ne laisse rien au hasard, et fait d’un récit une expérience à part entière, une participation novatrice à l’utilisation des nouveaux écrans.

Rien de déjà vu, rien des trucs ou astuces qui ont pu fonctionner ailleurs. L’équipe se place clairement comme instigatrice de nouvelles formes techniques et, conséquemment, de nouvelles émotions de visionnage. L’intégration du projet dans l’interface web pour laquelle Sébastien Brothier, maître artificier d’UPIAN, se met une nouvelle fois dans la peau d’un réalisateur-chercheur, crée une atmosphère guidant notre façon de naviguer, de cliquer ou – nouveauté ici – de faire « glisser » l’écran d’un simple doigt.

Point commun avec l’ONF, qui soigne chacune des bandes-son de ses projets comme une véritable écriture, UPIAN prend bien soin de proposer une musique originale, composée ad hoc comme la trame narrative du récit. Comme d’autres expérimentent des rapports d’images dans la mise en scène au cinéma, ces créateurs de langage web nous engagent dans un nouveau rapport à « l’objet web », et à sa façon de l’appréhender : Alma, de ce point de vue, serait-il le premier vrai webdocumentaire conçu pour tablettes tactiles ?

En tout cas, malgré sa qualité technique, Alma est un projet anti-usine à gaz. De l’agence web la plus novatrice de Paris, on pourrait toujours redouter une débauche d’effets techniques, de prouesses clinquantes. Mais non : l’adéquation du fond et de la forme confine ici à la simplicité, par ce double écran vertical (il était horizontal dans Côté Fenêtre/Côté Couloir ou Gaza/Sderot) qui, lançant en direct deux films simultanément, met à l’honneur le caractère tactile de l’œuvre. Sur l’iPad, ce n’est plus le désir techniciste qui fait passer d’un écran à l’autre, l’appel du clic pour dénicher le contenu caché n’est plus le moteur de l’auto-narration que réalise l’internaute. Alma en appelle à la divagation de l’esprit, à l’imaginaire qui s’envole et qui guide le doigt sur l’écran. Une technologie anti-technique, destinée à laisser toute sa place au sensible.

David Carzon présente « Alma » au FNC – photo: David Dufresne.

Et puis, déjà esquissé avec Happy World, la problématique de la diffusion est de nouveau au cœur d’Alma. L’argument publicitaire de l’embedded (moche anglicisme pour désigner l’embarcation de l’œuvre sur des sites extérieurs à celui sur lequel Alma est hébergé) révèle une philosophie hacktiviste qui ne dit pas son nom. Car si UPIAN est dans son rôle en créant les outils propres à une diffusion maximale et, de fait, difficilement contrôlable de l’œuvre, la logique d’ARTE en la matière est étonnamment audacieuse. Prenant pour fait acquis que les œuvres sur Internet sont souvent détournées, piratées et vues dans des conditions dégradées par rapport au programme original, ARTE promeut un système de diffusion nouveau, où l’ensemble de l’œuvre peut se lancer directement depuis un bandeau de présentation.

En clair, dimensionné à la taille adéquate, le bandeau Alma hébergé sur votre blog permettra de lancer l’ensemble des films. Une sorte de logique Youtube en lieu et place du diffuseur audiovisuel unique. Il s’agit donc de prévenir une possible dissémination de mauvaise qualité de l’œuvre, mais aussi d’encourager les nouveaux usages. Qui sait dès lors où Alma sera visionné ou partagé ? Le web, objet éminemment social, révèle ici sa puissance et la relative inopérance des anciens systèmes de distribution : le temps de l’appropriation de l’œuvre par le public, y compris dans sa diffusion, est venu. Cela n’est pas sans soulever des questions essentielles (le droit des auteurs, les règles de diffusion…) mais c’est précisément là où nous attendons UPIAN et ARTE : sur l’interrogation des grandes lignes d’horizon qui entourent la création.

Nicolas Bole

Plus loin

– A noter que le webdocumentaire « Alma, une enfant de la violence » sera projeté vendredi 2 novembre 2012 à 19h à la Maison de l’Image Documentaire de Sète, en présence des réalisateurs. Une table-ronde autour du webdoc est également organisée le lendemain à 15h.

No Comments

  1. Pingback: « Alma », le premier webdoc pensé « tactile » | Webdocumentaires | Scoop.it

  2. Intéressante initiative, je rebondis sur votre dernier paragraphe pour vous signaler un mode de distribution que nous développons depuis plus d’un an chez Fullscreens et qui semble être assez proche de ce que vous décrivez… ce format est notamment visible ici http://www.20minutes.fr/tv
    Il s’agit du format pavé à droite « La Virgule ».

    Baptiste

  3. Pingback: « Alma », le premier webdoc pensé « tactile » | Veille CULTURE | Scoop.it

  4. en fait le spectateur devient monteur d’une partie de la forme du film… c’est étonnant d’analyser son propre rapport à l’interactivité… pourquoi on a envie de passer sur les images ? qu’est-ce qu’elles apportent ? pourquoi revient-on sur le visage d’Alma ? Je suis quasiment allé systématiquement sur les propositions d’images, les trouvant plutôt fortes. Je m’interroge donc sur la nécessité de laisser ce choix au spectateur. Outre le côté nouveau et très bien fait, est-on dans le gadget ou dans l’apport véritable d’un élément qui transforme notre perception ?

  5. Pingback: « Alma », le premier webdoc pensé « tactile » | WebDocWorld | Scoop.it

  6. Pingback: « Alma », le premier webdoc pensé « tactile » | Yum Yum Rabbit Hole News | Scoop.it

  7. Pingback: « Alma », le premier webd...

Leave a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *