Événement sur Le Blog documentaire puisque nous sommes aujourd’hui partenaires d’un film « oscarisable »… 5 Caméras brisées, de Emad Burnat et Guy Davidi, sort en salles ce mercredi 20 février en France.
Chronique intime d’un village situé à la frontière israélo-palestinienne, ce documentaire est notamment composé par les images filmées par Emad, simple paysan devenu coréalisateur du film. En 2005, il achète une caméra pour la naissance de son dernier fils, et depuis il documente sans relâche la résistance pacifique des habitants de Bil’in face à la progression de l’armée israélienne. Entretien.
Le Blog documentaire : Emad, vous filmez votre quotidien depuis 2005, année au cours de laquelle vous avez aussi rencontré Guy. Quand et comment avez-vous décidé de demander à Guy de se pencher sur vos images ?
Emad : Je lui ai d’abord proposé de soutenir le film, sans forcément voir les images que j’avais filmées. J’avais déjà initié le projet, et je cherchais des fonds.
Après 5 années passées à filmer les événements et les personnages de mon quotidien, je lui ai proposé de me rejoindre. Nous avons alors commencé à travailler ensemble.
Guy, pourquoi avez-vous accepté de travailler sur ces images qui n’étaient pas les vôtres ?
Guy : Nous nous connaissions depuis 2005, puisque je fais partie des activistes israéliens qui soutiennent la population de Bil’in. J’avais déjà réalisé plusieurs films autour de ce village. Emad me connaissait, et quand il m’a proposé de le rejoindre sur son travail, je n’étais pas persuadé que nous pouvions faire un film. Je n’étais pas certain qu’un énième documentaire sur ce sujet puisse avoir un sens. De plus, nos nationalités respectives pouvaient poser problème : nous redoutions qu’Emad soit critiqué pour avoir travaillé avec un Israélien.
Cela dit, petit à petit, je me suis dit qu’un film pouvait exister si nous mettions Emad au centre du documentaire. Je me suis dit que, politiquement, ce serait une décision forte que de donner de la résonance à la voix d’Emad et à ses combats quotidiens. Il ne s’agit pas tant d’utiliser ses images, mais de l’instituer en tant que personnage du film en le laissant raconter sa propre histoire. C’est l’une des raisons qui m’a poussé à travailler sur ce projet.
Une autre élément déterminant a été de voir une image particulière, qui m’a profondément choqué. Celle d’un vieux monsieur qui montait sur une jeep pour empêcher une arrestation. J’ai demandé à Emad qui était cet homme, et il m’a répondu que c’était son père qui voulait empêcher qu’on emmène l’un de ses fils en prison. J’ai immédiatement pensé qu’il y avait là un point de départ très fort pour essayer de construire un film, du point de vue d’Emad. Partir d’une histoire familiale pour évoquer le destin d’un village et d’un pays est, selon moi, une bonne manière de raconter ces tragédies.
Emad, avez-vous facilement accepté d’être ainsi placé au centre du film ?
Emad : Le film a débuté en 2005, et non en 2010. J’ai beaucoup réfléchi aux personnages, aux séquences à filmer, et à la construction globale d’une histoire. Guy m’a ensuite encouragé, et il m’a donné des idées pour réaliser et monter ma propre histoire.
Je voulais d’abord faire un film très personnel sur mes amis, ma famille, mon fils. Je ne voulais pas me mettre en avant à titre personnel. Nous avons alors travaillé avec Guy pour bâtir un ensemble cohérent.
Je voudrais ajouter que, lorsque j’ai demandé à Guy de travailler avec moi, je ne voulais pas que ce projet soit perçu comme une entreprise « israélo-palestinienne ». C’est simplement l’histoire de mon village. Guy était présent sur les lieux en tant qu’activiste israélien. Le seul but de notre collaboration, finalement, c’est de montrer le film en dehors de la Palestine.
Vous êtes finalement un autodidacte. Vous n’avez jamais appris comment utiliser une caméra ?
Emad : Oui, j’ai tout appris par moi-même.
Quel rapport entretenez-vous avec vos caméras ? Est-ce une arme ou un bouclier ?
Mes caméras sont des armes, des amies, et quelque chose qui nous protège, moi et mes amis. La caméra est une protection, mais elle peut devenir une raison de vous tuer, comme une raison de vous sauver. Le but reste de filmer encore et encore. Il me faut montrer la situation que nous vivons, et raconter notre histoire partout dans le monde.
Comment le projet s’est-il développé, et comment a t-il été financé ?
Guy : Nous avons commencé à travailler avec le Greenhouse development program, une organisation qui tente d’aider des projets de films et des réalisateurs du Moyen-Orient et de la région méditerranéenne. Ils nous ont soutenu, et nous avons profité de leurs réseaux. Nous avons pu trouver des financements hollandais, nord-américains, israéliens… etc. Les professionnels que nous avons rencontrés étaient impressionnés par l’histoire que nous voulions raconter, par nos personnages, par le pouvoir des images, par le trailer aussi. Il y avait beaucoup de travail, mais nous sommes parvenus à le financer. Au final, 5 Caméras brisées est une production franco-israélo-palestinienne, avec des fonds hollandais, canadiens ou encore coréens.
Parlons de cette voix off, si particulière, et si touchante… Comment avez-vous collaboré à ce sujet ? Qui a écrit le texte ?
Guy : Je l’ai écrit, et je pense que la qualité de cette voix résulte de l’alliance de nos deux sensibilités. Je suis avant tout écrivain, et j’ai une approche très poétique de la langue. J’y travaille depuis très très longtemps. Je me suis inspiré de mon expérience à Bil’in, et des conversations que j’ai pu avoir avec les habitants sur place. Nous avons aussi eu de nombreuses discussions avec Emad, sur les toits de Bil’in. Nous parlions de sa vie, de son père…
Je me souviens par exemple de discussions sur la sensibilité des enfants, et notamment d’un échange sur la peau. La peau fine et fragile des enfants est une belle métaphore pour évoquer les évènements qui se tiennent à Bil’in, et cette métaphore a été directement inspirée par l’expérience d’Emad avec son dernier fils.
Et nous avons choisi un ton très doux pour fuir l’émotion et le sensationnel. J’avais l’avantage de venir de l’extérieur, et je pouvais donc aider Emad à mettre les choses en perspective, et à interpréter finalement le réel. Je devais l’aider à cela.
Emad, comment avez-vous trouvé le ton si juste de votre voix ?
Emad : Le ton de la voix est effectivement très fort dans le film. Je pense que nous sommes parvenus à faire ressentir le poids de la vie et des souffrances des habitants de Bil’in. Il était très important de trouver ce ton, qui vient de l’intérieur. Personne ne ressent la situation de la même manière, et j’essaie de parler depuis mon intimité. Chaque moment que j’ai vécu en train de filmer était très intense. Il n’était pas évident de transcrire ces émotions dans ma voix.
Cette voix off a t-elle été écrite avant ou pendant le montage ?
Guy : La voix off a été écrite pendant le montage. Certains passages ont été écrits bien avant, comme les premières phrases du film. Certains textes existaient donc depuis longtemps, et d’autres ont été écrits à mesure que le montage avançait. Ce fut un long processus, sur lequel nous revenions très souvent.
Comment avez-vous travaillé sur le montage du film, justement ?… Je crois qu’il y a 700 heures de rushs !!!
Guy : Nous avons commencé ce travail à Bil’in. Emad numérisait ses images… Nous discutions, et nous tentions de trouver une structure à partir des évènements qui agitaient le village. Ce fut un très long processus d’un an et demi. Je travaillais chez moi pendant qu’Emad filmait de nouvelles images, tout en triant ce qu’il avait déjà enregistré. Pendant que nous échafaudions une première ébauche, d’autres séquences se déroulaient, comme celle de sa femme lui demandant d’arrêter de filmer.
La structure basique est assez vite apparue, l’histoire des 5 caméras brisées a été vite trouvée. Nous avons ensuite travaillé avec Véronique Lagoarde-Ségot, à Paris, et il a été plus difficile de trouver le sens du développement de l’histoire. Le challenge de ce récit correspond finalement bien à la situation de la Palestine en général : il y est question d’occupation, un processus très répétitif – et l’un des motifs du film. Il nous a donc fallu trouver une progression dramatique dans cette matière. Comment juguler le fait que rien ne progresse, finalement ? Ça a été le plus difficile, et l’apport de Véronique a été décisif : elle nous a aidé à trouver la structure narrative, et à distiller les informations afin que le film soit intelligible pour des spectateurs qui ne sont pas familiers avec cette problématique.
Comment avez-vous travaillé avec la musique ? L’idée d’irriguer ainsi la narration était-elle présente dès le départ ?
Guy : Emad m’avait apporté des albums de musique palestinienne et j’ai particulièrement apprécié le trio Joubran. Nous avons donc décidé de travailler à partir de ces morceaux.
Emad, J’imagine que vous n’avez pas arrêté de filmer ?
Emad : Je continue bien sûr de filmer, et je continuerai. Il y a une différence entre un réalisateur de films qui cherche à faire des documentaires et un homme dont la vie en dépend. Je n’ai pas d’autres buts que de me battre pour mon territoire, et je dois produire des images pour cela.
Filmer fait partie intégrante de votre vie ?
Emad : Oui. La situation m’y oblige. Tous les jours.
Continuez-vous à montrer vos images aux habitants de Bil’in ?
Emad : Je leur montre mes images depuis 2005. Nous vivons tous la même réalité, et les images sont là pour nous rappeler ce que nous vivons et ce que nous avons vécu.
Le documentaire a t-il été vu en Israël ?
Guy : Oui, il a été projeté lors du Jérusalem Film Festival, où il a remporté le prix du meilleur documentaire. Il a ensuite été montré dans de petits cinémas, et à la télévision. Nous sommes donc parvenus à toucher des spectateurs israéliens, ce qui est très important pour nous. Les réactions étaient très disparates, de l’empathie à la haine, mais ouvrir cette discussion en Israël est une bonne chose.
Ce film pourrait nourrir quelque changement, selon vous ?
Guy : Tout peut créer le changement. Et pas seulement un film. Tout ce que vous faites peut générer du changement. Il faut rester modeste sur ce que nous voulons accomplir, et sur les objectifs que nous nous fixons. Un film ne peut sans doute pas, à lui seul, renverser le cours de l’Histoire, mais tout ce que vous faites au quotidien peut avoir un impact, si vous y croyez. Nous pouvons accomplir de grandes choses, si nous restons modestes.
Dernière question, traditionnelle question : quelle est la situation aujourd’hui à Bil’in ? Et quels sont vos espoirs pour le futur ?
Emad : La situation n’a pas changé. Et ce n’est pas seulement l’histoire de Bil’in, mais de la Palestine en général. C’est d’ailleurs ce que je cherche à évoquer quand je filme : je veux parler de l’ensemble du problème palestinien. La situation de mon village peut paraître plus calme aujourd’hui que dans d’autres endroits où c’est très dur. Le documentaire ne reflète pas seulement mon histoire ; c’est une histoire palestinienne. Et la situation générale empire.
Vous accompagnez le film autour du monde.. mais avez-vous une caméra avec vous ?
Oui, j’ai ce petit appareil, et je peux donc filmer partout !
Propos recueillis par Cédric Mal
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