Nouvel épisode de l’Atelier du Réel, notre série podcasts réalisés en partenariat avec la SCAM. Place aujourd’hui à Catalina Mesa qui évoque avec nous son documentaire « Jericó, l’envol infini des jours ». Sorti en 2018, il fait partie du catalogue de la plateforme de films, Les Yeux Doc. Il était d’ailleurs en lice pour le Prix du public Les Yeux Doc 2022.

Ce film est un portrait choral, le portrait d’un chœur de femmes de différentes classes sociales et d’âges variés, toutes habitantes de la même ville colombienne, Jericó. Catalina Mesa a choisi d’implanter sa caméra dans une unité de lieu qu’elle connaissait déjà très bien puisqu’une partie de sa famille est originaire de cet endroit situé sur la cordillère des Andes, pas loin de Medellin, la ville où elle-même a grandi jusqu’à ses 17 ans. C’est donc le quotidien et l’histoire de la partie féminine de cette ville qu’elle raconte dans ce documentaire vivant, musical, touchant. On suit en alternance des dames âgées, ou bien des plus jeunes, dans la rue ou chez elles, en centre ville ou dans les environs ; on les écoute se raconter, se confesser avec une rare sincérité. Le montage frappe d’emblée par sa virtuosité, car il fait se croiser dans les mêmes scènes la plupart de ses personnages. Les chansons du film permettent aussi d’accompagner cette composition qui a l’allure rythmée d’une valse tournoyante. Et malgré les nombreuses couleurs à l’image et un humour très présent dans les discussions, sous les dehors chatoyants de ce village perché loin des soubresauts du monde, la cinéaste est parvenue à soulever des questions douloureuses, dramatiques : la fatalité de la vieillesse, l’inégalité entre les hommes et les femmes, le racisme subi par les personnes qui ont une peau plus sombre que d’autres ou encore la violence politique qu’a connu la Colombie.

Catalina Mesa – © Laura Morsch assistée de Patricia Sauli

Catalina Mesa

La cinéaste est née et a vécu en Colombie jusqu’à ce qu’elle parte à l’étranger pour ses études. D’abord aux Etats-Unis puis en France (à Paris) où elle a suivi une licence d’Arts du spectacle et un master de Lettres à la Sorbonne. Elle a ensuite étudié la photographie, la vidéo et le montage à l’école de l’image des Gobelins, avant de s’initier à la réalisation à La Fémis. Elle est repartie aux Etats-Unis à l’Université de Californie, à Los Angeles, où elle a approfondi ses études de cinéma. En 2008, elle a fondé à Paris la société de production Miravus qui a produit son premier long métrage Jericó, l’envol infini des jours.

« Jericó, c’est la ville de mes ancêtres. C’est là où mon grand-père paternel, mes grands-tantes ont passé leur enfance. C’est cette génération-là qui a migré de ce village jusqu’à Medellin, quand cette ville commençait à être effervescente et qu’il fallait aller faire ses études là-bas. Quand on se réunissait en famille, j’avais une grand-tante qui était le cœur de l’oralité de la famille ; elle nous racontait à chaque fois les mêmes histoires de la famille à cette époque-là, des histoires incroyables, pleines d’humour […]. Elle nous a transmis son Jericó à elle, le Jericó de son enfance, quasiment un village imaginaire. […] Plus tard, quand elle est tombée malade, j’ai décidé d’enregistrer ses histoires pour préserver le trésor d’oralité de la famille. Encore plus tard, quand je me suis formée à l’image, inspirée par Profils paysans de Depardon – la sobriété de la caméra, ou par Alain Cavalier – ce travail de la mémoire, des gestes, du savoir-faire, ou encore par Agnès Varda – la rue, les commerçants, les pêcheurs de la Pointe courte, je me suis dit que je devais faire un travail de mémoire dans le village de mes ancêtres. Je suis donc revenue à Jericó en élargissant à d’autres habitants le travail que j’avais fait avec ma grand-tante. »

 

« En suivant la piste de la voix de ma grand-tante pour revenir à Jericó, comme on remonte un fleuve, je savais que j’allais célébrer l’esprit féminin de ces lieux. J’étais complétement prête à accueillir la vie de ces femmes, très ouverte à leur réalité, à leurs vies, si elles avaient des compagnons, si elles étaient mariées. Pendant trois quatre semaines, j’ai été rendre visite à 25 ou 30 habitantes afin de savoir avec qui j’allais travailler plus profondément. Au final, j’ai choisi douze d’entre elles, chacune comme une couleur différente, une vie différente. Ce n’est seulement au montage que je me suis rendu compte que les femmes que j’avais suivies étaient plutôt des femmes solitaires et que la présence des hommes dans leur existence étaient très discrète. Mais ce n’était pas un choix très conscient qu’il y ait si peu d’hommes dans mon film […]. Ce n’était pas intentionnel mais ça dit beaucoup de cette génération-là »

« Dès le début, le film a été en partie co-écrit avec les femmes de Jericó. C’est avec un processus socratique, avec pleins de questions, que l’on a décidé où on allait filmer les histoires de chacune d’entre elles. Luz m’a dit que son lieu préféré c’était sa cuisine, c’est là où elle est la plupart du temps, c’est son espace. Chila, c’est la commerçante donc elle voulait qu’on la filme dans son commerce. C’est avec elles qu’on a créé ces mises en scène, même si je voulais avoir mon propre regard, ma liberté : celle d’amener cet élément qu’est la musique, un élément qui est presque ethnographique puisque la B.O. est un peu la ‘playlist’ que mes grands-tantes m’ont transmise. La musique a servi à créer des chorégraphies, et c’est ainsi que le film a été conçu. Je posais à chaque fois la question de savoir si elles se connaissaient les unes les autres et si Faviola, par exemple, me disait qu’elle avait travaillé avec Luz, qu’elles se connaissaient bien, alors je lui demandais comment elle ferait dans la réalité si elle devait aller lui rendre visite. Et on organisait cette visite en fonction de sa réponse. Il y avait vraiment dès le départ l’intention de construire le film comme un kaléidoscope pour finalement raconter un seul esprit des lieux qui danse et se ballade. »

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