Ça en deviendrait presque une tradition : pour la deuxième année consécutive, Le Blog documentaire vous propose une compte-rendu des Rencontres européennes du moyen métrage de Brive. Après Dorothée Lachaud l’an passé, c’est Jean-Pierre Carrier qui vous guide parmi la riche programmation du festival…
Au Festival de cinéma de Brive, le documentaire flirte avec la fiction
La 9° édition de ce festival consacré au cinéma de moyen métrage (entre 30 et 60 minutes) s’est déroulé du 10 au 15 avril 2012. A côté d’une section hommage (Peter Watkins), d’un parcours à travers les œuvres courtes de Pasolini, d’un panorama du jeune cinéma portugais, de la projection des Histoire(s) du cinéma de Godard et de la série « interminable » de Versailles-Chantiers de Bruno Podalydès, la compétition européenne offrait 23 films, soumis à un jury de professionnels pour l’attribution d’un Grand Prix dont les années passées ont assuré la notoriété. La sélection de 2012 est surtout riche par sa diversité, mais de qualité un peu inégale. La fiction y domine, mais les documentaires y occupent une place non négligeable. D’autant plus qu’un certain nombre d’œuvres « hybrides » s’évertuent à transgresser les barrières. S’il est assez courant de voir des fictions inclure des données documentaires, il l’est moins qu’un projet documentaire utilise explicitement les armes traditionnelles de la fiction. Les exemples présents ici ne pouvaient qu’éveiller notre curiosité.
Côté documentaire « traditionnel », signalons tout de suite un des films les plus marquants de l’ensemble de la sélection, Nos Fiançailles de Lila Pinell et Chloé Mahieu, une approche systématique du milieu catholique intégriste. Rien n’est laissé de côté. On rencontrera ainsi successivement des jeunes qui disent une prière avant chaque repas et le soir au coucher ; ces mêmes jeunes pour qui il est indispensable d’arriver au mariage vierges après au moins deux ans de fiançailles ; les manifestants de la fête de Jeanne d’Arc et les officiants des offices à Saint Nicolas du Chardonnet. D’ailleurs, si vous n’êtes jamais rentré dans cette église lors d’une messe, vous pouvez ici découvrir ce qu’il s’y proclame : que la mini jupe est un péché par exemple, ou un hommage appuyé à Franco pour l’œuvre qu’il a accomplie au service de Dieu et dont personne, en France ou en Espagne, n’entreprend de reprendre le flambeau.
Devant tant d’outrance, la salle rit parfois. Mais on sent aussi une certaine inquiétude diffuse, lorsqu’en particulier il est martelé que la France n’est ni musulmane ni laïque, mais catholique. Le film n’est pourtant pas militant, ni ouvertement dénonciateur. Il donne à voir honnêtement une réalité dont il laisse le spectateur juge, même si on peut sentir que les réalisatrices prennent une certaine distance par rapport aux implications politiques de propos qui ne sont plus uniquement religieux. Le chant nazi accompagnant le générique de fin est à cet égard particulièrement éloquent !
De la bourgeoisie du Vème arrondissement de Paris aux banlieues du Cap en Afrique du Sud, il y a beaucoup plus de distance que les milliers de kilomètres qui séparent géographiquement les deux villes. C’est le mérite de la sélection proposée ici que d’opérer ce genre de contraste et de bousculer ainsi le regard des festivaliers. Teboho Edkins part donc à la recherche des Gangster Du Cap. Mais son film Gangster Project ne se contente pas de les filmer. Car son sujet c’est bien plus le projet du film que les gangster eux-mêmes. On peut bien comprendre que filmer des gangsters, de vrais gangsters, n’est pas chose facile. Il faut trouver des gangsters, de vrais gangsters. Il faut d’abord trouver quelqu’un qui vous permettra de les rencontrer. Il faut ensuite qu’ils acceptent de se laisser filmer. Tout cela ne va vraiment pas de soi. Au point que tous les va-et-vient que ça occasionne, toutes les tractations qu’il faut mener, constituent un matériau filmique non négligeable. Du coup, le film d’Edkins est un film en train de se faire, un film sur le cinéma ! Un documentaire gigogne en quelque sorte.
Dans le programme officiel du festival, un des films sélectionnés est qualifié de « fiction documentaire ». Surprenant, au premier abord. Il s’agit de La Maladie Blanche de Christelle Lheureux. Sa dimension fictionnelle est assez évidente par l’utilisation d’acteurs et surtout par la plongée dans l’imaginaire qui constitue la dernière partie du film. Mais en même temps, il nous propose une description très précise d’un village pyrénéen un soir de fête, avec ses danseurs, sa musique, ses lumières. On y croise des villageois, des chasseurs évoquant leurs exploits, des adolescents qui flirtent, le tout dans une ambiance festive mais qui, peu à peu, par le jeu des lumières dans des images en noir et blanc extrêmement séduisantes, déréalise le village et ses habitants. Au point que l’apparition du sanglier qui aurait pu avoir un statut onirique devient en fait la manifestation de la réalité. La complémentarité, on devrait même dire la fusion, du réel et de l’imaginaire, n’a été que rarement aussi bien réalisée au cinéma.
Si dans beaucoup de films on peut dire que la dimension documentaire s’incruste dans la fiction, avec La Grève des Ventres (de Lucie Borleteau), c’est plutôt la fiction qui est utilisée au service d’une visée documentaire. Le film se présente ouvertement comme un film engagé, militant même. Il comporte des interviews de militantes et filme dans le genre cinéma direct leurs réunions et leurs discussions. Mais en même temps, il construit un récit autour de trois personnages, deux femmes et un homme, dont l’histoire d’amour va servir à problématiser les enjeux de la procréation et le rapport individuel que les femmes peuvent avoir avec la maternité. Cette partie du film revêt une dimension quasi didactique, comme la séquence franchement démonstrative proposée dans une forme théâtralisée pour faire la différence entre grève des ventres (refus de la maternité) et grève du sexe, arme plus classique d’opposition au pouvoir masculin. Au total, ce film s’évertue à mélanger les genres, ce qui ne peut que renforcer son intérêt.
Le format moyen métrage des films présentés au festival de cinéma de Brive ne concerne en fait que les films de fictions. Car les documentaires eux, sous l’influence du formatage imposé par la télévision, dépassent rarement les 60 minutes. Ceux que nous y avons vus ne se caractérisent pas vraiment par un travail sur la temporalité. Leur originalité est ailleurs, essentiellement dans le brouillage quasi systématique qu’ils opèrent sur les distinctions habituelles entre les genres cinématographiques. On ne peut alors que remercier le comité de sélection du festival de na pas avoir limité la compétition aux seuls films de fiction.
Jean Pierre Carrier
Les précisions du Blog documentaire
1. Retrouvez les dossiers que Jean-Pierre Carrier consacre aux documentaires et aux webdocumentaires sur le site Enfants Ecrans Jeunes Médias des CEMEA.
2. Voici le palmarès de la 9e éditions des Rencontres du moyen métrage de Brive :
Grand prix Europe et Prix du jury Jeunes de la Corrèze : BORO IN THE BOX, fiction expérimentale de Bertrand Mandico.
Grand prix France : NOS FIANCAILLES, documentaire de Lila Pinell et Chloé Mahieu.
Prix du public : LA VIE PARISIENNE, fiction de Vincent Dietschy.
Prix Ciné + : VILAINE FILLE, MAUVAIS GARCON, fiction de Justine Triet, et CE QU’IL RESTERA DE NOUS, fiction de Vincent Macaigne.
Prix du scénario : BLEU, BLANC, ROUGE de Xavier Bonnin.
3. Quelques bandes annonces et extraits :
La maladie blanche
Gangster project