On peut les croiser au fil de leurs pérégrination à Saint-Auban, Pirou ou au Havre… Agnès Varda et JR sont actuellement en tournage pour nourrir un projet en duo, coproduit par Ciné-Tamaris, Social Animals et ARTE, dont le titre pourrait être « Visages Villages ». Mais qu’est-ce que l’artiste photographe et la cinéaste de renom sont-ils partis bricoler ensemble ? Et comment parviennent-ils à s’accorder autour d’un même projet ? C’est ce que nous avons voulu savoir…
Agnès Varda et J.R. Laurel et Hardy. Un duo comique que celui formé par la cinéaste plasticienne et l’artiste de street-art ? Deux medium artistiques différents, deux personnalités bien trempées, voire explosives, et enfin, au moins deux générations qui les séparent. Qu’est-ce que ces deux-là pouvaient bien avoir à se dire ? Qu’est ce que qu’ils pouvaient bien avoir à nous raconter ?
C’est niché au cœur de l’auditorium du Louvre, sous la pyramide que JR a travestie jusqu’au 27 juin prochain, que les deux artistes sont venus nous parler de leur binôme et du projet qui les anime. « Vous vous disputez souvent ? », questionne le modérateur. « Tout le temps !, répond JR en riant, Agnès a toujours un petit mot pour critiquer tout ».
Car entre ces deux artistes, c’est un peu l’amour vache. Ils s’aiment autant qu’ils se querellent, l’un ne laissant jamais l’autre au repos. Leur histoire commence par un coup de foudre et se poursuit dans une relation tumultueuse, même si chez eux l’agitation est joyeuse, ludique et féconde.
« Nous avons une même approche des gens. C’est ça qui a fait que le jour où l’on s’est rencontrés, on s’est dit que l’on ne pouvait pas juste se rencontrer, sans faire quelque chose ensemble. Nous avons alors eu envie de commencer quelque chose sans savoir ce que ça se serait. », explique JR.
Quant à Agnès Varda, son intérêt pour les artistes de street-art n’est plus à démontrer depuis son film Mur Murs, réalisé en 1980 à Los Angeles. « Je m’intéressais déjà à ces peintres qui peignaient des grandes fresques en ville et refusaient le système des galeries et de l’argent. A l’époque, personne n’en parlait. Du coup, j’ai tout de suite suivi le travail de JR. »
Depuis cette première rencontre, JR et Varda ne cessent de tisser des ponts entre leurs univers artistiques respectifs qui, au delà des différences de medium, s’interpénètrent avec finesse et résonnent « juste ». Les deux projets qu’ils ont menés respectivement à Cuba à 50 ans d’écart, Agnès en 1962 avec ses photographies de La Havane à l’arrivée de Fidel Castro et JR en 2012 avec The Wrinckles of the City où l’artiste y a photographié des personnes âgées pour déposer leurs visages sur les murs effritées de la ville, témoignent de cette proximité évidente de sensibilité entre les deux artistes.
C’est d’ailleurs cette complémentarité des regards qui a incité JR et Varda à se lancer dans la réalisation d’un film à quatre mains et quatre yeux. Puisque le premier reproduit des visages de personnes croisées dans la rue à très grande échelle et que la seconde cherche à capter les histoires et les récits de ces mêmes personnes, il leur semblait presque naturel de travailler ensemble.
« Moi j’aime beaucoup traiter certains sujets, parler aux gens, m’approcher d’eux et comme JR arrive, par sa façon de faire des photographies, à mettre au mur des choses très grandes, j’avais l’impression que cela amplifiait la représentation des gens. Peut-on en faire des héros du quotidien ? Car moi, ce sont les gens du quotidien, les gens simples qui m’intéressent. Comme de son côté, JR en faisait des grandes images, il me semblait qu’on pouvait associer nos méthodes. », explique Agnès Varda.
Comme Raymond Depardon avec son film Les habitants, les voilà donc partis eux aussi en vadrouille à travers la France, mais cette fois-ci pour rechercher des lieux et des gens avec qui explorer les fourmillements de leur imagination. Aux hasards des chemins et de leurs pérégrinations, mais aussi dans des lieux préalablement repérés avant le départ, les deux artistes posent leur caméra pour s‘intéresser avant tout à ceux qui travaillent. Le principe du film semble ainsi reposer sur cet équilibre fragile entre l’échange, le partage des deux artistes avec les travailleurs et les personnes rencontrées au fil de leurs déplacements, et la possibilité de réaliser ce qu’Agnès Varda nomme joyeusement « nos petites folies ».
Pour l’heure, nous n’en saurons pas plus sur ce projet qu’ils définissent l’un et l’autre comme un « work in progress ». Les 50.000 premiers euros pour financer le film avaient été obtenus grâce à une campagne internet sur le site KissKissBankBank, AV et JR deux artistes en goguette, où déjà se lisait la dimension performative d’un projet qui, de ce fait, devient difficile à intégralement prévoir à l’avance [Cette campagne de crowdfunding avait fait grincer quelques dents, NDLR]. Presque un an plus tard, cette sensation d’un film en train de se faire reste toujours présente : « On ne sait pas trop où l’on va. Ce qui nous a sollicité est tellement disparate que nous devons encore en trouver la logique. Il faut que l’on cherche comment passer d’une image, d’une idée à l’autre », reprend Agnès Varda.
Ce qui est sûr, c’est que le film promet de jolis moments de poésie, teintés de belles plages d’humour/humeur, tant la complicité entre ces deux-là est palpable. Si le film parlera de leur travail respectif, « mis en commun » pour ce projet, il dira aussi en creux les liens qui les réunissent, la relation qu’ils construisent depuis leur première rencontre. « C’est très dur de co-réaliser, il faut discuter de tout, à deux. J’essaie aussi de comprendre ce que voit Agnès. », concède JR.
Pourtant, au delà de l’exercice de style, ce projet de film a aussi le mérite de confronter deux temporalités hétérogènes. Il y a d’abord celle existant entre JR et Varda, que 55 années séparent. Et même si Agnès Varda affirme que « c’est agréable quand on est vieux de travailler avec quelqu’un qui s’en amuse énormément, car je suis obligée de trouver ça drôle aussi. », il est clair que la différence générationnelle devient ici un élément constitutif du film.
La seconde hétérogénéité temporelle, est celle induite par leur manière spécifique de travailler. « Le principe même de mon travail est basé sur le fugitif, sur le fait que cela va vite et que cela disparaît aussi très vite. », affirme JR. Et même si Agnès Varda se fascine pour cette performativité artistique, où l’idée et le dire sont presque immanents avec le faire, il n’en demeure pas moins qu’elle défend son medium, le cinéma, qui nécessite, lui, du temps. « Le cinéma est plus long. Dans cette vitesse que propose JR, j’apporte une réflexion et une lenteur. », explique Agnès Varda.
Au delà des pérégrinations géographiques des deux artistes, le film devrait donc être, ou en tout cas exprimer ce point de rencontre fragile, instable, mais néanmoins puissant et solaire, constitué par ce binôme inattendu, et pour le moins décapant.
Agnès Varda ne souhaitait pas montrer les premières images filmées et montées du projet, par peur qu’elles tuent le désir des spectateurs. JR, au contraire, tenait absolument à donner un avant-goût au public des promesses qu’allaient tenir le film. Encore un point de dissension entre les deux acolytes. Mais cette fois-ci, JR a gagné la partie et son pari : nous voici à notre tour entraînés dans cette état de curiosité enfantine, immergés dans leur douce folie joyeuse, sans avoir la moindre envie d’y sortir. Nous n’en ne dirons pas plus, pour l’instant…
A suivre !
Vous venez à Marseille un peu avec votre camion? En attente de vos belles réalisations artistiques …j’adore ces deux grands artistes …Mme Varda j’aime tellement votre regard sur le monde …
Pat
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