Début juillet, l’heure de regarder un peu derrière nous… Et au rang des initiatives marquantes de cette année 2013, Le Blog documentaire a notamment choisi de revenir sur Alt-Minds, l’expérience la plus « transmédia » des mois passés.

Une bande de jeunes scientifiques disparus. Une enquête qui serpente dans tout un tas de pays exotiques d’Europe de l’Est. Une action qui se décline sous forme de films, de recherches sur Internet, de missions à accomplir dans la vraie vie et de jeux casse-tête sur les réseaux sociaux. Debriefing de l’expérience à tête reposée avec son créateur, Eric Viennot. Les propos sont recueillis (et parfois traduits de l’anglais) par l’inévitable Sacha Bollet.

 « Réunir tous les types de joueurs dans un même univers :
c’est compliqué »

altminds

Le Blog documentaire : Où en est le jeu ? Est-ce qu’on peut toujours jouer ?

eric_viennot01Eric Viennot : Le jeu en temps réel s’est terminé le 18 janvier. Pendant 8 semaines, les internautes ont pu y jouer en direct. C’était sans doute une première mondiale de lancer une histoire aussi longue et aussi dense qu’on pouvait suivre heure par heure, minute après minute… C’est ce qui a fait d’Alt-Minds un concept unique : une véritable épopée pour les milliers de joueurs qui ont vécu l’expérience.

Mais j’ai toujours pensé qu’il était aussi intéressant de suivre l’histoire en différé, et même de résoudre les énigmes après coup, même si les solutions ont déjà été publiées. Cela permet à ceux qui ont raté Alt-Minds de le découvrir plusieurs mois après, de jouer à leur rythme, comme avec n’importe quel autre jeu d’aventure ou de réflexion. C’est toujours intéressant de se creuser les méninges ! Ça permet au jeu de perdurer et d’avoir une durée de vie plus longue.

Nous avons donc travaillé sur une nouvelle version pour rendre tous les contenus accessibles en différé, ce qui n’était pas le cas sur la version d’origine. Le tout est prêt et sera lancé prochainement.

Pendant le jeu en temps réel, quand on arrêtait 2 ou 3 jours et qu’on se disait qu’on allait récupérer son retard dès qu’on aurait le temps, on reprenait rarement en réalité, non ?

Le temps réel a été vécu comme un truc extraordinaire, hyper immersif. Imaginez, certains ont passé près de 50 heures par semaine dans Alt-Minds, soit environ 400 heures en tout ! Une fois que ça s’est arrêté, ils ont ressenti un grand vide ! Il y en a beaucoup qui, encore aujourd’hui, se sentent un peu orphelins.

Le problème, c’est que le temps réel demande par définition de la disponibilité. Les internautes qui ont joué en temps réel la première semaine se sont rendus compte que c’était assez chronophage.

Rétrospectivement, on se rend compte qu’on a été trop gourmand. Le jeu présente une telle masse de contenus, de médias, d’informations… certainement un peu trop pour ceux qui voulaient jouer à leur rythme !

Et effectivement il y en a qui ont abandonné. Je pensais que 30 flux d’information par jour était un minimum. Et c’est vrai que pour ceux qui jouent en temps réel, ce n’est pas énorme parce qu’ils actualisent leur page internet heure par heure, voir minute par minute. Pour ceux qui arrivent le soir et qui veulent consacrer au jeu 20 minutes, ou une demi-heure : c’était beaucoup trop. Là on s’est un petit peu trompé.

Quelle serait la solution alors ?

Ça dépend… On a voulu toucher des catégories de joueurs assez disparates. On s’est dit que ce jeu pouvait plaire à des fans de séries qui veulent simplement suivre une histoire et qu’il pouvait plaire aussi aux « hardcore gamers » – ceux qui passaient 50 heures par semaine à essayer d’anticiper les solutions des mystères.

On se rend compte que c’est compliqué de satisfaire différents types de publics. C’est compliqué notamment dans le « gameplay » [la « jouabilité », ndlr] de régler le niveau de difficulté pour quelqu’un qui est un casual gamer [joueur occasionnel, ndlr] et qui n’a pas beaucoup de temps à consacrer à un jeu.

Ceux qui jouent en communauté aiment la difficulté pour pouvoir s’entraider, collaborer, éventuellement même associer leurs compétences sur certaines énigmes et ça, je pense qu’avec notre niveau de difficulté moyen, c’était beaucoup trop facile pour certains et trop difficile pour d’autres.

Aujourd’hui, j’aurais tendance à préconiser pour un ARG typique (Alternate Reality Game) un niveau de difficulté beaucoup plus important et une histoire beaucoup moins linéaire afin que les joueurs s’entraident, jouent en communauté et aient davantage le sentiment de participer à l’histoire et à sa résolution. Pour les autres, les joueurs occasionnels, je privilégierais une expérience beaucoup plus simple, plus courte, et surtout moins consommatrice de temps.

Mais c’est compliqué de les réunir tous dans un même univers et un même espace.

Vous avez des statistiques d’utilisation du jeu ?

On retrouve les chiffres habituels sur ce type de jeux sur Internet. A peu près 200.000 personnes se sont inscrites. Sur ces 200.000, on a eu en France 20.000 joueurs actifs et 5.000 qui ont fait tout le jeu non stop en temps réel. C’est très peu si on compare à un jeu sur console. C’est très honorable si on compare à un jeu comme Mission Braquo [l’ARG réalisé par Eric Viennot, tiré de la série de Canal+, ndlr] qui, tout en bénéficiant de la notoriété de la série et en étant totalement gratuit, a été joué par 15.000 joueurs.

Ce que nous retenons, c’est que 20.000 personnes ont fait un achat. Soit un taux de conversion de 10%, ce qui est pas mal. Sur Internet, le taux de conversion, c’est-à-dire le passage du simple clic à l’achat, est plutôt de 6 ou 7%. Si on atteint 10%, cela veut dire qu’on avait des profils qualifiés, c’est-à-dire des gens qui ne venaient pas par hasard. C’est ce que nous avions ciblé : les internautes qui ne tombaient pas sur le site de manière fortuite. Nous nous sommes appuyés sur des partenariats plutôt que sur de la publicité massive.

Et combien de personnes attendiez-vous ?

Je m’étais basé sur les chiffres de In Memoriam [le précédent jeu de fiction totale développé par Eric Viennot et sorti en 2003, ndlr) et ils sont à peu près équivalents. In Memoriam avait fait 30.000 ventes en France, contre 20.000 pour Alt-Minds. Le fait de jouer en temps réel était complètement innovant, et on ne pouvait pas vraiment prévoir ce qui allait se passer.

6370-alt-mindsOui mais pour In Memoriam, il fallait acheter le jeu. On payait à la semaine pour Alt-Minds

Effectivement, on ne peut pas comparer, les modèles économiques sont très différents. Même si les prix sont très bas sur Internet, les gens n’ont pas l’habitude d’acheter. Je pense que les ARG en France ont un public potentiel de 100 à 200.000 personnes. Sur Mission Braquo, on a eu 20.000 joueurs. Mais c’était des personnes qui venaient de la série, donc pas forcément des fans d’ARG ou de jeux.

Nous avons eu une surprise agréable : 80% de ceux qui ont acheté le jeu après la première semaine gratuite ont acquis la totalité du jeu, soit les 7 semaines restantes. Seulement 20% ont acheté par semaine. Ce qui signifie qu’ils ont eu un aperçu de ce qu’était le concept et qu’ils ont été prêts à investir dans la totalité. C’est plutôt positif.

C’est aussi tout simplement parce qu’on avait un prix d’accès très bas. 15 euros pour la totalité du jeu par rapport à 40, 50 voire 60 euros pour des jeux console… La semaine était à 2,65 euros. Effectivement, on avait un petit gain si on achetait l’ensemble du jeu.

Mais je crois que les utilisateurs ont surtout pensé que l’histoire avait l’air intrigante et qu’ils s’en tiraient bien pour 15 euros. On comparait tout à l’heure avec In Memoriam, qui était vendu à l’époque 40 euros. Et des joueurs m’avaient même dit qu’ils auraient été tout de même prêts à l’acheter si le jeu avait été plus cher !

On a eu des surprises aussi. Il y avait des parties qui se jouaient sur mobile avec de la géolocalisation. Il y avait un système de jauge d’énergie qui était limitée. Pour aller plus vite, on offrait éventuellement de l’énergie payante. Ce qui nous a étonné, c’est que certains joueurs ont dépensé 50 euros en un seul week-end pour aller chercher des points supplémentaires, alors qu’ils n’avaient acheté le jeu que 15 euros ! Gagner des places, être fidèle, figurer en bonne position dans le classement, c’est une vraie motivation pour certains joueurs.

D’autres ont critiqué cet aspect parce que ça faussait d’une certaine façon le classement et ce n’était pas dans l’éthique de ce genre de jeu. En effet, Alt-Minds n’est pas un « free to play« , c’est un jeu payant. Les joueurs s’attendaient donc à un package tout compris, où tout était gratuit après avoir payé une fois.

Pour récompenser les joueurs, vous mettiez chaque jour en avant un classement des 10 meilleurs d’entre eux. C’est important de les récompenser de cette manière ?

Oui, c’est essentiel dans un jeu. Il y a plusieurs types de récompenses. Être visible auprès des autres joueurs en est une, ça faisait partie du concept. Cela permettait d’intégrer les joueurs à l’histoire en les citant ou en les montrant dans certaines vidéos tournées en temps réel. On a même organisé une rencontre dans la vraie vie entre les enquêteurs qui jouaient leur propre rôle et certains joueurs. Les enquêteurs sont arrivés, ils ont dit aux joueurs qu’ils avaient peu de temps, qu’ils allaient leur donner des résultats de ce qu’ils avaient espionné la veille, avec de nouveaux rebondissements. Et puis ils ajoutaient avoir été suivis le matin même par un tueur, et avoir placé un guetteur. Les joueurs commençaient à s’interroger, se retournaient… et à un moment le téléphone de l’enquêteur sonnait, il répondait, raccrochait et annonçait qu’ils devaient y aller. Il terminait en disant au joueur : « si le tueur arrive, surtout planquez tout ».

C’était génial, on voyait les joueurs qui se retrouvaient plantés là, tous seuls, et qui se demandaient ce qui allait leur arriver, si on avait poussé les choses au point de faire venir le tueur… Certains avaient le regard un peu inquiet, et puis ils se précipitaient sur les dossiers, qui contenaient des infos disponibles quelques heures avant le reste de la communauté, avant que ce ne soit publié sur le site web. Pour eux, c’était génial parce qu’ils avaient le sentiment de faire partie de l’élite et d’être des privilégiés.

Alt-Minds (7)Quel profil de joueurs se dégage ?

Globalement, nous avons eu des joueurs plutôt jeunes, entre 20 et 25 ans. Mais il y a aussi eu de « vieux joueurs » de 40 ans. Certains sont même dans le classement des 10 premiers. Peu de très jeunes joueurs de moins de 20 ans. Nous avons dénombré environ trois quarts de garçons et seulement un quart de filles. C’est une déception parce qu’on avait quasiment atteint la parité sur In Memoriam.

Le thème du jeu a moins attiré les filles que les garçons. La science, la physique, tout ce qui est paranormal, science-fiction… elles adhèrent moins et préfèrent ce qui est thriller, tueur en série. Les joueuses aiment les enquêtes, mais le thème scientifique les séduit moins.

Et dans les contenus, qu’est-ce qui a bien fonctionné ?

D’abord, la façon dont le jeu est totalement imbriqué à l’Internet d’aujourd’hui, la façon dont nous avons utilisé les réseaux sociaux, les blogs, et des partenariats avec de nombreux sites (Le Monde, Deezer, Melty…) pour rendre crédible les personnages et les évènements liés à l’histoire. Cela a nécessité un gros travail de préparation et de seeding [ensemencement, ndlr] en amont. Beaucoup de joueurs ont été bluffé en découvrant tout cela progressivement.

Mon équipe qui s’occupait de cette partie a fait en sorte de tisser des liens entre des vrai personnes et de faux personnages crées pour l’occasion en grande quantité. Même moi, j’ai été bluffé quand j’ai testé le jeu : je n’étais pas capable de dire, en tombant sur un profil Facebook, s’il avait été créé par les gars de mon équipe ou s’il était réel !

Ce qui a bien fonctionné aussi, c’est le Dashboard, la page internet qui publiait les informations pour les joueurs. Le rythme qu’on a réussi à créer entre des moments où il ne se passait rien et des moments où ça s’accélérait était efficace, je pense.

Ce qui a plu finalement, c’est l’aspect immersif, total. Par exemple, devoir aller à un moment donné dans certains lieux avec son téléphone. Le fait de rencontrer des gens autour du jeu, de passer du temps avec eux, même en-dehors du jeu. Les joueurs adorent s’entraider, se donner des tuyaux, trouve le nom des acteurs, aller regarder quels ont été leurs autres rôles… Même quand les joueurs se moquent de certaines scènes, cela reste bon enfant et respectueux du travail que nous avons mené.

Cet aspect communautaire est fondamental. A tel point qu’à la fin, j’ai vu des joueurs se remercier entre eux. Quand c’était terminé, ils se disaient : « merci à tous, on a passé un bon moment ». Un peu comme des individus qui vivent une aventure en commun, qui partent dans une expédition et qui se serrent la main à la fin en se disant : « tu te souviens, je t’ai aidé à tel endroit, et tu m’as aidé à tel autre »

Alt-Minds (1)Les messages sur Facebook continuent-ils ? Y-a-t-il toujours des internautes qui parlent avec vos héros, comme Peter Edgarson par exemple ?

Dans le dernier film, on a voulu mettre un générique. Il n’y a pas le mot « fin », mais c’était aussi pour dire « on ne vous répondra plus, ça y est, c’est fini ». Parce que je connais ce genre de public : il aurait voulu continuer à dialoguer avec Peter et d’autres personnages pendant des semaines et là on ne se situe plus dans un modèle économique normal !

D’ailleurs, on a vu plusieurs semaines après la fin officielle du jeu de nouvelles énigmes proposées par certains joueurs. Il y a des branches du jeu que je ne maîtrise pas du tout qui sont créées par des joueurs et qui continuent à alimenter la vie du jeu, et cela constitue une belle réussite pour moi !

Comme il y avait l’idée d’une saison 2, je voulais éviter d’anticiper parce que les deux derniers jours répondent à des mystères et posent de nombreuses questions pour la suite. Je ne voulais pas que les joueurs aient la possibilité de poser des questions aux enquêteurs sur cette future saison.

Elle va bel et bien se faire cette saison 2 ?

Pour l’instant, la suite n’est pas d’actualité. Nous souhaitons relancer d’abord le jeu en version différée et nous cherchons aussi à le commercialiser aux USA où In Memoriam avait bien fonctionné. Je suis en contact avec un producteur new-yorkais qui souhaiterait faire un remake. Les Américains sont très joueurs, ils ont plus l’habitude d’acheter sur Internet ce genre de jeux que les Européens. On mise beaucoup là-dessus.

En gros, ça  a bien marché, le succès d’estime est là, mais il faudrait savoir si c’est un peu rentable quand même…

Je ne peux pas communiquer sur les coûts de production et donc sur la rentabilité du modèle économique. Nous savions, avec Orange, que c’était un pari commercial risqué, notamment à cause de cette barrière du temps réel. Ça été pour nous, comme pour eux, une formidable aventure et une formidable source d’expérimentation.

alt-minds-002Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Je n’ai pas encore le détail des études qu’Orange a fait réaliser pendant et à la fin des 8 semaines. Ce que je peux dire, ce sont les critiques que j’ai lues sur les forums et sur Facebook.

Ce qui a été moins bien perçu, c’est la linéarité de l’histoire, le fait de ne pas avoir le sentiment d’influer beaucoup sur son cours. Les joueurs avaient l’impression que, quoiqu’ils fassent, l’histoire continuerait de toute façon, avec ou sans eux, telle qu’elle était prévue. Ce qui est le cas, car nous avons privilégié le fait d’avoir un bon scénario plutôt qu’une histoire arborescente qui aurait été moins dense et moins rythmée.

Ça me fait réfléchir à de nouveaux formats. Mais là encore, on était coincé entre ceux qui veulent vraiment réfléchir et ceux qui veulent juste suivre !

La première semaine, il y avait une répétition de tâches à effectuer, comme l’analyse d’image. C’était pas trop souvent la même chose ?

Je n’aime pas qu’un outil ne serve qu’une fois dans un jeu. Ça fait trop artificiel. On a donc imaginé pas mal de missions liées à cet outil qui, d’ailleurs, a nécessité beaucoup de temps de développement. Et comme souvent dans ce cas, on cherche parfois à trop rentabiliser ce temps de développement. On a donc voulu que les joueurs utilisent l’outil de nombreuses fois, mais j’avoue qu’on a exagéré et que de nombreuses missions des deux premières semaines étaient trop souvent basées sur ce dispositif. D’autant que, parfois, les indices étaient trop durs à trouver. Ça rendait la chose un peu trop répétitive, sans ajouter énormément de fun et d’intérêt. Mais quand on s’en est aperçu, il était trop tard.

Puisque qu’on en parle : c’est quoi ce jeu de puissance 4 ?!? Celui sur Facebook où il fallait créer des réseaux. J’ai relu 6 fois la règle du jeu, je n’ai rien compris.

Dans ce genre de jeux, il y a ceux qui pigent tout de suite et ceux qui, comme vous, passent à côté, souvent parce qu’ils se posent trop de questions !…

Beaucoup de joueurs  ont trouvé ce jeu très fun et y ont passé des heures. J’avoue, moi aussi, avoir eu du mal au début quand mes game designers m’ont proposé l’idée. Ceux qui n’ont pas pigé ont réfléchi en terme de flux, et non de clics. En fait, c’est au moment où on clique qu’on gagne des points, ce qui était un peu bizarre vu qu’on parle de flux de données. Mais je rappelle que ce jeu n’était pas obligatoire pour avancer dans l’histoire. L’un des atouts avec Alt-Minds, c’est qu’on n’est jamais bloqué.

chercheursVous avez produit 5 heures de films au total. Vous étiez aussi le réalisateur ?

J’ai réalisé la plupart des films, mais je me rends compte que sur un projet aussi ambitieux, c’est trop compliqué d’être à la fois le « story architect« , c’est-à-dire celui qui construit le dispositif, et imaginer aussi une partie de l’histoire, même si j’ai travaillé avec des scénaristes dans mon équipe. J’ai dû en plus être sur les tournages pendant 2 ans. Ils étaient nombreux, on partait 10 jours à chaque fois, au total ça a dû me prendre 3 ou 4 mois. Et j’étais en plus responsable de tous les contenus web et de la coordination !

Si c’était à refaire, je pense qu’il faudrait que j’élague la partie réalisation. Et puis, ce n’est pas mon métier. J’ai certaines prédispositions parce que j’ai fait un peu de vidéo il y a quelques années, mais ce serait bien d’avoir un réalisateur en tant que tel. Ça n’a pas pu se faire parce que nous étions pris par le temps. Et il aurait été trop compliqué de devoir briefer un réalisateur extérieur pour le tournage de certaines scènes. Chaque plan ou presque est lié à des énigmes, il faut montrer certaines choses et pas d’autres…

Je pense cependant que les films tiennent la route, mais avec le budget qu’on avait, on ne pouvait pas non plus concurrencer de vrais cinéastes et de vrais budgets de cinéma.

Cela dit, clairement, si je devais aujourd’hui imaginer un nouveau projet aussi ambitieux que Alt-Minds, je le ferais adossé à une série TV. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir d’attraction et l’aura que conserve encore ce média.

Alors qui sera le réalisateur dans la saison 2 ?

Je pense qu’il y a de nombreux jeunes réalisateurs aujourd’hui avec qui nous pourrions travailler. Des professionnels souples, passionnés de jeux vidéo, qui travaillent avec les techniques numériques, qui font eux-mêmes la post-production. Les formats traditionnels vont éclater de plus en plus, les chaînes de télé vont être en retard par rapport à ce qui se fait sur internet, des nouveaux modèles économiques vont arriver, notamment avec le phénomène du financement participatif, et avec très peu de moyens on pourra faire des films qui ne toucheront pas forcément le grand public, mais qui trouveront leur public. Ça va changer la donne.

J’aurais donc plutôt tendance à faire confiance à de jeunes réalisateurs. Que je pourrais chapeauter aussi. Parce que si je confie ça à David Fincher, je vais avoir du mal à lui donner des conseils !

Je rêverais par contre de me mettre au service d’un grand réalisateur. Si David Lynch veut faire un ARG, je suis prêt à mettre mon expérience à son service ! Ça me plairait forcément parce que ses films sont déjà complètement éclatés, foisonnants. A la rigueur je ne sais même pas s’il aurait besoin de moi parce que son univers a déjà toutes les qualités pour devenir une œuvre transmédia !

Prêt pour repartir ?

L’écriture transmédia me passionne ! Je suis l’un des plus anciens à avoir exploré ce domaine, et pourtant j’ai l’impression depuis 10 ans de n’en avoir exploré que quelques parcelles. Je viens d’une culture « cinéma-télé », je ne suis pas né avec les jeux vidéo, contrairement à mes collègues et les membres de mon équipe. Je sais que ma richesse est là, dans ce mélange, où le jeu se nourrit de films, où les films sont plus engageants et interactifs que le cinéma classique. Alt-Minds a été une énorme machine et il a fallu que je sois au four et au moulin, il a fallu que je tranche souvent des dilemmes binaires alors que j’aurais aimé une solution alternative, mais nous n’avions pas le temps, il fallait avancer.

Malgré tout cela, Alt-Minds est une super expérience parce qu’il y a plein d’idées, que je vais mettre 10 ans maintenant à traiter d’une manière différente avec des projets peut-être moins ambitieux, plus intimistes, avec une équipe plus réduite… pour aller à l’essentiel, rajouter de l’émotion, de l’esthétisme, des choses que je veux vraiment maîtriser. J’aimerais avoir le temps de m’appliquer maintenant.

Propos recueillis par Sacha Bollet

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