Nous vous avions parlé de ce projet quand il recherchait les moyens de son ambition sur un site de crowdfunding, et nous vous en avions rappelé l’existence à la mi-janvier… Le documentaire de Nina et Denis Robert, « Cavanna, même pas mort », est enfin diffusé sur Toute L’Histoire, ce mercredi 8 avril à 20h45 (après une première exposition sur France 3 Poitou-Charentes). Le film sort en salles dans une version longue le 17 juin prochain. Denis Robert était revenu, en marge du dernier festival d’Angoulême, sur le long chemin qui l’a conduit, avec sa fille, vers la réalisation de ce bel objet. Voici son texte.
Il y a six ans, soit en septembre 2009, je me suis retrouvé à l’Institut européen de cinéma et d’audiovisuel de Nancy face à des étudiants rêvant de documentaires. Ils me demandaient quels étaient mes projets. J’en avais beaucoup. Parmi eux, un film sur Cavanna. En effet, il y avait un doc sur Choron. Il allait y en avoir un sur Siné. Et rien sur Cavanna. C’était pourtant lui le boss, l’ange tutélaire de toute une génération d’écrivains, de journalistes, de dessinateurs, d’humoristes… de lecteurs. J’ai balancé son nom devant mes étudiants. Ils étaient une trentaine avec le regard vide. Je leur ai demandé s’ils connaissaient Cavanna, cinq bras se sont levés, dont un manquant d’assurance. Au final, il avait confondu François Cavanna, le seul, l’unique, l’auteur des Ritals et de Stop Crève, le créateur de Hara Kiri et de Charlie Hebdo, avec Anthony Kavanagh, l’humoriste haïtien. 4 sur 30. Donc. J‘ai refait le test en école de journalistes. Puis l’année suivante dans ce même IECA. Même regards médusés. Même statistiques déprimantes. Il fallait me lancer. Il y avait nécessité. Devoir. Enfin, vous voyez…
J’ai commencé par appeler Cavanna qui n’était pas emballé par l’idée. Qu’à cela ne tienne. J’ai pris mon bâton de producteur et j’ai vu toutes les chaînes, tous les programmateurs. D’ARTE à Canal, de Planète à M6, tout France Télévisions, la 2, la 3, la 4, la 5, même Paris Première. Rien. Que dalle. Aucune chaîne. Aucune émission. Trop vieux Cavanna. Trop râleur. Pas assez in. Trop vu à Apostrophe. J’en ai entendu des vertes et des bien pourris. La pire épreuve a été Empreintes, la « prestigieuse » collection de France 5. Ils m’ont dit oui, puis oui mais, puis oui mais mais. Puis non. Deux années à comprendre que leurs portraits servaient surtout à faire mousser les producteurs de l’émission. Je sais, je ne devrais pas être aussi long en intro sur cet épisode mais ils m’en ont trop fait baver. C’est une vengeance en deux lignes. Passons.
Je n’ai pas eu le courage de dire tout cela à Cavanna. Je le voyais du côté de Maubert. Nous buvions du lait ou des tisanes. Il me racontait Choron. Je lui parlais des chambres de compensation.
Nous venions Nina et moi (Nina ma fille) de créer Citizen films. Pas besoin de chaînes. Nous nous sommes lancés avec mon ami Pascal Lorent derrière la caméra. J’ai rencontré et filmé Cavanna entre décembre 2010 et juin 2012. Il souffrait de Parkinson. Ce n‘était pas évident. Cette maladie qui touche les cordes vocales vous saisit sans prévenir. J’étais sans arrêt en attente d’un prochain rendez-vous qui, sans arrêt, était retardé. Cavanna venait de tomber dans ses escaliers, Cavanan s’était fracturé le nez, Cavanna s’était pété la jambe, Cavanna était en convalescence. Chaque fois, il se relevait, se soignait. Finalement la sale nouvelle est tombée un 29 janvier 2014. Cavanna ne s’était pas relevé.
C’est très con, mais je ne m’y attendais pas. C’était en plein festival d’Angoulême. J’avais juste trouvé une chaîne du câble (Toute L’Histoire) qui était prête à diffuser le film et nous permettait de payer les archives. Puis au festival j’ai croisé le patron de France 3 Poitou-Charentes, Alain Chollon, qui aimait beaucoup Cavanna. Le film allait prendre une autre forme.
J’avais besoin de temps. Les mots de Cavanna raisonnaient comme un plaidoyer d’outre-tombe. Oui un plaidoyer. Un long édito sur la vie, la mort, la procréation, l’amour, les femmes, la nécessité d’écrire, la liberté de dire, le rire coup de poing (à ne pas confondre avec l’humour demi-sel), les caricatures, l’argent, la religion, les galères de Charlie et le point virgule. Oui d’outre-tombe. Car Cavanna savait qu’il allait y passer. Je crois même, sur la fin, qu’il était pressé d’aller voir cet autre côté qui le hantait.
Bref Cavanna est mort. Et nous a laissé orphelin. Mais pas démuni.
J’ai toujours pensé que le film devait avoir un rythme doux et lent. Un peu comme lui. Il me fallait du temps. Je n’imaginais pas un film sur lui – compte tenu de la matière de nos entretiens – de moins de 90 minutes. Mais il a fallu m’adapter à l’air du temps et à l’économie des films de télévision.
Avec Nina, nous avons donc écrit deux histoires.
L’une courte et vive racontant en 52 minutes Cavanna l’écrivain et le père de Hara-Kiri et de Charlie. Elle fait l’ouverture le vendredi 30 janvier du festival d’Angoulême et sera diffusée dans la foulée sur les antennes de Poitou-Charentes et du Limousin. Puis deux mois plus tard pour les abonnés de TLH.
L’autre, plus longue, évoquera en une centaine de minutes au-delà du portrait, plus profondément l’histoire et l’esprit de Charlie.
La première est destinée à la télévision. La seconde au cinéma.
Pour finir nos films, il nous manquait surtout une interview. Dans son dernier entretien. En dehors de sa famille, de Jeanjean (son copain de Nogent) et de Virginie sa collaboratrice et son amie, Cavanna nous confiait qu’il se sentait un peu seul. Ce n’était pas une souffrance, mais un constat. Il ne lui restait, disait-il, que deux amis : Delfeil de Ton et Wolinski. Delfeil était en boîte (si je puis dire). Il nous avait expliqué l’histoire mouvementée des journaux montés par Cavanna et sa lente mise à l’écart par les nouveaux propriétaires de Charlie Hebdo. Delfeil n’avait jamais parlé ainsi face à une caméra. Je le remercie de sa confiance. Restait Wolin (c’est comme ça que l’appellent ses potes). En juillet dernier, nous devions nous voir. Puis les vacances sont passées. Wolin était toujours fatigué. Nos rendez vous manqués se sont succédés. J’aurais sans doute dû insister davantage. Mais ce n’est pas mon genre. Nous devions nous voir début janvier. Pour justement finir le film pour l’anniversaire de la mort de Cavanna. Un an déjà.
Le sort et les frères Kalachnikov en ont décidé autrement.
Nos films, construits patiemment autour de Cavanna, débarquent et se cognent donc à une réalité pleine de larmes et de sang. Nous n’avons pratiquement rien touché au montage du premier doc, hormis les deux dernières minutes du film.
Si un homme sur cette foutue planète pouvait, plus que tous les autres, hurler « Je suis Charlie », ce serait Cavanna. Nous venons de finir un film malheureux et orphelin. Mais nous sommes fiers d’avoir tenu bon. Et de vous le montrer.
L’autre film, je l’espère, pourra bientôt être vu dans des dizaines de cinémas. Rien n’est encore signé au moment où je gratte ces lignes mais ce sera sûrement Rezo films et Jean Michel Rey qui vont le distribuer. Pour le printemps ce serait bien. J’aimerais qu’il devienne un objet de réflexion, de débat, de connaissance et de combat. Un putain de film qui émeut et pousse à prendre les stylos, les chemins de traverses et la parole.
Cavanna avait un sujet de prédilection. La mort. Il en parlait souvent. Il en parlait bien. Il en avait peur. Mais pas tant que ça. Je ne vais pas réciter ici toutes les conneries qu’on lit partout genre « Cavanna de l’endroit où il est doit être triste… ». Cavanna est nulle part. Cavanna est partout. Cavanna est Charlie. Et il vous salue bien.
Chatel, jeudi 29 janvier 2015 (un an tout juste)
Denis Robert
Formidable entreprise que ce film…bonne route !
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Il y a…un paquet d’années, j’avais envoyé…un gros paquet de feuilles à Cavanna, alors que je n’avais pas prévu qu’il en soit le destinataire. La liasse de textes contenait une critique des « faaameux » éditos de Val, des réflexions sur l’euro-mondialisation et sur…la Relativité (mon cerveau n’étant équipé que de matériel ayant pour fournisseur le matérialisme et l’athéisme, je ne suis qu’un anti-relativiste primaire). Suite aux positions de Val à propos des événements de Yougoslavie, j’avais renoncé à lui adresser directement ma critique (écrite avant ces événements meurtriers) et j’avais finalement tout envoyé au pauvre Cavanna, qui n’en pouvait mais…Il avait eu la gentillesse de me répondre, montrant un plus grand intérêt pour mes réflexions relativistes que pour celles concernant la politique, ce qui ne me surprit pas. Mais face à mes critiques des pensées Valzeuses il prit la défense de Val d’une manière plutôt affective, sentimentale. Il semblait encore défendre …un ami. J’ai été à la fois heureux qu’il ait finalement décrypté clairement le personnage et particulièrement peiné qu’il ait dû constater une telle erreur de jugement qui a dû lui peser lourdement pendant des années. Cavanna était un homme bon: il n’imaginait pas que quelqu’un travaillant avec lui à Charlie puisse être un arriviste camouflé.
Val, un type de biens. Cavanna, un type bien.
Oublions Napoléon mais n’oublions pas Cavanna. Merci rital.