Le Blog documentaire fait une escale à Locarno à l’occasion du 65ème festival de cinéma qui s’y tient du 1er au 11 août 2012. La manifestation présente notamment une section documentaire « Cineasti del presente », dont les derniers lauréats furent « Paraboles » (5ème partie de Mafrouza, Emmanuelle Desmoris) en 2010 et « L’été de Giacomo »(Alessandro Comodin) en 2011.
Présentation de la manifestation avec ce texte signé par son directeur artistique, Olivier Père, initialement publié sur son blog personnel et reproduit ici avec son aimable autorisation.
Le Festival de Locarno offre depuis sa création l’image d’une manifestation cinéphilique curieuse et audacieuse, attentive aux nouveaux courants esthétiques, aux déplacements géographiques, aux apparitions de jeunes artistes. Le néo-réalisme, la Nouvelle Vague, les nouveaux cinémas des années 60-70, la découverte du cinéma asiatique et iranien… Locarno a su reconnaître les principaux mouvements esthétiques du cinéma de l’après-guerre à nos jours, faisant souvent office d’éclaireur et de précurseur.
Le cinéma est en perpétuel mouvement, et aujourd’hui il est plus passionnant que jamais d’observer le cinéma dans ses mutations, ses revendications et ses voyages, de la pellicule au numérique, de la fiction au documentaire, de l’intime au collectif, du poétique au politique.
Nous vivons une période extrêmement stimulante pour le cinéma d’auteur. Cette affirmation peut paraître paradoxale quand on connaît la crise que traverse le cinéma dans son ensemble depuis plusieurs années : érosion du système de financement traditionnel, désintérêt croissant du grand public, problèmes de distribution et d’exploitation en salles du cinéma d’auteur dans de nombreux pays du monde.
Si une certaine idée du cinéma d’auteur, qui existe depuis les années 60 en Europe ou ailleurs, est peut-être devenue caduque, nous voyons apparaître sur la carte du monde des foyers de résistance, isolés mais vivaces, conscients de leur héritage mais soucieux de proposer des solutions et des idées nouvelles, qui encouragent l’optimisme et ravivent la flamme du cinéma comme art du présent.
Depuis dix ans, nous avons assisté à l’émergence de personnalités extrêmement originales et talentueuses dans les domaines de la production et de la mise en scène. Il s’agit pour eux de réinventer le cinéma non seulement sur le plan esthétique mais aussi économique, de lutter contre l’inertie, de rendre au cinéma sa liberté, sa vitesse et sa force d’intervention poétique et sociale.
Fort heureusement leur travail a bénéficié la plupart du temps du soutien militant de nombreux festivals de cinéma, du moins ceux qui désirent rester aux avant-postes de la création cinématographique, de la critique et du public cinéphile.
Le rôle des festivals est d’accompagner le cinéma, de le commenter et de le soutenir, pas seulement de l’exhiber. Si les grands festivals ont longtemps assuré avec talent le rôle de vitrines de luxe du cinéma mondial, cette fonction n’est plus suffisante. Un festival cinéphilique doit acquérir une véritable force d’intervention sur le cinéma, en accélérant ou en favorisant la reconnaissance d’un cinéaste, l’apparition d’un pays sur la carte de la planète cinéma.
Le Festival del film Locarno a été le premier à revendiquer avec raison le rôle de laboratoire, en comprenant que les images et les sons qui paraissent expérimentaux aujourd’hui peuvent annoncer les langages cinématographiques de demain, amorcer des petites ou des grandes révolutions esthétiques.
Par sa taille, Locarno a les moyens de montrer le cinéma sous ses nombreuses facettes, de confronter l’actualité du cinéma à son histoire grâce à des rétrospectives et des hommages, tout en conservant une dimension humaine qui évite la dispersion et l’éparpillement, favorise la bonne réception des films, la convivialité et les rencontres avec les artistes.
Il faut parvenir à trouver l’équilibre entre la représentation du cinéma sous ses différentes formes, des plus radicales aux plus accessibles, et l’élaboration d’une réflexion générale sur les enjeux esthétiques et moraux du cinéma. Pouvoir proposer une ligne éditoriale à la fois ouverte, généreuse, accueillante, et forte dans ses choix, voilà le véritable enjeu du Festival del film Locarno.
Montrer aujourd’hui dans le cadre d’un festival international les films d’Abel Ferrara, Alain Tanner, Jia Zhang-Ke, Maurice Pialat, Ernst Lubitsch, Vincente Minnelli, Jean-Luc Godard, Rainer Werner Fassbinder, Otto Preminger, Leos Carax, c’est affirmer leur actualité et leur influence plus ou moins directe sur les nouvelles générations de cinéastes et de cinéphiles. Locarno est le lieu où ce dialogue entre l’histoire du cinéma et le cinéma d’aujourd’hui et de demain doit se poursuivre, grâce à des projections mais aussi des rencontres, des débats avec les cinéastes, les acteurs, les producteurs et le public.
Mes fonctions de directeur artistique du festival de Locarno me permettent de développer à une plus large échelle le travail de découverte et de valorisation du jeune cinéma d’auteur international entrepris à la Quinzaine des Réalisateurs depuis 2004.
Elles me permettent également d’assouvir un travail d’admiration envers des cinéastes essentiels de l’histoire du cinéma, ou des grands artistes ayant contribué au rayonnement du cinéma (acteurs, directeurs de la photographie, producteurs), en leur rendant hommage de la plus belle manière.
Elles me permettent, enfin, de mettre en pratique avec des moyens satisfaisants la conviction selon laquelle un festival doit faire avant tout œuvre utile, se mettre au service du cinéma et de ceux qui le font, ou lutter à leurs côtés.
L’exigence, le goût, la curiosité, la ferveur, l’utilité : voici quelques-unes des qualités essentielles que doit maintenir ou apporter un directeur artistique à un bon festival de cinéma. Il y en a d’autres, et les choix intellectuels ne doivent pas occulter l’importance des bonnes relations humaines. Ces quelques notes ne peuvent épuiser un chantier de réflexion et d’action qui doit avant tout se confronter au réel, à la fabrication d’un festival à coup d’idées, d’amitiés, de décisions, de rencontres, de voyages.
Le cinéma depuis sa création est une fenêtre sur le monde, sur l’homme, sur l’âme de l’artiste et de ses modèles.
Un festival de cinéma doit être une fenêtre sur cette fenêtre.
Olivier Père
Plus loin…
– L’été de Giacomo (Alessandro Comodin) : L’analyse de Camille Bui
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