C’est un film qui sort dans les salles françaises auréolé du premier prix « Impact » du nouveau Fipadoc, qui distingue les documentaires à même de changer les représentations – et donc le monde. « Coming out », de Denis Parrot, décrit en un peu plus d’une heure le combat de certains homosexuels pour faire reconnaître leur identité. Le texte qui suit a été écrit par Anissa Zidna, étudiante au Master 2 « Le Documentaire : Ecritures des Mondes Contemporains« , qui, avec ses camarades, avait pour mission d’écrire un texte lors de son immersion au festival biarrot. Bravo à elle, donc !…
Le film Coming Out (Out en anglais) de Denis Parrot aborde ce moment si particulier que constitue le coming out. Venu du canadien « coming out of the closet », il s’agit de révéler publiquement une orientation sexuelle ou une identité de genre. Or, de plus en plus de jeunes hommes et jeunes femmes (parfois très jeunes !) décident d’en passer par les réseaux sociaux pour opérer ce dévoilement en se filmant eux-mêmes. On trouve des vidéos de ce genre par milliers sur internet.
Une grande part de l’originalité du film de Denis Parrot vient de l’utilisation de ces vidéos. Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, Denis Parrot, originellement chef monteur, a choisi de ne travailler qu’avec cette matière brute trouvée sur la toile. Dans une interview, il raconte la première fois où il est tombé sur une vidéo de ce genre : un jeune homme face caméra entreprenait son coming out devant sa grand-mère. Profondément marqué par cette vidéo, Denis Parrot en a visionné près de 1;200 à la suite ! Tout en cherchant à rester le plus représentatif possible, le film est constitué d’un montage de dix-neuf de ces vidéos glanées sur le net. Elles révèlent la diversité des situations à travers le monde (l’avantage d’internet !). Dans la plupart des cas, il s’agit d’un moment très délicat pour les personnes concernées qui doivent affronter le regard de leurs familles. Le film montre l’ignorance, la maladresse mais aussi parfois la tendresse de leurs proches.
Les situations sont tantôt drôles, comme dans le cas de cette jeune américaine qui, en appelant le service téléphonique de l’église, à la rubrique « droit des homosexuels », tombe sur une litanie d’absurdités concernant le sort réservé aux homosexuels après la mort ; tantôt émouvantes, avec ce jeune homme russe qui raconte sa fuite face à une famille et un pays intolérants, n’acceptant pas son identité et les nombreuses tentatives de suicides qui s’ensuivirent… Ou encore brutales, avec le récit d’un jeune garçon qui filme en caméra caché la violence de ses parents à l’annonce de son homosexualité et sa mise à la porte.
A travers ce film, Denis Parrot interroge le basculement social et intime que suscite le coming out. Il explore différentes problématiques comme la construction de soi, le rapport à la famille ou encore les réseaux sociaux.
On est frappé par la maturité et par l’âge de certains personnages qui racontent comment très tôt ils ont pris conscience de ne pas être « comme les autres ». Le film interpelle le spectateur sur une norme que l’on ne questionne pas forcément lorsqu’on n’en dévie pas. En quoi être hétérosexuel serait-il plus « naturel » qu’être homosexuel ? Denis Parrot nous force à regarder les choses en face. Afficher son homosexualité, c’est prendre le risque de se heurter à ce qui est socialement admis… ou pas. Comment se construit-on à l’adolescence lorsqu’on n’est pas conforme à cette norme ? Douloureusement, nous dit Denis Parrot. Car réaliser que l’on est gay est une chose ; l’accepter en est une autre.
Une question, dès lors, s’impose : pourquoi en passer par les réseaux sociaux et se filmer dans un moment si personnel ? Peut être parce que le choix de l’auto-mise en scène fait partie intégrante de cette démarche de réappropriation de soi. Par ailleurs, les réseaux sociaux ont l’avantage d’être des moyens de communication directs et immédiats, et de permettre de « faire communauté ». Beaucoup de ces vidéos témoignent d’un besoin de partager son expérience pour tenter d’éviter à d’autres les mêmes souffrances.
La force du film, on l’aura compris, tient essentiellement au montage. Contraint par la durée des vidéos, Denis Parrot propose une composition dynamique sans tomber pour autant dans l’effet « clip » de la plupart des vidéos que l’on peut trouver sur internet. L’enchaînement des situations est parfaitement maitrisé et nous transporte d’une émotion à l’autre, nous interroge sur les problématiques qui se posent à chacun des personnages. On entre dans l’intimité de chacun des protagonistes, on est touché, on est amusé ou stupéfait.
Au cours d’une séance extraordinairement vivante lors de la projection au Fipadoc, les rires et les exclamations du public ont ponctué le film aussi bien que la musique. Notre rapport aux images venues d’internet est moins sacralisé, contrairement à celles issues de la photographie ou du cinéma. Elles permettent une grande malléabilité.
Avec ce premier long-métrage en tant que réalisateur, Denis Parrot documente finement un mouvement qui tend à se généraliser : le coming out 2.0. Il pose ainsi un cadre de réflexion pour appréhender les nouvelles potentialités d’internet et des communautés qui peuplent la toile avec une ambition assumée : changer les mœurs ou tout au moins aider tout un chacun à s’accepter.
Big Up Anissa ! 😉 S.