Le Blog Documentaire vous propose ici la suite de cet entretien précieux que nous a accordé David Carzon, l’homme qui a pris la suite de Joël Ronez à la tête du pôle web d’ARTE France. Deuxième et avant-dernière étape aujourd’hui, avec une question ô combien importante pour nombre d’auteurs : comment ARTE sélectionne les projets que la chaine décide de soutenir ?
Le Blog Documentaire : Pour débuter cette deuxième partie, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
David Carzon : Je supervise le pôle ARTE Web. Je suis arrivé il y a deux ans en tant que rédacteur en chef, et quand Joël Ronez est parti (NDLR : à Radio France), je l’ai remplacé… enfin, non, j’ai pris sa suite : on ne remplace pas Joël Ronez (rires) ! J’essaie d’insuffler le même état d’esprit créatif qui était le sien dans les projets que nous mettons en place. Je garde avec Joël des liens forts, à titre personnel comme professionnel.
Auparavant, j’ai travaillé dans la presse écrite, à 20 minutes, et j’ai aussi participé au site Bien Bien Bien à partir de 2006, qui était un blog de référence sur la culture web.
Une question que se posent beaucoup d’auteurs : par quel biais les projets de webdocumentaires arrivent-ils sur votre bureau ?
On en reçoit par une multitude de voies différentes !
Tout d’abord, nous arrivent, par la Poste ou par notre site ARTE Pro, entre 25 et 30 projets par mois. Ce ne sont généralement pas les projets les plus adaptés à ce que l’on recherche : il s’agit parfois de carnets de voyage d’auteurs partis au bout du monde et qui proposent par exemple un regard sur les peuples par le prisme de la culture. Ces projets souffrent trop souvent d’une ignorance de la réalité du web et des productions d’ARTE France, même si cela permet à l’occasion d’identifier des structures ou des créateurs.
Car, et c’est l’occasion d’en parler, nous disposons de certains curseurs pour juger de la pertinence d’une proposition. Pour ARTE, un webdoc doit être délinéarisé, en prise avec le réel et notre époque, et participatif. Il doit aussi évidemment proposer un point de vue d’auteur fort. Nous n’attendons pas que ces curseurs soient tous à 100% pour nous investir, mais il faut que le projet soit pensé vis-à-vis de ces critères. Cela dit, cette « définition » du webdoc est vraiment propre à ARTE et notre but n’est pas d’en faire un standard. C’est simplement la façon dont nous, ARTE, voyons le webdoc.
Les unités de programmes d’ARTE apportent également des projets : nous sommes en discussion constante avec elles. Il peut s’agir notamment de projets cross-média, c’est-à-dire des programmes web qui accompagnent la diffusion à l’antenne d’un projet sur une thématique forte. Ce fut le cas notamment avec New York 3.0, webdoc produit par les équipes d’ARTE à Strasbourg.
On reçoit aussi bien sûr beaucoup de projets par l’intermédiaire des producteurs, traditionnels ou non, et des agences web. De ce point de vue, on observe que quelques sociétés de production qui travaillaient davantage sur des formats antenne ont intégré des compétences web au sein même de leur équipe. Ce qui a pour effet de créer un dialogue fécond avec eux car ils connaissent la philosophie et le type de projets que nous recherchons. C’est le cas notamment d’AGAT Films, qui a dédié Arnaud Colinart aux productions web, ou de Camera Lucida, qui a recruté Chloé Jarry, lesquels sont spécifiquement chargés de développer les projets web.
C’est malheureusement encore l’exception parmi les producteurs traditionnels. Beaucoup nous envoient encore des documentaires « saucissonnés » qui proposent un simple espace de commentaires. Mais c’est normal que les choses prennent du temps : on assiste à un changement de culture, de paradigme. Il n’y a pas encore beaucoup d’argent, l’écosystème est fragile. Il n’y a pas de modèle économique installé.
Mais les productions traditionnelles auraient intérêt à développer ce secteur en interne, en intégrant de nouvelles compétences d’architecture web pour concevoir des projets multimédia.
Nous avons par exemple travaillé avec Quark sur un projet qui sortira en mai : Mödern cøuple. Nous voulions explorer cette thématique de l’intime, qui n’est pas initialement très développée sur le web à ARTE. Quark a travaillé à l’origine avec des agences web, mais le résultat ne leur convenait pas. Ils ont alors intégré directement à l’équipe du projet la compétence d’un scénariste interactif qui a su faire le lien entre ce qui est raconté et le cadre technique dans lequel la narration se développe.
Les agences web, comme Upian, nous proposent aussi des projets. Enfin, nous développons nous-mêmes des projets, comme lorsque des idées émergent de nos partenariats, comme ce fut le cas pour Code Barre avec l’ONF.
Comment se passe la sélection des projets au sein d’ARTE ?
Tous les projets sur lesquels on décide de s’engager sont présentés à la direction éditoriale d’ARTE France, mais aussi au comité Internet qui réunit les trois pôles web d’ARTE (ARTE France, ARTE Deutschland et ARTE GEIE à Strasbourg, qui coordonne l’ensemble des activités).
ARTE GEIE gère la technique liée à la chaine et aux sites web (le workflow, les CMS, les métadonnées, Arte + 7…). Elle gère également la structure ARTE reportages, pilotée par Marco Nassivera, qui produit des webdocumentaires qui sont généralement associés à un programme antenne.
Toutes les six semaines, un comité web se tient au sein d’ARTE France : il réunit les représentants des unités d’ARTE et d’ARTE Radio ainsi que des professionnels extérieurs (comme des spécialistes du scénario interactif). Nous procédons à une lecture collégiale des projets qui nous intéressent. Nous travaillons aussi sur des études de cas qui nous aident à nous forger une ligne éditoriale et à définir des champs à explorer.
Que pensez-vous des outils d’aide à la narration qui fleurissent sur le web (Klynt, 3WDoc) et dont certains disent qu’ils peuvent brider la créativité des projets ?
Je pense que c’est très bien qu’ils existent pour aider à la démocratisation de ce type de narration. Mais ils ne sont pas destinés à des projets qui peuvent intéresser ARTE, dans la mesure où nous recherchons pour chaque projet une innovation dans les outils employés. On reçoit aujourd’hui beaucoup de projets calqués sur le modèle de Prison Valley. Mais on ne veut surtout pas refaire Prison Valley ! On avait déjà réalisé Havana/Miami, qui était un peu un calque de Gaza/Sderot, et nous avions bien vu que cela fonctionnait moins bien. Nous nous devons de chercher constamment de nouveaux dispositifs, et de ce point de vue, ce genre d’outils ne nous aident pas dans la mission que l’on se fixe. Mais c’est très bien qu’ils existent.
Quels types de projets créatifs sur le web vous ont enthousiasmé dernièrement ?
J’ai été émerveillé par deux productions de l’ONF : Welcome to Pine Point, que je trouve absolument génial. Il y a un vrai travail sur le son, chose que nous arrivons mal à faire en France où le son passe souvent après l’image. L’ONF a compris l’intérêt de créer un univers sonore. C’est un projet totalement fascinant et je recommande à chacun de s’y immerger.
Et puis, j’ai trouvé Bear 71 excellent. La mission de l’ONF est de parler des thématiques importantes pour le territoire canadien et l’ours en fait partie. Franchement, au début, quand on vous parle d’un webdoc sur les ours, on rigole sous cape. Mais après avoir vu le résultat, il n’y a qu’un mot : respect ! Là encore, c’est fascinant la façon dont ils arrivent à rendre les moments de vie de ces ours intéressants, par le biais d’une carte en 3D notamment.
Enfin, toutes les productions de Submarine valent le détour : ils réalisent des partenariats dans des musées, avec des designers, développeurs, des artistes. C’est vraiment très intéressant et je pense que, tôt ou tard, nous réaliserons un projet avec eux.
A suivre…
Propos recueillis par Nicolas Bole
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