Ce sont des archives joyeuses et absolument modernes que tisse ce film de Callipso McNulty. En s’attachant au portrait de sa grand-mère vidéaste et de la comédienne Delphine Seyrig, la réalisatrice propose une ode au « féminisme enchanté » des années 70. « Delphine et Carole, insoumuses » a déjà reçu le Grand Prix du FIFDH de Genève et le prix du public du festival international de films de femmes de Créteil. Déprogrammé d’ARTE en raison de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, il sera visible le 1er juin à la Cinematek de Bruxelles, à partir du 3 juin au cinéma Spoutnik de Genève, le 13 juin en ouverture du festival Et pourtant elles tournent à Lyon et le 20 juin en compétition au FILAF de Perpignan.
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Callisto Mc Nulty, par ce documentaire d’archives, met en lumière les aventures féministes de sa grand-mère, Carole Roussopoulos, et de l’actrice Delphine Seyrig. De l’apprentissage de l’utilisation d’une caméra à la création du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, elle retrace leur parcours avec un œil complice. On la devine ébahie devant la ferveur joyeuse ses figures tutélaires. Admirative de ce féminisme enchanté des années 70, elle dresse en creux un double portrait forcément tendre et militant.
Celui d’une actrice, Delphine Seyrig. On avait d’elle l’image d’une comédienne mythique. Tragédienne d’une froideur sensuelle et intimidante. D’une combattante féministe usée par la cause et honnie du métier. Dans un inconscient collectif d’une grande confusion, tout se mêle : ses idéaux, sa mort prématurée, les films radicaux, les personnages dramatiques. Tout cela faisait d’elle peu ou prou une icône intouchable, presque une martyre. Callisto Mc Nulty révèle et démonte nos préjugés, par la percussion des archives et des extraits. Une intervention militante et facétieuse sur un plateau télé succède à un extrait du Charme discret de la bourgeoisie. Nous mesurons l’écart entre le fantasme et la réalité. A la ville débarrassée de ce rôle de muse, sclérosant, nous la découvrons épanouie. Souriante, le verbe haut, elle rayonne par son engagement.
Portrait, aussi, d’une époque et de ses revendications. Les années 70 avec le Manifeste des 343, le droit de jouir librement… Et c’est sans mal que les archives noires et blanches trahissent la condition féminine actuelle. Chaque témoignage nous dévoile un peu plus le caractère microscopique des avancées sociales. Ce système marche remarquablement bien quand Callisto Mc Nullty donne à voir des extraits du documentaire qu’avait réalisé Delphine Seyrig, Sois belle et tais-toi !. Des deux côtés de l’Atlantique, elle avait sondé les actrices sur leur condition. Le constat fait par Jane Fonda et Millie Perkins n’a pas pris une ride. Regrettant des rôles stéréotypés, prisonnières des désirs masculins, elles cherchent une émancipation qu’elles devront conquérir.
Mais là ou le documentaire fait mouche et raisonne avec l’époque, c’est sur un tout autre sujet. Celui du moyen d’action. Aujourd’hui, les vitrines cassées entraînent un sujet BFM, ce qui déclenche le courroux des manifestants et décuple la nervosité des CRS devenant tatillons du LBD. À moins que les choses ne se passent dans un autre ordre. On ne sait plus. Delphine et Carole, elles, menaient des actions pacifistes et insolentes. Armées uniquement d’une caméra légère – l’iPhone de l’époque – et d’énormément de malice, elles bravaient l’autorité. Le remontage malicieux « Maso et Miso vont en bateau », détournement de l’interview de Françoise Giroud chez Bernard Pivot, résume parfaitement l’esprit des deux complices. L’émission remontée, annotée des commentaires et interventions caustiques de Delphine Seyrig, devient une satire hilarante de la misogynie ordinaire. Elles évoquaient ce film par ces mots : « On a répondu avec humour quand même, mais nous étions très en colère. C’était notre seule façon de répondre ». Phrase d’un temps où l’impertinence l’emportait encore sur la violence.
Peut-être aurions-nous seulement aimé que le documentaire emboîte un peu plus le pas de Delphine et Carole et face à son tour preuve d’insolence. Que la forme ne se limite pas à un enchaînement pertinent d’archives mais s’aventure sur le terrain de l’invention…
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