La radio faisait son festival début février à Longueur d’ondes (Brest), et le documentaire y avait une place de choix cette année. Une manifestation devenue incontournable, à laquelle nous avons assisté… Tour d’horizon des réjouissances sonores rencontrées là-bas, et des enjeux que pose ce pan vigoureux – et luxuriant – de la création documentaire.
La treizième édition du festival Longueur d’ondes s’est tenue à Brest du 4 au 7 février. Des rencontres, des conférences, un marathon de montage et des écoutes de radio (fiction, documentaire, archives), dans une chambre noire ou assis sur un transat, sont venus jalonner ces quatre jours consacrés à ce média si familier et pourtant si peu représenté.
Il faut dire que Longueur d’ondes a justement l’audace, le mérite de donner une belle visibilité à la radio, non seulement en en rendant le foisonnement créatif et la diversité des formes, mais aussi en offrant aux festivaliers de belles conditions d’écoute, c’est-à-dire de véritables plages où l’oreille peut s’arrêter pour s’immerger entièrement dans les sons et les paroles diffusés. Au programme donc, une attention toute particulière portée sur l’activité d’ouïr, pas si fréquente de nos jours…
Cette treizième édition du festival présentait également une nouveauté : celle d’une programmation complètement dédiée au documentaire radiophonique, intitulée « Les rencontres du documentaire ». Non pas que le documentaire et la création radiophonique n’aient jamais été abordés au sein du festival, au contraire. Mais cette année, le désir de dégager une ligne spécifique pour ce type de productions s’est fait ressentir plus fortement. Au sein d’un genre hybride et dont on a peine à définir clairement les contours, le festival a fait le pari de pouvoir rendre ces créations identifiables autour d’enjeux et d’évolutions communs.
Quels nouveaux horizons, induits notamment par les mutations technologiques, se dessinent pour le documentaire ? Quel avenir existe-t-il pour cette forme au sein de la radio, mais aussi en dehors ? Pourquoi la notion d’auteur de radio est-elle également corrélée à de nouvelles pratiques d’écoute ? Quelle place la créativité tient-elle à l’intérieur des formats imposés par les antennes ? C’est notamment autour de ces questionnements que des invités prestigieux et passionnés se sont réunis pour partager leurs expériences, leurs réflexions et leurs analyses, proposant aux festivaliers un tour d’horizon à 360 degrés des lignes de fractures qui traversent la création documentaire radiophonique.
Il semble en effet clair que l’arrivée du numérique a transformé la radio en profondeur, la faisant passer d’un média de flux temporaire à un média d’auteurs, susceptible d’être transporté, écouté n’importe quand et n’importe où, rediffusé, partagé. Comme l’a expliqué Etienne Noiseau, responsable éditorial de la web revue Syntone, l’évolution du producteur de radio en une figure auctoriale est intrinsèquement liée à la révolution numérique. « Avant, il fallait être au rendez-vous pour suivre un documentaire à la radio. Le média était extrêmement volatile. A présent, on peut écouter et réécouter un documentaire, prendre son temps pour entrer dans la création d’un auteur. » C’est d’ailleurs cette autonomisation de l’artiste envers la diffusion de son documentaire qui a participé à la création de Syntone. « Puisque nous étions à présent en face d’œuvres, il fallait bien créer une plateforme critique pour en parler », explique Etienne.
De son côté, Silvain Gire, directeur d’ARTE Radio qui diffuse exclusivement des documentaires sur le web, rappelle à quel point l’entrée du numérique dans la radio a permis aux auteurs de s’émanciper de toutes contraintes de formats. N’étant plus liés à un flux, et donc à une grille de programmes avec ses cases spécifiques, ces derniers sont libres d’explorer des formes et des écritures nouvelles, pour être au plus près de ce qu’ils ont à dire. L’entrée de la radio sur le net serait ainsi le gage d’une liberté retrouvée ? Mieux, d’une liberté à réinventer, puisqu’elle décuplerait les possibilités de création en offrant aux auteurs des expériences originales et singulières…
Car en effet, ce n’est pas tout. En affranchissant le documentaire radio des espaces de diffusion classiques, le numérique a permis de décloisonner la création sonore, de l’ouvrir à des espaces inédits et de conquérir ainsi un public renouvelé, qui n’est pas forcément celui des radios nationales, publiques ou privées. Dans ce domaine, tout est encore à inventer, à rêver, promesse de belles dynamiques.
« Ce qui m’attire, c’est la question de l’immersion et de l’écoute nomade » explique Thomas Baumgartner, producteur à France Culture. « Il faut écouter de la radio en dehors des cadres convenus, amener des écoutes dans des lieux inhabituels, là où le public ne s’y attend pas. » C’est précisément cette ambition qu’il poursuit avec l’application Sur les bancs, qu’il a imaginée. Il s’agit de proposer aux visiteurs des parcs et des jardins parisiens une réalité sonore augmentée où, grâce à un Smartphone, un casque et au QR code déposé sur certains bancs, on peut écouter une histoire entièrement liée au lieu où on se trouve. Entre fiction et réalité, l’application sonore propose aux visiteurs une expérience sensorielle et immersive inédite.
Mehdi Ahoudig, vainqueur du prestigieux Prix « Grandes Ondes du documentaire radiophonique » de cette édition de Longueur d’ondes pour son œuvre Poudreuse dans la Meuse, récompensée également au Prix Europa 2015, partage son activité entre le documentaire radiophonique et la création sonore pour le spectacle vivant. Il raconte comment le théâtre s’est emparé du son, pour venir nourrir ses mises en scène, mais aussi à quel point cet espace d’écoute si particulier, où la création sonore doit toujours servir la dramaturgie du texte sans gêner les comédiens, vient enrichir sa propre pratique du documentaire radio, dans un échange fécond et stimulant.
Depuis sa naissance, que Christophe Deleu, auteur de documentaires et de fictions radiophoniques, professeur au CUEJ, fait remonter à 1946 avec une première tentative intitulée Paris-Brest réalisée par Jacques Peuchmaurd pour le Club d’essai, l’évolution du documentaire radiophonique est intrinsèquement liée aux progrès technologiques. Perfectionnement des appareils d’enregistrement, de montage et de mixage, jusqu’à l’apparition dans les années 2000 du numérique proposant des appareils plus faciles d’utilisation et moins onéreux… C’est bien la technique qui a contribué à l’épanouissement et à la vitalité de ce genre polysémique et hybride, difficile à enfermer dans une définition unique.
« Le documentaire radiophonique est encore devant nous. Il est même d’ailleurs en train de prendre une place et une force considérables », affirme Irène Omélianenko, conseillère des programmes pour le documentaire et la création radiophonique à France Culture depuis 2011. Paradoxe d’une situation où l’intensité créative réelle dont bénéficie les documentaristes se conjugue néanmoins avec une fragilisation de leur statut d’auteur, ainsi qu’avec une perte de la valeur symbolique de la radio.
L’arrivée de la télévision dans les années 50 avait déjà largement contribué à affaiblir la radio, en prenant en charge ce qui constituait alors sa fonction principale, à savoir celle de donner des nouvelles, d’informer. Or, justement, le remède à cette perte de vitesse se situe peut-être dans un regain d’imagination, de nouveaux formats, d’écoutes publiques, de déambulations sonores permettant d’affirmer toujours plus haut et plus fort la spécificité du média radio et de restaurer ainsi cette valeur symbolique.
Cette année, le festival avait choisi de mettre en lumière deux projets : Ce qui reste de Martine Abat et Making Waves d’Alexandre Plank. Le premier se compose de trois épisodes de 29 minutes et se présente comme une enquête menée par la documentariste à Tunis à partir d’une bouteille à la mer trouvée sur l’île de Pantelleria, en Italie. Les trois volets de cette investigation abordent le problème des migrants tunisiens fuyant vers les côtes européennes, du point de vue de « ce qu’il reste » d’eux lorsque leurs embarcations sombrent dans la Méditerranée.
Le second projet est constitué de quatre épisodes de 53 minutes et emmène l’auditeur aux quatre coins du monde, dans des pays où les radios communautaires, militantes ou indépendantes luttent contre les idéologies politiques dominantes pour tenter de servir la paix et la démocratie.
Devant l’élan, l’énergie, l’enthousiasme qu’insufflent ces deux créations, on ne peut que regretter amèrement le manque de visibilité dont fait objet la radio. Pourquoi la critique se désintéresse-t-elle de ce média, tandis que ces documentaristes ont au contraire un réel besoin de soutien, de reconnaissance ? S’il est vrai que l’enjeu est certainement aussi de renouveler les espaces de diffusion afin d’ouvrir le documentaire radiophonique au plus grand nombre, la recherche et le monde universitaire ont également leur rôle à jouer.
On constate en effet que les émissions radiophoniques réalisées avant l’ère des podcasts sont plus difficilement accessibles que la musique par exemple. Ces archives sont encore sous-numérisées, et donc forcément bien moins valorisées. Si le numérique a significativement transformé le documentaire radio, il reste donc néanmoins un travail important à effectuer pour lui rendre son histoire et lui permettre ainsi d’asseoir véritablement sa légitimité.
Internet a eu déjà le mérite de donner la parole aux auditeurs, leur offrant la possibilité de s’exprimer, de donner leur avis sur une œuvre, et ainsi de contribuer à son rayonnement. On attend désormais que la presse s’empare de nouveau de ce média, qu’elle réinvestisse ce champ, qu’elle défriche, ou se perde dans ce jardin d’herbes folles, rares et odorantes qu’est aujourd’hui, et plus que jamais, le documentaire radiophonique.
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