Joyeux anniversaire Le Blog documentaire !

Cela fait déjà deux ans que nous tentons de faire vivre ici les écritures documentaires en multipliant entretiens et analyses jamais (ou peu) vus ailleurs. Deux ans ponctués de belles rencontres et de textes forts pour creuser ce sillon largement inexploré sur le web (francophone) : réfléchir sur les films documentaires ET les webdocumentaires avec l’ambition de dresser des ponts entre les deux genres. Car finalement il s’agit souvent des mêmes problématiques qui se posent et qui se déplacent à mesure que les expérimentations avancent. Pour reprendre les termes de Marie-José Mondzain, doc comme webdoc, il s’agit idéalement de travailler sur « ce qu’on fait voir sans le montrer pour le faire entendre ».

L’article qui suit s’inscrit dans cette optique : rapprocher deux manières de produire et de penser qui se ressemblent, les faire dialoguer pour qu’elles s’enrichissent l’une l’autre. Une première version de ce texte a initialement été publié dans le numéro événement de la revue IMAGES documentaires, à l’occasion de ses 20 ans.

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Dernier détail, pour lire cet article en musique, quelques morceaux de la bande son de « Prison Valley » ont été éparpillés çà et là… Il vous appartient de les actionner, ou pas. La bande son est disponible en intégralité ici (et c’est gratuit).

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C. M.

IDoc Couv n° 75-76_IDoc_couvRobert Flaherty, Johan Van der Keuken ou encore Robert Kramer auraient-ils pu devenir webdocumentaristes ?

Peut-être.

Les Ateliers Varan eux-mêmes me confiaient à l’ouverture de leur stage sur le « webdoc » fin 2011 en Guadeloupe : « Si Jean Rouch était encore là, nul doute qu’il se serait intéressé au webdocumentaire ! » [1]. Chris. Marker, d’ailleurs, n’a t-il pas été pionnier en la matière en explorant les univers du multimédia et des œuvres numériques dans Level Five (1996) ou Immemory (1998), et dans sa pratique de Second Life (2008) ? [2]

Ces suppositions, pour faciles qu’elles soient, viennent finalement à contre-courant de l’accueil plutôt frais que les acteurs historiques de la scène documentaire ont pu faire aux premières œuvres estampillées « webdoc ». Tout avait pourtant débuté sous les meilleurs auspices. En 2002, le Centre Pompidou organisait à Paris un cycle de conférences sur « Les ciném@s de demain » dont l’une des tables rondes était justement consacrée au « Web documentaire ». Les deux mots n’étaient pas encore accolés, mais déjà on s’interrogeait, « en parallèle au Festival Cinéma du Réel », sur « un genre encore peu exploité, parce qu’encore mal défini puisqu’il se trouve aux frontières de la webtv, du magazine en ligne ou du journal de bord ».

Il faudra attendre plusieurs années pour que cette curiosité se concrétise un peu plus. Sont d’abord apparues les premières aides à la création numérique : en 2007 pour le CNC avec la mise en place de la commission d’aide aux projets « nouveaux médias » ; en 2009 pour l’ONF avec l’obligation de déployer un volet interactif en parallèle à toute production soutenue par la structure canadienne. Depuis, les dispositifs se sont multipliés dans le monde, et ces deux initiatives expliquent en partie pourquoi le webdocumentaire se développe aujourd’hui particulièrement dans ces deux pays à forte « tradition documentaire ». Deux dispositifs qui ont notamment participé à la naissance des premières œuvres marquantes : La Cité des mortes (2005), Thanatorama (2007), Gaza/Sderot (2008), Voyage au bout du charbon (2008), ou encore 100 mots pour la folie (2010).

Dans cet univers en pleine ébullition, Prison Valley allait marquer un tournant en 2010. Ce webdocumentaire n’est pas loin de constituer aujourd’hui une référence, même pour les plus sceptiques. Un signe, en tout cas, ne trompe pas : ses auteurs (David Dufresne et Philippe Brault) et son producteur (Alexandre Brachet, pour Upian) ont été conviés aux 22e Etats généraux du film documentaire de Lussas pour un séminaire baptisé : « Ecritures Numériques — Au bout des doigts ». Si l’accueil a été « poli », Jean-Marie Barbe, fondateur du festival, soulignait alors « les nouvelles perspectives d’écriture et de production liées notamment au « Cross Média » » [3].

Nouvelles opportunités donc, pour la création comme pour la diffusion, et si l’on assiste aujourd’hui à un net regain d’intérêt, il n’est pas sans poser questions. Questions de financement d’abord, avec un modèle économique encore expérimental pour le webdoc – finalement confronté aux mêmes problèmes que les documentaires dits « classiques ». Questions de définition ensuite, à l’heure où émergent sur la Toile de manière quasi hebdomadaire des objets disparates tous ou presque estampillés « webdoc ». (La production a doublé en un an, avec près de 100 projets « nouveaux médias » aidés par le CNC en 2012 [4]). Sous l’appellation « webdoc », on trouve aujourd’hui autant de formes qu’il existe de régimes audiovisuels. Les reportages TV et autres travaux journalistiques y trouvent leurs rejetons comme les documentaires d’auteur y rencontrent leurs pendants. Le genre sert également à la communication des ONG ou à celle des entreprises. Difficile alors pour les profanes de ne pas se prendre les pieds dans la Toile !

Image 2Au-delà de cette prolifération d’« essais » sur Internet, le signe le plus manifeste de cet attrait nouveau pour le webdoc provient sans doute de documentaristes dits « classiques » qui s’essaient aux genres numériques. Citons Céline Dréan en exemple, sans doute la première cinéaste à se lancer avec Dans les murs de la Casbah [5]. Citons également Patric Jean, qui s’est essayé à une vaste expérimentation transmédia [6] avec Lazarus-Images (lire ici le bilan qu’il en a tiré). Citons enfin Claire Simon, qui travaille actuellement sur un vaste projet transmédia autour de la Gare du Nord, décliné en webdocumentaire mais aussi en film de fiction, en pièce de théâtre ou encore en exposition [7]. Des maisons de productions traditionnelles explorent aussi ces mondes numériques : Quark, qui a produit « Code Barre » ou « Mödern Cøuple », Zaradoc, Temps noir ou encore Les Films d’ici et Agat Films qui disposent depuis plusieurs années d’un responsable dédié aux nouveaux médias (respectivement Laurent Duret et Arnaud Colinart).

Autre indice de cet appétit naissant : pour la première fois en novembre 2012, la 13e édition du Mois du Film documentaire présentait une sélection de webdocumentaires qui « permettra d’explorer comment certains auteurs commencent à s’emparer de ce genre émergent pour y faire entendre leur voix originale » [8]. Le fait qu’une manifestation aussi « installée » dans le paysage du cinéma documentaire s’ouvre à cette « écriture en train de naître » autour « d’une implication de l’utilisateur, par une nouvelle interaction rendue possible par les technologies du numérique » n’est pas anodin. Mais à tout cela finalement, rien de plus normal : documentaire et webdocumentaire sont intimement liés.

De quoi le webdoc est-il le nom ?

Il y a d’abord ce mot qui nous est cher, « documentaire », mot chargé de sens et d’histoire dont on aurait pu craindre qu’il soit galvaudé par son association au préfixe « web ». Le néologisme « webdoc », quasiment suspect dès sa naissance, renferme pourtant de formidables potentialités. Si d’aucuns lui préfèrent d’autres vocables (« i-doc », «  digidoc », « programmes interactifs » à l’ONF, « nouvelles écritures » à France Télévisions), la contraction des termes « web » et « documentaire » créé une association de deux idées absolument modernes qui fait sens : le webdocumentaire est un objet numérique qui prend très au sérieux sa part documentaire.

Cette forme artistique nouvelle continue, à sa manière et avec ses propres moyens, l’histoire des expressions documentaires. D’abord développées par la peinture (Lascaux), le texte (Hemingway reporter de guerre, John Dos Passos, Kapuściński…) et l’image fixe (Cartier Bresson, Atget, Depardon…), puis par l’image mouvante bientôt associée aux sons du monde et à la désynchronisation (des frères Lumières à Frederick Wiseman en passant par Michel Brault et tant d’autres), et enfin par l’animation, ces façons de voir et de construire le réel se poursuivent fort logiquement sur le médium de ce siècle. Le changement de support n’induit pas forcément une révolution des approches et des manières de faire – manières de faire qui sont aussi, et peut-être surtout (selon la formule forgée par Jean-Louis Comolli) des manières de penser.

prison valley_MotelTout comme le cinéma est un art « impur », ou du moins hybride, le webdoc emprunte à toutes les pratiques artistiques qui l’ont précédé. S’il est l’héritier de tous ces arts, il n’en est bien évidemment pas la réduction : le webdoc apporte « autre chose ». Autre chose qu’il est bien difficile aujourd’hui de qualifier et de définir tant le genre est jeune. Heureuse absence de repères : rien ne serait pire que de l’enfermer dans une case prédécoupée ; rien de pire, aussi, que de lui boucher les perspectives. 

On peut toutefois tenter d’esquisser certains contours. Un webdoc, finalement, c’est un documentaire réalisé avec d’autres moyens. Non pas un film documentaire diffusé sur Internet, encore moins une succession de photos agrémentée de sons, mais un objet construit avec les outils du web. En somme, non pas un documentaire sur le web ou par le web mais, comme l’aime à le rappeler David Dufresne : un documentaire avec le web (qui peut d’ailleurs se jouer sans le web, Alma et Keep on Steppin’ l’ont démontré).

Concrètement, un webdoc associe images (fixes et mouvantes – photographie et cinéma), textes et dessins (et donc calligraphie, infographie), territoires sonores (encore peu explorés), animations, cartes, technologies Flash ou HTML 5, etc., dans une interface qui orchestre le tout. Parfois construite ad hoc, elle peut aussi être « générée » via des logiciels d’aide à la narration interactive (Klynt, Djéhouti et 3wdoc pour ne citer que les modèles français). Préformatés, ceux-ci présentent toutefois une souplesse d’utilisation qui peut notamment permettre de produire du documentaire quasiment « en direct » (voir U.S. Caravana [9]).

Cette question de la plate-forme du webdocumentaire n’est pas qu’un élément de discussion technique : l’interface produit aussi un discours, une image documentaire. Si on ne se pose plus la question de savoir comment on porte un film sur un écran, on ne se pose sans doute pas encore assez celle qui consiste à savoir comment on déploie une œuvre sur le web. Contrairement au cinéma, l’œuvre n’est ici plus réduite à la simple matérialité du film et du dispositif de projection, elle existe par et pour elle-même. Quand « l’ergonomie » d’un film est  toujours la même, celle d’un webdoc est à chaque fois changeante. En somme : chaque webdoc reconstruit un peu sa propre salle de cinéma.

Que fait l’auteur d’un webdoc de plus que l’auteur d’un documentaire dit « classique » ? Il construit notamment sa diffusion, son canal, son support. Il en retourne comme du montage au cinéma : moins nous remarquons l’interface, meilleure elle est… Si elle ne fait que découper un film documentaire en épisodes sans penser plus avant la mise en scène (spatiale et temporelle) de ses divers éléments, elle échoue. Trop voyante, elle parasite le discours. L’impression de jouer sur un site web peut nuire à l’appréciation d’une œuvre. C’est la grande réussite d’Alma, et sans doute une nouvelle perspective : tout à coup, l’interface disparaît. « Webdoc » pensé pour une tablette numérique, l’œuvre s’extirpe du web pour acquérir son « autonomie ». Réfléchir l’architecture web, c’est finalement penser « l’espace narratif » de l’objet, la scène dans laquelle va se dérouler l’action.

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Web + Documentaire

On accole souvent au webdocumentaire quatre qualités : multimédia, interactif, immersif et délinéarisé – avec des degrés divers pour chacune de ces rapides caractéristiques. Quatre termes bien sûr assez réducteurs, mais qui évoquent certaines « qualités » du cinéma documentaire.

Chaque film, c’est une évidence, est une œuvre composite, multimédia et interactive. Chaque film propose une immersion, et une participation au spectateur. Il lui ménage une place particulière, convoque son intelligence, suscite sa réflexion. Il se noue quelque chose entre lui et le spectateur. Il y a interactions dans une salle de cinéma. Interaction solitaire pendant la projection qui peut ensuite devenir collective une fois le film terminé. L’interaction que l’on peut construire avec une œuvre numérique n’est pas de la même nature que celle que l’on peut peut entretenir avec un film, mais toutes deux procèdent avant tout d’un désir d’histoire, ou d’un désir plastique, esthétique, qui existe peu importe le support. Sur ce terrain-là comme sur la délinéarisation (déjà présente dans l’acte même du montage), le webdoc n’invente rien, mais il travaille différemment.

Tout d’abord, il propose au webspectateur une expérience physique et sensorielle pendant l’exploration de l’œuvre. Sa réception et son appropriation mobilisent un corps en mouvement. Il faut cliquer, se servir de ses mains ou de ses doigts pour actionner le récit. On « n’utilise » pas un webdocumentaire de la même manière que l’on « regarde » un film. Le régime de perception est différent – c’est une évidence.

Un webdocumentaire suppose un internaute actif puisqu’il lui délègue apparemment une partie de la narration. Un peu à la manière des « livres dont vous êtes le héros », on peut choisir son chemin, faire marche arrière ou « sauter » certaines étapes. Le processus est presque factice pour les essais les moins réussis, mais absolument convaincant pour les œuvres – oui, les œuvres – les plus abouties, comme Alma, In Situ ou encore Prison Valley. A Cañon City par exemple, le webspectateur choisit sa route à partir de sa chambre d’hôtel. Il est libre de ses digressions mais pas totalement maître de sa propre progression. Il est aussi invité à réagir en direct, à participer à des forums sur le système carcéral aux États-Unis. C’est alors un peu comme si la salle de cinéma s’étendait, comme si elle s’universalisait en tissant sa toile aux quatre coins du monde.

Dans un webdoc, l’internaute est donc joueur – et le genre s’inspire de plus en plus des codes du jeu vidéo pour par exemple proposer des progressions « par paliers ». Il a la latitude de s’éparpiller dans la narration, la possibilité de disséminer son regard dans les méandres de l’oeuvre, et même de peser sur la temporalité du récit – ce qui n’est pas sans poser problème aux cinéastes. Céline Dréan explique ainsi cette difficulté : « Ce qui m’a semblé le plus compliqué, c’est vraiment la question du rythme, du temps. C’est LA question du montage, or dans le webdocumentaire, la narration se joue aussi (et même beaucoup) dans la navigation et le graphisme. Du coup, lorsqu’on monte un module vidéo, il y a bien sûr toujours son rythme propre, son début, sa fin, son tempo, mais on ne maîtrise pas d’où vient l’internaute et où il ira après » [10]. La cinéaste, sur le web, ne maîtrise plus « l’effet Koulechov ».

murs casbah2

Cette narration non-linéaire qui surprend tant de cinéastes dits « traditionnels » consiste notamment à concevoir une histoire qui ne part pas forcément d’un point A pour arriver à un point B. La construction de l’« arc narratif » peut ainsi être entièrement dévolue au webspectateur, avec les risques que cela induit. Là où le webdoc n’a d’ailleurs sans doute pas encore puisé tout ce qu’il pouvait trouver d’inspirant au cinéma, c’est peut-être du côté de la dramaturgie, pour mieux surprendre le webspectateur, ouvrir de fausses pistes, créer des impasses, ménager le suspens, etc.

Aussi, cette non-linéarité que l’on imagine trop vite propre au webdoc est bien sûr l’apanage du cinéma documentaire. Rien n’est jamais linéaire dans les représentations audiovisuelles. Jamais le montage final d’un film ne correspond à la capture, fusse t-elle sur le vif, du réel. Chaque pan de réalité enregistré par la caméra est déconstruit, et réagencé au montage qui, de fait, « délinéarise la prise de vue ».

De quoi le webdoc pourrait-il être le nom ?

Tout comme son frère aîné de cinéma, un webdocumentaire qui s’assume en tant que tel affirme un point de vue, porte un « regard d’auteur » et revendique une subjectivité – fusse t-elle plurielle car, de la même manière qu’il existe pour un film un réalisateur, un preneur de son, un monteur, un producteur… etc, un webdoc est le fruit du travail collectif d’une équipe pluridisciplinaire ; cette fois également composée d’un webdesigner, d’un architecte web, d’un intégrateur, voire d’un community manager (pour gérer le déploiement éventuel de l’œuvre sur les réseaux sociaux).

Le webdoc fait donc entrer de nouveaux métiers dans la création documentaire. Et c’est heureux ! Tous apportent leurs savoirs et leurs techniques aux expressions documentaires qui se régénèrent alors, et s’enrichissent au contact de ces « nouveaux venus ». Hugues Sweeney, producteur exécutif du studio interactif de l’ONF, admet bien volontiers une « levée de bouclier » aux débuts de l’effort de l’Office National du Film en direction des œuvres numériques. « C’est normal, ajoute t-il, cela change des façons de travailler pour la plupart des sociétés installées », avant de rappeler : « Le documentaire, ce n’est pas 24 images par seconde, mais une interprétation artistique du réel ». [11]

CoverArt Cette collégialité nouvelle dans la fabrication des œuvres dites « documentaires », c’est la chance du webdoc. On ne jugera pas le genre d’après les « codes » qu’il empruntera aux films documentaires (le cadre, la voix off, le montage, etc.), mais sur des éléments nouveaux, des équivalences en quelque sorte. Imaginer « l’équivalent web » du hors-champ ou du champ contre-champ, tel est le défi. S’extraire des canons séculaires du cinéma documentaire pour construire le sens ailleurs, avec d’autres moyens (simple split screen pour Gaza/Sderot par exemple), tel est l’enjeu. Associer les conquêtes du cinéma documentaire avec les innovations du webdoc pour dépasser les genres, et les cases, telle est l’opportunité. Ne pas penser que la seule solution à un problème géographique puisse être une carte, comme la réponse à une question temporelle puisse trouver solution dans une timeline, telle devrait être l’approche.

Dans l’idéal, un (web)documentaire produit des émotions, procède par sensation et néglige l’information pure. Il donne à sentir pour comprendre. Il n’explique pas, il raconte. Il n’assène rien, il propose. Il ne donne pas de réponses, il pose des questions. Cette conception du genre ne représente aujourd’hui qu’une part infime de la production mais, dans l’absolu, le webdoc partagerait le même horizon que le film documentaire en insistant davantage, ou différemment, sur la parcellisation du récit, l’interactivité et la participation du spectateur. Cultiver l’indécis, le doute ou le trouble pour convoquer l’imaginaire du spectateur. Faire le pari de son intelligence sans chercher à le convaincre.

Chps-Libres-mars12-bisCes deux formes artistiques parlent aussi de partage. Partage des expériences, le documentaire y puise partie de son essence. On ne travaille pas sur des sujets, mais avec eux. On ne surplombe pas une problématique ou un thème en le maîtrisant de ses connaissances préexistantes ou en le méprisant de ses préjugés. Documenter, c’est d’abord tout oublier. Vierge devant son objet. Partage des regards, confrontation des points de vue, c’est aussi la tâche du webdocumentaire.

Le webdocumentaire, enfin, présente une dimension cinématographique très concrète. Il n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il retrouve un écrin qui n’est pas pensé pour lui ; à savoir : la salle de cinéma. Retrouver le temps contraint de la projection alors que le webdoc est pensé pour une utilisation justement libre de contraintes : sympathique servitude volontaire. Il s’agit par exemple de redonner pour un temps, pour une dernière fois peut-être, « la main », le contrôle à l’auteur – si tant est qu’il ne l’ait jamais perdu. Celui-ci peut alors guider son « récit idéal » en le commentant off, avant que les spectateurs s’approprient l’œuvre dans l’intimité de leurs ordinateurs. Effet saisissant et pouvoir d’attraction incomparable : quand une œuvre pensée pour une réception personnelle et intime rejoint ce type de projection collective, elle se dote d’une strate narrative supplémentaire qui en rehausse la complexité et la finesse. Les dispositifs d’appréciation collective d’un webdoc sont aussi divers qu’il existe de formes webdocumentaires, et la chance du webspectateur, c’est peut-être aussi la salle de cinéma.

Faisons donc ici le pari que le webdocumentaire a de beaux jours devant lui. Et à ce mot si problématique, il convient de s’accrocher pour déplier sur Internet ce que nous avons concentré dans les œuvres de cinéma documentaire. Le travail critique est à ce titre une primordiale façon d’accompagner l’éclosion de ces nouvelles manières de voir et de faire. La houle d’une « nouvelle vague » (web)documentaire pointe à l’horizon ; à nous de l’accueillir, et de l’accompagner comme une belle promesse de novation. Finalement grâce à Internet, les webdocs nous offrent, sinon une idée nouvelle du documentaire, du moins de bien belles Images documentaires.

Cédric Mal

NOTES


[1] « Gaudeloupe : les ateliers Varan investissent le webdoc », entretien avec Sylvaine Dampierre et Ana Maria de Jesus, Le Blog documentaire, décembre 2011.

[2] Plate-forme informatique dans laquelle les utilisateurs incarnent des personnages virtuels dans un monde créé par les résidents eux-mêmes.

[3] In la Lettre du CNC #75 (juillet-août 2010). Le « Cross média » est la combinaison de plusieurs médias (radio, télévision, cinéma, print… etc) dans une stratégie de diffusion.

[4] Voir le dossier très complet de SONOVISION, janvier 2013.

[5] Dans les murs de la Casbah (production. Vivement lundi !, 2012).

[6] Le « transmédia » consiste à développer un contenu narratif sur plusieurs médias en différenciant ledit contenu en fonction des spécificités de chaque média.

[7] Gare du Nord (production. Les Films d’Ici, 2nd semestre 2013).

[8] 13è Mois du Film documentaire, édito de Jean-Yves de Lépinay, président d’Images en bibliothèques.

[9] Voir par exemple U.S. Caravana, première expérimentation du genre.