Cette seconde partie du mois d’octobre est largement consacrée au 17 octobre 1961, avec deux films inédits en salles qui reviennent sur l’événement. A noter aussi, un documentaire qui fait revivre les rushs oubliés de Chronique d’un été (Jean Rouch, Edgar Morin, 1961). Et puis la belle œuvre de Marie Losier, The Ballad of Genesis and Lady Jaye, sort enfin en salles après une très belle carrière en festivals.
Bons films !
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Le 19 octobre
Ici on noie les Algériens, de Yasmina Adi.
On ne sait toujours pas, et sans doute ne saura t-on jamais, combien de Français d’origine algérienne sont morts dans la répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 et, faute de preuve irréfutable, Yasmina Adi se garde bien d’avancer un quelconque chiffre dans son film. Elle se concentre sur cette journée de mobilisation lancée à l’appel du FLN pour notamment protester contre le couvre-feu imposé par le préfet d’alors, Maurice Papon.
La réalisatrice met en regard le discours officiel de l’époque (le déni des exactions commises par les policiers) et le ressenti personnel de plusieurs participants à cette sombre journée. On entend ainsi le témoignage de femmes qui n’ont jamais vu revenir leurs maris ou leurs enfants de la manifestation, les confessions de conducteurs de bus qui ignoraient les raisons pour lesquelles on leur demandait de transporter des manifestants ou encore les confidences de médecins qui témoignent de la férocité de la répression. Les images d’archives, mises en parallèle, sont accablantes.
Après L’Autre 8 mai 1945 – Aux origines de la guerre d’Algérie – son premier film, Yasmina Adi livre ici un documentaire qui en appelle à une reconnaissance officielle des événements. C’est aussi un film qui parle du présent, explique la réalisatrice au Nouvel Obs : « Les images rappellent les rafles du Vel’ d’Hiv en 1942, mais elles sont toujours d’actualité. Elles me rappellent le traitement fait aux sans-papiers et plus récemment l’évacuation de Roms dans un tramway. L’Etat réitère ses méthodes de répression. Les images d’aujourd’hui montrent malheureusement que le passé, c’est le présent ».
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Octobre à Paris, de Jacques Panijel.
Même sujet pour Jacques Panijel, à la notable différence que son film fut censuré pendant de nombreuses années (jusqu’en 1973). Tourné dès 1962, il revient lui aussi sur ce 17 octobre 1961 dans un documentaire découpé en trois parties. Avant, pendant et après la répression. Jacques Panijel, initialement biologiste et chercheur au CNRS, a reconstitué les préparatifs de cette journée dans les bidonvilles de Nanterre et d’Aubervilliers. Il évoque ensuite la manifestation proprement dite grâce aux photographies d’Elie Kagan. Le documentaire s’achève sur le 8 février 1962, journée au cours de laquelle 8 personnes venues soutenir le peuple algérien au métro Charonne ont trouvé la mort.
Dans un entretien donné en 2000 à la revue Vacarme, Jacques Panijel expliquait l’hostilité de certains militants, intellectuels, et l’indifférence assourdissante des cinéastes de la « Nouvelle Vague ». Il détallait aussi les conditions de tournage de ce film « vraiment clandestin et politique » tout en insistant sur la diffusion extrêmement difficile de son documentaire. Projeté en marge du Festival de Cannes en 1962 puis à Venise et en mai 68, il n’allait bénéficier d’un visa de censure qu’en 1973, notamment grâce à la grève de la faim d’un autre cinéaste militant, René Vautier. Jacques Panijel avait cependant une exigence, non négociable : « Ce que je demandais était la liberté de tourner une préface à Octobre à Paris pour tenter de définir ce qu’est – moralement et politiquement – un crime d’Etat ».
Décédé il y a un peu plus d’un an, Jacques Panijel n’aura pas le plaisir de voir enfin son film distribué dans les salles de cinéma françaises.
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Un été + 50, de Florence Dauman.
Florence Dauman, fille du producteur Anatole Dauman, revient ici sur un film fondateur de ce que l’on a appelé « cinéma vérité ». Au début des années 60, le cinéaste anthropologue Jean Rouch et le sociologue philosophe Edgar Morin se lancent dans une exploration de la société française. Leur méthode est simple : ils sillonnent les rues de Paris avec leur caméra (légère) 16mm et un enregistreur de son synchrone pour poser ces simples questions à leurs interlocuteurs : « Comment vis-tu ? Es-tu heureux ? Comment te débrouilles-tu avec la vie ? ». « Question que nous poserions à des personnages de différents milieux sociaux et qui serait en fin de compte une question posée au spectateur », expliquait Edgar Morin peu avant le tournage.
Épaulé par des opérateurs aussi prestigieux que Michel Brault ou Raoul Coutard, le film dresse le portrait d’un monde apparemment figé, mais que la génération représentée ici pourrait bientôt bousculer. On y entend en effet de jeunes étudiants comme Régis Debray, mais aussi des rescapés de camps de concentration comme Marceline Loridan-Ivens, ou encore des ouvriers du secteur automobile.
Certains de ces protagonistes interviennent dans Un été + 50 en revenant, un demi-siècle plus tard, sur le tournage du film de Jean Rouch et Edgar Morin. Le documentaire intègre également des plans inédits et restaurés qui proviennent des quelques 20 heures de rushs tournés en 1960. Chronique d’un été ressort aussi en salles dans une version restaurée, et l’œuvre de Florence Dauman permet d’apprécier encore davantage ce que Roland Barthes qualifiait alors de « premier film que me fait voir les autres ».
(extrait du film de 1961)
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Le 26 octobre
The Ballad of Genesis and Lady Jaye, de Marie Losier.
Objet filmique non identifié pour performance artistique hors norme, celle « ballade » audiovisuelle signe le portrait de l’un des fondateurs de la musique « industrielle », Breyer P-Orridge Genesis, et de sa femme Lady Jaye. Icône de la scène underground new-yorkaise des années 80, celui qui s’appelait initialement Neil Abndrew Megson se lance dans une expérience limite : ne faire plus qu’un avec sa moitié. Devenir très concrètement le miroir de l’autre. Fusionner les corps pour devenir des moitiés d’un seul être. Créer une troisième entité qui ne soit pas un enfant – et qu’ils nomment « Pandrogyne ». Cela implique moults opérations de chirurgie plastique au terme desquelles l’apparence de Genesis et de Lady Jaye tend à se confondre.
Marie Losier, amie du couple, suit cette incroyable aventure pendant 7 ans, de 2000 à 2007. Elle filme avec une Bolex, une caméra dont les pellicules n’excèdent pas trois minutes, et compose ensuite un patchwork psychédélique – et finalement très sobre – de cette expérience artistique transgenre. Le documentaire est volontairement déstructuré, kaléidoscopique. Les séquences des deux personnages ainsi mis en scène se succèdent sans progression dramatique classique. La réalisatrice, formée aux Beaux Arts de New York, explique : « Ce qui est beau pour moi, c’est que sans le savoir, ma manière de travailler, en collant différentes images, différents sons, différentes émotions, est très proche du travail et de la façon de vivre de Genesis et Jaye ». Genesis, de son côté, commente : « Une fois que tout est assemblé, c’est comme si Fellini avait fait un documentaire. Honnêtement, nous pensons que Marie [Losier] est le remède du 21e siècle aux documentaires ennuyeux ! ».
De plus amples précisions sont disponibles sur le site du film, ou dans cet entretien en anglais avec Marie Losier. Il existe également plusieurs extraits du documentaire sur Youtube : c’est par ici.
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Le coin des festivals…
– FRANCE –
– Le 33e Cinémed, Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, se déroule du 19 au 23 octobre.
– AILLEURS –
– Le 54e Festival international DOK Leipzig se tient du 17 au 23 octobre en en Allemagne.
– Le 9e festival de cinéma documentaire Doclisboa, s’ouvre le 20 octobre à Lisbonne, et pour 10 jours.
– Le Festival international du film documentaire de Jihlava, c’est en République Tchèque du 25 au 30 octobre .
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