C’est un film sensible qui intéresse cette semaine Le Blog documentaire. Dans « Enfants valises », Xavier de Lauzanne suit le quotidien d’une classe d’enfants immigrés de moins de 16 ans, de leur première journée de classe, aux ateliers d’écriture et de prononciation jusqu’à leur recherche de formation professionnelle. Un documentaire qui a le mérite de « cueillir » ces adolescents tels qu’ils sont, tout en nous faisant inévitablement réfléchir à la question de l’immigration. Entretien avec le réalisateur signé Sibel Ceylan.
Le Blog documentaire : En premier lieu, pouvez-vous nous expliquer pourquoi avoir choisi précisément ce sujet ?
Xavier de Lauzanne : Le sujet est venu à moi par deux intervenantes dans des classes d’accueil, dont Sandrine Montin qui figure dans le film. Après m’avoir exposé leur projet de film, j’ai rapidement accepté. La question de l’immigration est cruciale aujourd’hui mais nous n’avons pas les moyens d’y répondre du fait de sa complexité. Ce film est davantage la découverte d’un univers pour moi, que l’analyse d’un phénomène.
Quel était votre point de vue sur l’immigration des jeunes en France ? Avez-vous été surpris en vous confrontant à leur quotidien ?
Nous avons tous en nous à la fois une fascination et un rejet de l’autre, et je défie quiconque de n’avoir jamais eu de sentiments plus ou moins racistes. La coexistence est un exercice difficile et c’est parce qu’il est si dur qu’il nous élève. Il faut se dépasser soi-même pour dépasser les a priori. Et le seul moyen d’y arriver, au delà des discours plus démagogiques les uns que les autres que nous entendons régulièrement, c’est d’aller au contact. Je ne sais pas si, après ce travail, je me sens plus ouvert, mais j’ai plus conscience de certains facteurs qui peuvent entraver la relation et sur lesquels il faut que je travaille personnellement.
Aviez-vous une idée de narration en tête avant le tournage ou vous êtes-vous laissé guider par les différents moments forts de l’année ?
Je ne me suis pas engagé sur ce travail avec l’idée de faire un reportage ou une enquête. N’ayant aucune réponse à apporter, je ne voulais pas entrer dans quelque chose de didactique. Je ne voulais pas non plus observer ces jeunes par le prisme de leurs origines mais comme tout autre adolescent. Je me suis donc laissé guider par ma propre curiosité tout en considérant l’importance de l’éducation dans le processus d’intégration.
Comment avez-vous été accueilli dans leur classe, dans leur maison ?
Dans la classe, très naturellement. Il faut dire que ce sont des jeunes qui n’ont pas du tout conscience de ce que représente une caméra dans l’univers médiatique d’aujourd’hui. Dans les maisons, c’était plus compliqué du fait de situations familiales délicates. Je n’ai donc filmé que dans trois familles, et plutôt brièvement.
Vous filmez assez peu les parents pour vous concentrer sur les « enfants valises ». Pourtant, ce sont souvent eux – ou du moins l’entourage familial – qui contribuent à faire avancer les jeunes à l’école. Pourquoi ce choix ?
Oui, c’est très juste, le potentiel des enfants dépend souvent de la situation des parents, mais je cherchais la proximité avec les adolescents. Je ne voulais pas les enfermer dans un carcan, ni familial, ni culturel, mais les « cueillir » le plus simplement possible et saisir leur spontanéité. Ils venaient d’arriver en France, et je voulais capter leur fraîcheur, leur naïveté, leur complexité, pour voir notre pays à travers leurs regards encore neufs. Aujourd’hui, ils ont déjà beaucoup changé et se sont formés des gardes fous par rapport à la société qui les entoure.
Vous avez choisi de filmer plus longuement quelques élèves, pourquoi eux ? Étaient-ils différents des autres ?
J’ai suivi des élèves qui avaient tous des profils différents et qui étaient suffisamment expressifs et représentatifs des problématiques des autres.
Les avez-vous choisis pour leur histoire personnelle ?
Je n’ai pas fait de repérage. Je les ai découverts en début d’année quand j’ai commencé à filmer. Je les ai donc observés dans un premier temps à travers l’œilleton de ma caméra et j’ai retenu ceux qui me renvoyaient des choses touchantes et inattendues, qu’elles soient dites ou non dites.
Vous ne filmez pas beaucoup l’équipe pédagogique ou la professeure principale, qui pourtant joue un rôle primordial. Était-ce un choix dès le début ou cela s’est-il imposé pendant le tournage ?
Au début, je n’avais pas de certitudes à ce propos. J’ai fait des interviews de l’équipe pédagogique mais je me suis vite rendu compte que ces professionnels me renvoyaient à quelque chose « d’expliqué », et donc à un parti pris qui correspondait à leur conviction et à leur expérience. Mon sujet c’était les « Enfants valises », et en cours de route, je me suis senti plus attiré par la capture de « moments de vie », sans y plaquer de passions personnelles, afin que les spectateurs aient la liberté de se les approprier pour illustrer tout un ensemble de problématiques qu’ils avaient eux-mêmes en tête.
Le choix de retrouver ces jeunes quelques années après le début du tournage était-il prévu en amont ?
C’est devenu une évidence au fil du tournage. Je me disais que les spectateurs se poseraient nécessairement la question du « que sont-ils devenus ? ». Et puis, je voulais aussi terminer sur une perspective d’avenir qui soit nuancée. A propos du cheminement de chacun, il y a du positif et du négatif, nous sommes là dans le vrai de la vie, et pas dans une démarche militante.
Avez-vous de nouveaux projets de documentaires en cours ?
Oui, j’en ai actuellement deux en préparation… mais dans ce domaine, les choses sont suffisamment aléatoires pour qu’on se garde de s’épancher sur la question !…
Propos recueillis par Sibel Ceylan
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entretien vraiment intéressant merci beaucoup pour cet article !!
Un vrai plaisir de lire tes articles ! Bonne continuation !
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