C’était, début avril à Paris, la première édition du festival NewImages était consacrée à la création numérique sous toutes ses formes, du jeu vidéo à la réalité virtuelle en passant par les narrations smartphones. L’événement a rassemblé près de 7.000 visiteurs, 70 invités internationaux et proposé 5.000 séances interactives. Une manifestation qui a réservé la part du lion aux narrations immersives. Explications.

Il y a toujours quelque chose de vertigineux à se rendre à un événement consacré à la réalité virtuelle. Comme le sentiment que ce que l’on tenait pour probable quelques mois auparavant est déjà battu en brèche par de nouvelles hypothèses, tout aussi hasardeuses. L’impression que la frontière du possible s’est imperceptiblement déplacée, et que les expérimentations les plus réussies ne sont qu’ébauches d’un avenir tâtonnant. Le festival NewImages, fort bien organisé par le Forum des Images, en a été une nouvelle illustration.

La VR cinématique, c’est déjà fini ?

Originalité de la programmation de films 360° de NewImages, une sélection de courts-métrages venus du continent africain, parmi lesquels se dégageait Let this be a warning de Jim Chuchu, sorte de pendant VR minimaliste au récent blockbuster Black Panther : vous venez d’atterrir sur une planète désertique peuplée de noirs ; ils vous font comprendre que votre espèce n’est plus la bienvenue. Que veut dire réaliser en VR à Nairobi, à Dakar ou à Johannesbourg ? Y a-t-il un public, des réseaux de diffusion ? Si Exodus, programme animalier sud-africain d’Ulrico Grech-Cumbo (DeepVR) est clairement pensé pour le public et les réseaux de distribution occidentaux (Discovery Channel, Dysney), la confidentialité des contenus VR peut être un atout précieux dans certains contextes. Ng’endo Mukii, réalisatrice de Nairobi Berries, une promenade dans un Nairobi rêvé raconte ainsi, qu’au Kenya, on peut être emprisonné pour un court-métrage LGTB : la confidentialité des masques VR offre la possibilité de montrer son œuvre au public de son choix.

Si les films à 360° ont rarement été aussi bien présentés, selon un modus operandi bien rodé (quatre programmes d’une demi-heure lancés à heure fixe sur les masques ), on peinait cependant à trouver des œuvres véritablement disruptives, comme si la VR était passée à autre chose. L’intérêt du film à 360° se justifie lorsqu’il téléporte l’utilisateur dans un univers en apesanteur (Dans la peau de Thomas Pesquet, DV group), ou au milieu d’un banc de requins (700 requins, Néotopy), mais reste souvent à démontrer dans la floraison de courts-métrages à 360°.

Au Festival NewImages au Forum des Images (Paris)

Et si on se fumait un calumet ?

Une petite dose d’interactivité – et une expérience bien pensée – suffit pourtant à raviver l’intérêt du geek blasé. C’est ce qui se produit dans Wolves in the Walls, une expérience en 3D temps réel où une petite fille fait de vous son ami imaginaire. C’est en dessinant vos mains par quelques coups de crayon qu’elle vous invite dans son univers, où des loups sont cachés dans les murs. Si vous confirmez leur présence, elle vous adoptera pour toujours… Simple, touchant, lumineux, cet opus a remporté le prix du Masque d’or de la création interactive à NewImages.

Mais un simple objet peut aussi faire basculer l’utilisateur. Un calumet de la paix par exemple. Avant de plonger dans Immersive Mugshots, que DV Group présentait à NewImages, l’utilisateur empoigne une sorte de calumet électronique, dans lequel il devra tirer de longues bouffées pour faire avancer le récit. Cet artéfact inattendu et les volutes de fumée virtuelle que l’utilisateur émet dans l’espace lui permettent de tisser un lien intime avec un vieil indien. Vétéran du Vietnam ce dernier a, depuis, passé le plus clair de son temps à boire et à fumer, puis à cuver le tout dans les postes de police de sa région. Parti pris original, l’expérience met en scène dans le décor 3D d’un décor péri-urbain américain des images documentaires composées de fragments de vidéo 2D. Une sorte de portrait cubiste et halluciné d’un vieil indien trash et sensible.

Dans Munduruku, primé à Sheffield en 2017, l’un des projets les plus courus du festival, c’est une tasse chaude que l’on tend à l’utilisateur. Il se trouve à cet instant sous une hutte, dans la forêt amazonienne, au moment de la préparation du café, et les effluves du breuvage envahissent ses narines. Financée par Greenpeace et la Ford Foundation, Mundurucku est une « narration multisensorielle », qui fait appel, outre la vue et à l’ouïe, à l’odorat et au toucher. La coréalisatrice Grace Boyle a notamment travaillé sur ce projet avec Nadjib Achaibou, un jeune parfumeur Londonien. La mission de ce dernier n’était pas simplement de compléter les images par les parfums correspondants, mais de contribuer à une narration émotionnelle fondée sur le montage de flux sensoriels. Manière de renforcer le lien entre l’utilisateur et un petit bout de terre perdu au milieu d’une forêt en danger. Il en résulte une expérience baudelairienne, où « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Voire carrément un film documentaire proustien, où de lointaines images du réel entrent en correspondance avec le souvenir intime d’une tasse de café rustique.

Le local based : nouveau Graal de la VR

Outre le trafic d’objets, Mugshots et Munduruku présentent au autre point commun : ce sont des installations qui exigent de l’utilisateur qu’il se rende dans un espace dédié pour vivre l’expérience. Ce type d’expérience « local based », selon le terme consacré, a fait l’objet de longues interventions pendant les journées pro de NewImages. C’est qu’elle apparaissent aujourd’hui comme une planche de salut pour la VR. En effet, la chose est désormais entendue : même si les chiffres progressent, les masques ne sont pas entrés massivement chez les particuliers. Si l’intérêt pour la VR existe, il se vit prioritairement dans des lieux dédiés, dans des espaces muséaux comme pour le projet The Enemy (France Télévisions, ONF, MIT, 2017), mais aussi dans des salles d’arcade VR ou des salles d’escape game en réalité virtuelle. Deux modalités pour lesquelles un modèle économique, encore tâtonnant, commence à poindre.

Comme l’était le cinéma pendant ses premières années d’existence, les médias immersifs sont perçus par le grand public comme des attractions, à fréquenter avec modération. Si l’essor du local based ouvre aussi un espace pour des expériences émotionnelles tout aussi intenses que riches sur le plan narratif, personne ne s’en plaindra.

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