Le Blog documentaire, partenaire du FID, vous présente ici la 23ème édition de la manifestation qui se tient du 4 au 9 juillet 2012.

Le festival international de cinéma de Marseille – rebaptisé ainsi depuis qu’il s’est ouvert il y a quelques années aux films de fiction – s’annonce d’ores et déjà des plus riches : 34 films en compétition, 150 au total à voir dans différents lieux de la ville. Un programme dense, et pointu…

Rencontre avec Jean-Pierre Rehm, le délégué général du FID. Une discussion décousue, truffée d’anecdotes et de coups de pique… juste pour donner envie de découvrir ces films qu’on voit rarement ailleurs !

Jean-Pierre Rehm.

Le Blog documentaire : Quelle est la spécificité du FID Marseille ?

Jean-Pierre Rehm : Aujourd’hui il y a, en gros, 2 types de festivals de documentaires. Il y a ceux qui sont clairement affiliés à la télévision, dont le métier est de faire un marché, une vitrine… L’aspect festivalier n’y a pas vraiment d’intérêt. Les gens qui sont dans ce type de festival sont là pour rencontrer d’autres personnes comme eux et faire des accords sur des films à venir, faire des ventes, des coproductions, etc… Le public est pour l’essentiel constitué de professionnels. Ce que l’on y voit, c’est ce qu’on a vu hier et ce qu’on verra demain. C’est du produit, qui bouge un peu, certes… mais reste du produit. Du 52 minutes, du 26 minutes, quelques 90 minutes… mais si vous regardez dans le programme, il n’y a rien d’autre.

Et puis, il y a aussi quelques lieux supposément héroïques qui disent : « Non, ce n’est pas la télé et ce n’est pas non plus le tapis rouge!… Mais au fond, on se rend vite compte qu’on y retrouve toujours un peu de télé quand même… ».

Ah bon, dans quelle catégorie vous classez-vous alors ?

Ah mais non, je ne me classe pas du tout là-dedans ! Quand le conseil d’administration m’a confié cette mission de programmation du FID, j’avais en tête plusieurs choses. D’abord, si le genre documentaire est intéressant, c’est parce que c’est du cinéma et pas de la télévision. Il fait intégralement partie d’un cinéma que, personnellement, j’envisage comme un art et pas seulement comme un outil. Ça m’importe beaucoup. Deuxièmement, c’est un espace du cinéma qui ne se cache pas derrière l’hypothèse de réjouir.C’est à dire ?

J’ai entendu un directeur d’une section de Cannes cette année qui a dit : « Je veux des larmes et du rire ». Je ne comprends pas ce que ça veut dire. Si un film est beau, il fait à la fois pleurer ou rire, même intérieurement… C’est une définition de marchand ;  pas d’amateur de cinéma ! Imaginez que les frères Lumière aient dit « nous, on veut faire pleurer ou rire… ». C’est méprisant je trouve, pour les spectateurs comme pour les films.

Plus important que ça, je me suis dit que l’espace documentaire jouit d’une liberté infinie. Parce que le cinéma narratif de fiction a beaucoup de mal à s’affranchir d’une règle de fer qui est celle édictée par Aristote: « un récit a un début, un milieu et une fin ». Ça a l’air très sommaire comme définition, mais elle est en réalité extrêmement contraignante ; la preuve c’est que Godard a dit un jour : « début, milieu et fin, je veux bien, mais pas dans cet ordre là ».

Dans le documentaire, on ne subit pas cette obligation. Un film peut commencer par le milieu et rester au milieu. Un milieu qui se détend indéfiniment.

De mon point de vue, le documentaire est cet espace précisément indéfini. Quand je suis arrivé au FID, j’ai découvert qu’il y avait le plus triste dans ce qu’on appelle le genre documentaire ! Avec la diversité infinie du réel, vous prenez des petits moules à gâteaux et hop, vous les démoulez… Certains sont blancs, d’autres rouges, en fonction de ce que vous y avez mis… Mais c’est quand même étonnant, qu’on soit en Chine, en Normandie ou dans un bureau : ils sont colorés différemment, mais ils ont toujours le même goût ! Pourquoi ?

Tout cela à cause d’un discours théorique et prescriptif : « ceci n’est pas du documentaire, ça c’en est… on ne fait pas ci, on ne fait pas ça… ». Et pas seulement en ce qui concerne les 52 minutes ! Même dans la famille des gens qui se disent être des cowboys sauvages du documentaire !

Quand je suis rentré dans le processus de sélection du FID, après une année j’ai eu envie d’écrire un petit livre qui s’appellerait : « Comment faire un documentaire », qui serait bien sûr ironique. La recette : vous commencez par quelqu’un qui rentre dans le champ de profil à droite ou à gauche, avec du piano ou du violon… toujours ce genre d’instrument rythmique. Là-dessus, vous faites démarrer une voix off et puis tout cesse et laisse place à du son synchrone. Vous avez toujours une petite fête aux deux tiers du film, etc… Ça me « désastrait ».

Pour moi, la définition du documentaire, c’est son indéfinition. Autrement dit si je veux connaître le réel, si je dois m’approcher de lui, c’est pour m’y soumettre. Si j’essaie de savoir ce que sont les fourmis, je ne vais pas utiliser la même focale ou les mêmes optiques que si je tente de filmer les étoiles. Moi, je n’ai rien à raconter sur les fourmis, c’est elles qui vont me raconter quelque chose. J’essaie de faire un film à partir des fourmis, et de voir ce que je serai capable de capter de ce qu’elles vont m’envoyer. Si elles parlent très bas, ça va dépendre de la qualité de mon ouïe ou de ce que j’aurais décidé de mettre en œuvre, par exemple un super méga-amplificateur. Certains se diront : « Oh ! J’ai obtenu une phrase, ça me va ». Et d’autres, comme les savants, diront : « cette phrase ne me suffit pas, je suis sûr qu’elles disent d’autres trucs les fourmis, il faut donc que j’invente une meilleure machine. Un film, c’est inventer une machine pour entendre ce que le réel nous dit« .

Voilà le problème du format de 52 minutes : au départ, il induit de ne pas fabriquer un autre outil que ceux qui existent déjà. Alors que le documentaire, c’est justement de fabriquer ces outils par respect pour les choses dont on veut parler.

Que peut-on dire de cette édition 2012 du FID ?

Je marche à l’aveugle ! En général je sais ce qu’il y a à dire d’une nouvelle édition quand elle est passée, finie.

En compétition, il n’y a que des films qui sont des premières mondiales (jamais montrés) ou des premières internationales (déjà montrés dans leur pays de production). Vous ne pouvez pas imaginer les difficultés que ce critère implique : les batailles avec d’autres festivals ! Comme depuis 4 ans nous sommes ouverts à la fiction, ça élargit encore le spectre des festivals et ça implique encore plus de batailles.

Il y a Cannes d’abord. Je me souviens d’un film que Miguel Gomes m’avait envoyé il y a quelques années : Ce cher mois d’août. Aussitôt après l’avoir vu, je lui dit : « Ton film est magnifique, je le prends ». Quinze jours plus tard, il m’écrit pour me dire qu’il est sélectionné à Cannes… Bon, je lui ai dit que j’étais content pour lui, mais du coup j’ai perdu ce film. Après il y a la Mostra de Venise, mais avec le nouveau directeur artistique qui vient d’être nommé, on ne va sûrement pas être sur la même ligne… En revanche, il y a Locarno qui a aussi changé de directeur et nous sommes sur les mêmes lignes.

Pourquoi est-ce si important d’avoir des premières ? 

Parce qu’un festival, ça peut être un événement culturel à l’échelle d’une région, d’un pays… un travail très respectable, surtout l’été. Mais je crois qu’un festival qui se respecte peut avoir une autre fonction, qui est précisément celle de prendre des risques. Etre le premier à dire OUI à une proposition cinématographique. D’ailleurs, pour moi, la compétition sert à dire : « Je me porte garant de ce film ». La sélection en compétition, c’est un coup de projecteur, une façon de dire au public ou aux autres professionnels : « Regardez s’il vous plaît, moi je trouve ça super ». C’est important de prendre des risques, et pas de prendre ce qui a été validé ailleurs.

Dans les Ecrans Parallèles, il n’y a pas cette validation, et ça me permet de montrer ce qui est déjà passé ailleurs et d’articuler le passé et le présent.

Cette année par exemple, il y a une thématique qui s’appelle « Les fils du pouvoir« . On peut y voir un film de 1936 de Tod Browning : Les Poupées du diable [Un scientifique fou invente un procédé pour réduire les êtres vivants dans un but humanitaire, NDLR] et le dernier film fini de Werner Herzog sur les couloirs de la mort aux Etats-Unis (Into the Abyss2011).

C’est une façon pédagogique de ramener le public – souvent jeune – vers le passé. Je me rends compte qu’on est souvent face à des gens qui ne connaissent rien à l’histoire du cinéma. Un petit souvenir… juste pour le plaisir d’être méchant : j’étais invité au Mexique, pour parler de ma ligne éditoriale. Il y avait un autre Français qui travaillait pour la télévision. Il commence son intervention par : « Comme disait John Ford, il faut 3 choses pour faire un bon film : une bonne histoire, une bonne histoire, une bonne histoire ». Je le laisse finir son truc, et je lui demande quel film de Ford il préfére ? Il m’a répondu avec le titre d’un film de Howard Hawks ! Encore une démonstration de quelqu’un qui s’autorise à citer un cinéaste de fiction, pour vendre la loi supposée du documentaire… Soyons sérieux.

Où allez-vous chercher les films qui sont programmés au FID ?

Il n’y a heureusement pas de pépinière, pas de filon. Il y a beaucoup de films éparpillés. Cela demande beaucoup d’attention au moment de la présélection. Il faut être rigoureux et montrer de l’intérêt même pour les films qui n’arrivent pas casqués, en armures… Je veux dire des films qui ne sont pas forcément parfaits… Moi, je suis attentif à des films qui sont en train de naître, quand je vois quelqu’un derrière le film.

Par exemple, je vais montrer cette année un film qui est uniquement construit à partir d’une caméra de surveillance et où il n’y a qu’un seul geste de montage. Je peux vous dire que cette œuvre, 4 bâtiments face à la mer (de Philippe Rouy), c’est du costaud !

Les films sont partout. En même temps, il y a un continent, l’Afrique noire, où c’est très difficile. Tout ce que je reçois de là-bas, ce sont des produits standardisés. Ça demanderait que je dépêche quelqu’un sur plave, ce qui supposerait plus de budget parce que c’est cher de passer beaucoup de temps à se balader et trouver des films.

4 bâtiments face à la mer (Philippe Rouy)

Ce n’est pas justement une question de budget… Il y a des films désormais qui sont réalisés avec des téléphones portables… Que pensez-vous de ces nouveaux outils ?

Super ! Moi je suis contre le discours professionnaliste qui renforce encore la loi du « Comment doit-on faire un film ». Ces nouveaux outils facilitent économiquement les choses. Ces formats ont aussi leur propre vocabulaire, et permettent l’arrivée d’écritures très différentes. Ce sont des idiomes différents et j’y crois beaucoup. En art, je suis convaincu qu’il vaut mieux parler sa propre langue, et surtout pas une langue universelle.

Cela dit, je ne saurais pas vous dire si, parmi les les 2.500 films qui nous sont envoyés et les 500 que nous pistons à droite et à gauche, il y a une recrudescence de ce type de films. C’est vrai qu’on a eu des choses avec des jeux vidéos, ou utilisant le téléphone portable… C’est vrai que ça peut m’exciter, mais ce n’est pas cela que je cherche précisément.

Que pensez-vous du transmédia, du webdocumentaire ?

Le peu que j’en saisis ou que j’en vois, c’est l’ouverture à des espaces de diffusion et des espaces de diffusion augmentés. Il y a notamment un film, dans les Ecrans Parallèles, dont le thème est « Portrait(s)« , qui s’appelle L’Etat du moment, du Canadien Rodrigue Jean. Il s’est fait connaître avec un film qui s’appelle Hommes à louer, sur la prostitution masculine à Montréal. Ce dernier est constitué de courtes vignettes d’une dizaine de minutes, disponibles sur le net (wwww.epopee.me). Il a travaillé avec des personnes qui sont proches de cet univers de la prostitution masculine et il leur a demandé d’écrire des scenarios liés à leur expérience. Il les a ensuite tournés en prenant ces gens comme acteurs. (lire aussi la formidable analyse de Patricia Bergeron).

L’intérêt, c’est de ne pas s’être contenté de cette forme et d’aller vers le long métrage. Il a choisi un montage qui ne prend pas toutes ces vignettes, mais seulement une trentaine. Je trouve cela intéressant, qu’il y ait deux entrées.

Nous n’avons pas notablement plus de ces films dans la sélection, ce que je vois pour le moment est trop pris par la fascination de l’outil.

Et l’opportunité de l’interactivité vous intéresse ?

Non, pas plus que ça. Ce que j’ai vu ne m’a pas convaincu. Je dirais que pour tous les films une interactivité se créée. Je ne suis pas du tout un spectateur passif. Je ne crois pas à ce discours qui laisse croire qu’on est passif quand on regarde un film ou on écoute de la musique. Je me sens beaucoup plus libre et respecté face à une œuvre qui s’est calculée elle-même pour que je l’accueille, plutôt que face à une œuvre qui dirait « tu es mon égal, donc nous pouvons dialoguer ». Vous savez, on ne peut pas tout faire ! Moi, dès que j’ai un moment de libre, je vais au cinéma ou je lis. Je préfère l’interactivité de la lecture. Je suis un traditionnaliste…

Propos recueillis par Sacha Bollet

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