C’est une initiative plutôt rare et qui mérite d’être soulignée. Depuis plusieurs années maintenant, le Festival International du Film des Droits de l’Homme de Paris s’associe avec les Lucioles du Doc pour permettre à huit détenus et membres du personnel pénitentiaire d’élire un documentaire parmi une sélection de dix films. Lucas Roxo est parti à leur rencontre…
Le Festival International du Film des Droits de l’Homme, qui se déroule chaque année au Luminor-Hôtel de Ville à Paris, s’est achevé le 19 avril dernier après une programmation de qualité, mêlant documentaires, fictions et courts-métrages portant tous sur la question des droits humains. Comme chaque année, il s’est clôturé avec une remise de prix originale et riche de sens : celle du prix du meilleur film décerné par un jury de détenus et de membres du personnel pénitentiaire de la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis.
“Et je vous demande maintenant d’accueillir le jury des affranchis…”. À l’écoute de ce surnom, un groupe d’hommes avance en rang jusqu’à la scène, sous des applaudissements nourris. Alors que la cérémonie de clôture du FIFDH touche à sa fin, et qu’une multitude de prix a déjà été remise, ceux qui vont suivre ont une une saveur bien particulière. Sous les projecteurs, les détenus de la maison d’arrêt diffèrent quelque peu des précédents jurés, dans le fond comme dans la forme. Le groupe, constitué d’une demi-douzaine de participants, est à la fois gêné et fier, et récite son discours écrit pendant l’après-midi.
Cela fait maintenant deux mois que, chaque semaine, les détenus préparent ce moment, accompagnés d’une assistance sociale et d’une surveillante, au rythme de plusieurs séances hebdomadaires centrées sur le film documentaire. Et maintenant quatre ans qu’un jury rassemblant détenus et personnel pénitentiaire vient remettre, à chaque printemps, des prix lors du festival.
“Ces femmes nous ont rappelé nos tantes…”
Au micro, l’un des jurés prodigue les remerciements de circonstance, sans réussir à vraiment se départir de ses notes. “Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je prendrais la parole comme ça ”, me confiera l’un d’eux quelques minutes après la cérémonie. “J’avais le trac, t’as pas vu comment j’ai transpiré ?”, dit-il en riant sur le parvis du Luminor-Hôtel de Ville.
Il y a quelques instants, ils ont remis leur Grand Prix à Muchachas, de Juliana Fanjul, qui raconte le quotidien de trois employées de maison de la ville de Mexico et, plus largement, explore les rapports de classes entre employées et patrons. “Mais c’était serré !”, disent-ils. “Il y en a eu des débats !”. Le film de Juliana Fanjul semble pourtant les avoir ému plus que les autres, et ce pour une raison simple : il donne la parole à des femmes socialement conditionnées. “Ces femmes nous ont rappelé nos tantes, nos cousines, nos mères, qu’on honore parfois du titre de ‘techniciennes de surface’…”, expliquent-ils avec une pointe d’ironie.
La suite, c’est également une mention spéciale décernée à La mécanique des flux, de Nathalie Loubeyre qui, flattée, viendra les remercier sur scène : “C’est superbe que des garçons souvent stigmatisés comme ‘machos’ priment un film sur les femmes”, dit-elle. “J’ai hâte de les revoir dans une salle de cinéma, dès leur sortie”.
Une fenêtre vers le monde
Car une fois la cérémonie de clôture achevée, alors que les spectateurs se déversent à nouveau dans les rues parisiennes, les détenus, eux, rentrent à Fleury. Entre deux clopes rue du Temple, ils profitent de ces instants de liberté relative. Les discussions sont diverses : la prison bien sûr, mais aussi la politique française et, surtout, le cinéma documentaire.
La constitution du jury n’est en réalité que la dernière étape d’une série d’ateliers animés à Fleury, et qui a permis à la plupart d’entre eux de se forger une vraie culture cinématographique. “C’est une expérience humainement superbe”, explique l’un d’eux. “On a l’habitude d’être enfermés, et ça nous ouvre une fenêtre vers le monde, ça nous permet d’être en contact avec les gens”.
“J’ai toujours aimé regarder des films mais c’est la première fois que j’aborde le cinéma de ce point de vue-là : celui de l’auteur”, raconte un autre. “Et ça change tout de comprendre le travail pour trouver la bonne méthode, la recherche de la meilleure manière d’exprimer le réel ». D’autant plus, comme c’est le cas au FIFDH, lorsque les films ont un lien direct avec la liberté et ses formes de privation. “Ce qui m’a plu à travers ces films, c’est de voir que même quand on n’est personne, on peut se faire entendre. Même nous, qui avons parfois l’impression que nous n’avons pas le droit à la parole. L’important, finalement, c’est de connaître ses droits. Et le documentaire le permet”.
Au fil des discussions, il est aisé de comprendre à quel point l’expérience du cinéma documentaire les a bousculés, dans leurs habitudes carcérales comme dans certains de leurs a priori. “Au fil des ateliers, tout le monde a donné son point de vue, et on a changé d’avis sur plein de trucs !”, se réjouissent-ils. D’autant plus quand les ateliers deviennent des lieux de dialogues entre les détenus et le personnel pénitentiaire, et participent ainsi à établir un lien différent entre eux. “Mais ce n’était pas forcément évident. Parfois, Jojo il boudait quand on ne suivait pas… ”, plaisantent-ils.
Une respiration dans la routine carcérale
“Jojo”, c’est Jonathan Vaudey, qui anime l’atelier au nom des Lucioles du doc, association qui a justement pour objectif de permettre à des publics éloignés du documentaire de s’en saisir comme outil afin de s’emparer de questions de société. Ancien salarié du FIFDH, c’est lorsqu’il y travaillait que l’atelier a démarré il y a quatre ans, à un moment où le festival avait comme volonté de se tourner vers un public différent que celui que l’on peut voir traditionnellement dans ce genre d’événements.
“La première chose que j’ai remarqué avec ces ateliers, c’est que les gars ont une réelle soif de savoir. Il y a un très bon niveau de connaissance politique et une vraie envie de débattre”, explique-t-il. “Et justement, le fait qu’ils soient dans cette situation de détenus, ça a aiguisé leur position critique sur le sujet des droits humains”.
Chaque semaine depuis deux mois, Jonathan se rend donc à Fleury avec des films dans son sac à dos et, souvent, des réalisateurs qui l’accompagnent. La première séance sert d’initiation au cinéma documentaire. “C’est toujours un choc”, avoue-t-il. “C’est un cinéma qu’on connaît très peu, et on part donc de leur vision à eux, des différences qu’ils peuvent faire avec le reportage télévisuel, par exemple. On marque cette différence, et cela suscite directement un intérêt”.
“Faire des films ? On verra…”
Ensuite, ils visionnent ensemble les films qui sont en compétition au FIFDH, et débattent, souvent avec les auteurs. “C’est ce qui rend le processus hyper intéressant, puisque ça crée un vrai passage de l’extérieur de la prison vers l’intérieur”, raconte-t-il. Cette passerelle, qui fait écho à l’idée de « fenêtre » mentionnée par les détenus, est aussi là pour apporter une respiration. Et même si après le FIFDH la routine carcérale reprend ses “droits”, l’expérience a laissé une empreinte.
Quitte à créer des vocations ? “Ça m’a donné des idées, oui”, avoue l’un des détenus devant le Luminor. “Ça donne envie de voyager, d’échanger, de voir comment les gens vivent… Faire des films ? On verra… ”, sourit un autre. Dans un milieu carcéral qui connaît lui aussi ses dysfonctionnements, où la culture a une place minuscule et où les réductions budgétaires n’arrangent rien à l’affaire, cette ouverture vers l’extérieur a en tout cas apporté un souffle.
Et celui-ci a atteint son paroxysme lors de la cérémonie de clôture où, pour la plupart, c’était la première fois qu’ils sortaient depuis le début de leur peine. Alors quand à 23h la camionnette arrive pour les ramener à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, celle-ci vient refermer une parenthèse où se retrouvent mêlés le plaisir du documentaire et le goût d’une liberté retrouvée, le temps d’une soirée.
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