Le Blog documentaire s’intéresse ici à Frankie & Nikki, une série de courts portraits vidéos portée par deux réalisateurs français en Amérique du Nord. Ces portraits sont des films de fiction ayant l’apparence de films documentaires. Ou l’inverse. L’idée étant de jouer avec les codes de ces différents genres. Entretien avec les réalisateurs Clarisse Le Gardien et Raphaël Barthlen, depuis le Canada. Propos recueillis par Laure Constantinesco.
“Nous ne sommes pas intéressés par le fait de filmer le réel, nous voulons sublimer le quotidien”
Le Blog documentaire : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre projet, « Frankie & Nikki » ?
Raphaël : Frankie & Nikki, c’est une série de portraits vidéos entre réalité et fiction. Ce sont des lieux, des visages, un quotidien sur lesquels nous posons notre regard en laissant libre cours à notre imagination.
Peut-on parler de docu-fiction ?
Raphaël : Oui. Ces portraits sont des films de fiction ayant l’apparence de films documentaires. Ou l’inverse ! L’idée première était de jongler avec les codes de ces différents genres. Nous ne sommes pas intéressés par le fait de filmer le réel. Notre objectif est de sublimer un quotidien qui se veut avant tout poétique et sensible.
Clarisse : En fait, nous cherchons à embarquer le spectateur. Susciter son étonnement, qu’il s’interroge sur ce qu’il est en train de voir.
Comment est venue cette idée de portraits « fictionnels » ?
Raphaël : Ce projet est né de notre envie de travailler ensemble. Nous avons tous les deux des parcours très différents. L’année dernière nous avons décidé de quitter Paris avec l’idée de s’éloigner de tous nos repères, de prendre le large pour que rien n’entrave notre désir de créer et de produire ensemble. Une fois à Montréal, nous avons acheté notre matériel vidéo, une voiture, et nous avons pris la route… Après avoir réalisé quelques entrevues on ne peut plus classiques, l’idée des portraits fictionnels s’est imposée à nous progressivement.
Clarisse : Oui… Ce qui nous semblait important était de se servir des gens et de leurs histoires comme point de départ à l’écriture d’une fiction originale. Nous avions envie de nous impliquer davantage, et d’impliquer les différents protagonistes croisés sur notre route. C’est avant tout un travail créatif que nous voulions faire.
Quels sont vos références, vos modèles ?
Clarisse : Tellement de choses, que ce soient des films, des clips ou des romans nous ont influencé, c’est difficile de classer ça en « références ».
Raphaël : Grâce à Clarisse, la radio a aussi pris une grande place ces dernières années. Elle a travaillé pendant quatre ans à France Inter et m’a fait découvrir cet univers du son, auquel nous attachons une grande importance aujourd’hui dans nos vidéos. Avant tout, c’est l’ensemble de notre vécu qui a nourri nos réalisations, comme si des expériences avaient patienté un long moment en nous avant de se réveiller, de se révéler même, au contact d’une personne ou d’un endroit.
Clarisse : C’est fondamentalement la manière dont nous envisageons notre travail : attendre qu’une situation nous parle.
Raphaël : Par exemple, c’est en shootant des plans de Niagara Falls et de ces rues vides que je me suis mis à fredonner le générique de cette vieille série américaine The Twilight Zone. À partir de ce moment, le portrait s’est construit naturellement autour de ça…
Comment choisissez-vous vos « portraiturés » ?
Clarisse : Cela dépend… Une chose est sûre, c’est que nous provoquons au maximum les rencontres, et j’aime croire qu’elles ne sont pas dues au hasard…
Raphaël : Aucun des personnages de nos vidéos n’est comédien, et c’est ce qui nous intéresse en premier lieu. C’est aussi pour cela qu’aucun texte ne leur est imposé. Nous désirons qu’ils préservent au maximum leur naturel, leur ton… Les mots doivent rester les leurs. C’est parfois un pari un peu risqué, mais cela s’est avéré toujours payant ! Les gens jouent le jeu avec bonheur ! Ils ont une force de proposition qu’il faut même parfois contenir. C’est vraiment avec eux et grâce à eux que nous parvenons à créer le personnage qu’ils vont incarner à l’écran.
Clarisse : Certains nous demandent : « quand est-ce qu’on tourne la suite ? », d’autres nous disent qu’ils ont raté leur vocation ! Au final, ce qui reste de ce genre d’expérience, c’est surtout le moment que nous partageons ensemble. C’est très intense !
Passons au scénario du portrait : comment s’élabore-t-il ? L’écriture est-elle un travail commun, entre vous et le/la portraituré(e) ?
Raphaël : Il n’y a pas de règle, chaque portrait se construit différemment. Nous pouvons très bien avoir un scénario écrit à l’avance que nous adaptons avec le « portraituré ». Dans d’autre cas, le processus de création peut intervenir pendant le tournage ou encore au montage.
Clarisse : Chaque fois, c’est leur histoire personnelle qui est notre point de départ.
Par exemple, Devrim s’est impliqué totalement en se mettant à la recherche de répliques de films ayant un rapport avec le jeu. Nous avons ensuite décidé de mêler son vécu à ses références cinématographiques. Le but étant de faire en sorte que certaines répliques semblent être son histoire. C’est vraiment l’idée d’un échange qui nous importe avant tout. Nous cherchons et testons ensemble. Nous avons également des scénarios déjà écrits qui n’attendent que la bonne personne, l’improbable rencontre… Celle qui finit toujours par arriver !
Combien de temps cela prend-il de réaliser un portrait ?
Clarisse : Entre la rencontre et le tournage, on peut dire que cela va très vite. Un portrait nous prend au maximum une journée de tournage.
Raphaël : C’est important que ça aille vite, que la personne ne ressente pas l’enjeu du tournage.
Combien cela coûte-t-il de réaliser un portrait ?
Clarisse : Jusqu’à présent, nous avons autoproduit notre projet. C’est difficile de chiffrer mais nous sommes une petite équipe, Raph et moi… Finalement, nous avons transformé le fait de ne pas avoir beaucoup d’argent à investir dans le projet en une contrainte positive pour la création.
Raphaël : En effet, nous nous adaptons à l’environnement des comédiens : leurs cadres de vie deviennent nos décors. Même principe pour la lumière, les vêtements et accessoires.
Quel matériel utilisez-vous et pourquoi ?
Raphaël : Nous utilisons un Canon 5D mark II. Cela permet de créer une image cinématographique, tout en laissant libre cours à la spontanéité du documentaire. J’aime cette inévitable recherche du point à chaque mouvement de caméra ou du sujet qui nous fait exister derrière la caméra.
Avez-vous d’autres projets en parallèle ou à venir ?
Clarisse : En ce moment, nous travaillons avec deux classes de 5ème du collège Jean Corentin Carré, en Bretagne. Ils étudient le récit de voyage cette année. Nous leur avons donc proposé d’écrire des histoires que nous réaliserons par la suite. Il y a quelques jours, nous en avons terminé la construction avec eux via Skype. Nous allons les tourner avec ce même principe de faire participer des gens rencontrés sur notre route.
Raphaël : On développe également un programme court. Nous comptons tourner les premiers épisodes une fois de retour à Paris.
Un peu de « teasing » : avez-vous d’autres portraits en cours de tournage ou de repérage ?
Raphaël : Nous sommes en permanence en cours de tournage, ou du moins de repérage ! Où et quand, ça n’est pas vraiment le problème, mais qui dit « comment » se doit de parler du nerf de la guerre : le financement…
Alors dans vos rêves les plus fous, que voudriez-vous que « Frankie & Nikki » devienne ?
Raphaël : Que ça continue avec une production!
Clarisse : Tourner une nouvelle série de portraits en France et pourquoi pas ensuite développer Frankie & Nikki à l’international ? J’aimerais continuer d’entendre nos histoires racontées dans d’autres langues, et parcourir d’autres pays. En ce moment, j’ai très envie de tourner en Roumanie et au Japon.
Propos recueillis par Laure Constantinesco
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