Ce n’est pas un film qu’il est très facile de voir sur lequel s’arrête ici Le Blog documentaire, mais « Il Refugio » mérite le détour. Film quasiment autoproduit par Francesco Cannito et Luca Cusani, il relate le destin de plusieurs demandeurs d’asile en Italie. Entretien ici avec l’un des deux auteurs du documentaire, réalisé par Chiara Rubessi, qui a également signé un bel article sur ce film, intitulé « Une vie suspendue » et publié sur le blog du GRHED.
Depuis le début de l’année 2011, en raison de la situation en Afrique du Nord, plus de 50.000 personnes ont débarqué par bateau vers l’île italienne de Lampedusa.
13.000 d’entre eux ont été renvoyés en Afrique, 15.000 ont obtenu le statut de réfugié, tandis que 22.000 ont été accueillis dans des structures inadéquates, en attendant la reconnaissance du statut de réfugié. 116 de ces personnes sont hébergées pendant plus de quatre mois dans un hôtel isolé sur le sommet des Alpes italiennes. Ils sont complètement isolés du reste du monde et ils ne savent pas s’ils seront expulsés ou enfin reconnus. Ils vivent une vie suspendue alors que l’hiver est à venir et que le danger pour leur sécurité augmente. (Bande annonce en bas de page)
Chiara Rubessi : Est-ce que vous pouvez nous en dire peu plus sur vous et sur votre maison de production ?
Francesco Cannito : Diwan Film, fondée en 2008, est une société de production basée à Milan, en Italie. Diwan est spécialisée dans la réalisation des documentaires, moyens et longs, sur des questions sociales, politiques et écologiques. Les films sont réalisés en Italie et à l’étranger.
Qu’est-ce qui a suscité l’idée et surtout l’envie de réaliser ce film documentaire ? Qu’est-ce qui a motivé le projet de « Il Rifugio » ?
Le documentaire s’inspire d’un fait divers relaté en juillet 2011 dans le journal « La Repubblica ». Un groupe de réfugiés politiques, des demandeurs d’asile provenant d’Afrique, ont été hébergés dans un hôtel touristique isolé et abandonné, situé dans les Alpes italiennes. Cette histoire a bien évidemment attisé notre curiosité.
Nous nous sommes rendus à l’hôtel pour tourner une petite vidéo de vulgarisation pour l’association « Naga », de Milan – c’est le bureau qui s’occupe du droit à la santé et de l’assistance juridique pour les demandeurs d’asile politique. La situation nous a tellement frappés que nous avons décidé de réaliser un documentaire sur la vie et la condition (également climatique!) de ces réfugiés. En outre, le lieu était très suggestif et visuellement fort. C’est ainsi que nous avons suivi l’histoire de ces réfugiés au fil du temps, en venant les filmer une fois par semaine.
Avez-vous écrit un scénario pour ce film ?
Nous sommes partis, mon co-auteur et moi, avec les grandes lignes d’un scénario qui ont évolué pendant le tournage.
Le documentaire a d’ailleurs eu un premier titre, Overlook Hotel, en hommage à Shining de Stanley Kubrick. L’idée initiale consistait à raconter l’histoire d’un groupe de réfugiés politiques placés à l’intérieur d’un hôtel situé dans les Alpes. Nous voulions décrire un monde clos et confiné au sommet d’une montagne, loin de tout, avec l’intention de filmer deux univers en parallèle : l’hôtel comme logement pour les réfugiés et l’hôtel comme lieu de vacances.
Nous pensions tourner jusqu’en décembre ou en janvier – mois de la pleine saison touristique. J’ai d’abord pensé que ce tournage n’allait durer que quelques semaines mais, suite à une protestation des réfugiés contre le manque de protection et d’activités organisées (que nous avons eu la chance de filmer), les autorités se sont déplacées sur place et ont décidé de trouver une autre solution. Nous avons donc décidé de poursuivre le tournage et de suivre le chemin de trois membres du groupe jusqu’à la fin du mois de mai 2012.
Comment avez-vous géré le fait de passer à un autre scénario à la moitié du tournage ?
Nous avons pensé à ajouter au premier chapitre, qui se déroule à l’hôtel, une deuxième partie pour raconter la tentative d’« intégration » et les efforts effectués dans cette optique. Cette nouvelle narration devait nous conduire à la présentation des demandes d’asile politique à la commission ad hoc pour connaître, finalement, qui parmi les réfugiés obtiendrait ce statut pour rester en Italie.
Ce changement en cours laisse-t-il une place à l’improvisation ou nécessite-t-il encore plus de rigueur ?
Ce bouleversement nous a permis de construire plus rigoureusement le deuxième chapitre du documentaire, avec plus de temps aussi. Notre scénario est devenu plus structuré autour des histoires d’Edobor, de Mustafa et de Prince. Ce deuxième chapitre se déroule d’ailleurs dans trois villes différentes de la plaine lombarde. Ensuite, nous n’avons plus touché au scénario, et au montage, nous avons utilisé les rushs correspondant à 6 semaines de tournage environ (en janvier et février, en mars, puis en juillet 2012).
Comment avez-vous choisi les trois personnages principaux du documentaire ou, plus exactement, les personnes réelles devenues personnages? Comment avez-vous travaillé avec eux ?
Les personnages ont été principalement choisis en fonction de leur disponibilité, mais aussi peut-être au regard de leur envie et de la nécessité pour eux de vouloir raconter leur histoire. Prince, Mustafa et Edobor nous ont aussi permis de développer trois situations personnelles très différentes.
Finalement, ce film suit une trajectoire précise qui s’est construite au fur et à mesure : dans la première partie, il y a un collectif, tandis que dans la seconde partie nous nous focalisons sur trois “voix humaines”, dissemblables les unes des autres.
Pensez-vous que « Il Rifugio » constitue un geste politique ?
Je pense que le documentaire est une excellente façon de décrire et de dénoncer des situations sociales cachées ou invisibles.
En tournant ce film, je me suis plongé dans une réalité très concrète, que j’ai essayé de montrer à partir de ma propre expérience de réalisateur mais aussi à partir de mes propres sentiments. Je crois que l’engagement personnel est indispensable pour transmettre une histoire. Lors du montage, j’ai essayé de faire émerger de ma mémoire affective certains chocs que j’ai pu éprouver au cours du tournage.
Comment avez-vous produit ce documentaire ?
Le documentaire a été autoproduit par Diwan Film, comme la plupart de mon travail. Nous avons un bon équipement technique, et nous sommes autonomes de ce point de vue. Nous avons essentiellement payé les déplacements, et nous dormions à l’hôtel, avec les réfugiés.
Quelle sera la prochaine étape pour « Il Rifugio » ?
Nous avons envoyé le documentaire à plusieurs festivals. Malheureusement, celui de Turin ne l’a pas accepté. La première projection en salle a été réalisée pour les réfugiés.
Avez-vous d’autres projets de films ?
Je suis actuellement en train de monter un nouveau documentaire sur l’histoire d’amour entre deux personnes mentalement handicapées, qui se déroule en Italie. Une fille et un garçon qui se connaissent depuis longtemps et qui vivent ensemble. Seulement, il y a un obstacle : la loi italienne ne permet pas à deux personnes mentalement handicapées de cohabiter. J’ai aussi un projet en préparation sur la danse populaire « Isicathamiya », ce qui me permet – toujours avec Luca Cusani – d’enquêter sur l’Afrique du Sud post apartheid.
Propos recueillis par Chiara Rubessi
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Le film va t il sortir en salle quand même ?
Excellente question !… Sans réponse à ce jour.