« Incipit », c’est la série d’articles multimédia du Blog documentaire réalisés en partenariat avec la SCAM. Comment, à l’entame des premières minutes de son montage, un cinéaste va-t-il « accrocher » son spectateur ? Mosco Levi Boucault est le quatrième cinéaste à se plier à cet exercice délicat de commenter le début de l’un de ses films.
Il se trouve que ce film, quarante années bientôt après sa réalisation, trouve un écho étonnant avec l’actualité. À l’heure où pourraient entrer au Panthéon les époux Missak et Mélinée Manouchian, le documentaire « Des ‘terroristes’ à la retraite », justement centré en grande partie autour de ces deux résistants étrangers communistes et fondateurs du « groupe Manouchian », nous semble le moyen idéal pour connaître le parcours de leur engagement au sein de la résistance à l’occupant nazi.
En juillet dernier, le Blog documentaire mettait à l’honneur avec un podcast le dernier documentaire de Mosco Levi Boucault, Mafioso au cœur des ténèbres. C’est donc cette fois-ci en vidéo que nous poursuivons notre valorisation affective et cinéphile de la filmographie de ce grand réalisateur, avec le titre inaugural de toute son œuvre.
Le cinéaste s’est ainsi prêté à l’exercice de commenter les premières minutes de son propre film, et de notre côté nous avons monté ses propos en off sur les plans introductifs de son montage – montage que nous avons légèrement modifié pour la clarté du propos (clarté si chère au cinéaste en question, qui plus est).
Un titre surprenant et détonant ; un groupe méconnu – ou si mal connu – de la Résistance française à l’occupation nazie, le groupe « Manouchian » ; une légendaire « Affiche rouge » ; un poème d’Aragon le communiste adapté en une sublime chanson par Léo Ferré l’anarchiste ; des actes violents reconstitués à l’écran par d’anciens résistants aujourd’hui anonymes ; deux voix différentes pour un même commentaire ; des archives de propagande réalisées à l’époque par les nazis : c’est par ce cocktail explosif de différents éléments assez dissemblables que démarre ce film documentaire. Comment rendre lisible tout cet appareillage d’images et de sons en quelques minutes ? Comment leur donner un sens qui ne soit ni ennuyeux ni nébuleux? Comment capter l’attention du spectateur, et spécialement du spectateur non-spécialiste, non-cinéphile, ce « voisin à la campagne qui rentre chez lui le soir et allume la télé », comme le décrit Mosco ? Voici les enjeux qui attendaient le réalisateur au moment où il entamait le montage de son chef d’oeuvre (le premier d’une longue série, à notre avis). Voici donc pour quelles raisons, en découvrant les premières minutes de Les « terroristes » à la retraite, nous avons d’emblée voulu savoir comment le cinéaste avait procédé pour si bien y parvenir.
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Citons pour finir Thierry Garrel, l’ancien directeur des documentaires de La Sept et d’ARTE France entre 1987 et 2008, avec l’hommage qu’il a rendu en 2020 à Mosco Levi Boucault :
« Comme tout documentariste, Mosco est un peintre du paysage humain. Mais plus encore que par la dimension sociale ou politique, il est avant tout passionné par les paysages moraux, habité par une curiosité insatiable de ce qui fait marcher les hommes, la pureté de leurs engagements comme la noirceur de leurs turpitudes. Que font les hommes confrontés aux situations extrêmes ? Comment franchit-on la ligne de la loi et au nom de quelles valeurs ? Comment vit-on avec la charge de ses actions passées ou des blessures subies ? Peut-être cherche-t-il ainsi à se représenter lui-même ce qu’il aurait ressenti, ce qu’il aurait fait ou pas fait, s’il avait été un de ses personnages… »
Des « terroristes » à la retraite est visible, à l’heure où nous publions cet article, en VOD sur le site de La Cinetek et sur la boutique d’ARTE.
Benjamin Genissel
Au montage : Virgile Guihard