« Incipit », c’est la série d’articles multimédia du Blog documentaire qui s’intéresse au début des films. Comment, à l’entame des premières minutes de son montage, un cinéaste va-t-il « accrocher » les spectateurs ? Aujourd’hui, c’est d’une œuvre bien connue du grand public dont il s’agit. Mais l’est-elle réellement ? Nicolas Philibert est le sixième cinéaste à se plier à cet exercice délicat de commenter le début d’un de ses films.
On parle d’un avant et d’un après « Être et avoir ». Pour le secteur du cinéma documentaire, le film de Nicolas Philibert a constitué une rupture. Avant : un paysage cinématographique assez désolé pour le genre documentaire. Après : son renouveau dans les salles. Dans le podcast que nous avions consacré à l’association « Documentaire sur grand écran », sa présidente Annick Peigne-Giuly le disait clairement : dans le milieu du cinéma, l’image du documentaire s’était considérablement bonifiée à l’automne 2002.
Sorti à la fin août de cette année-là, Être et avoir aurait atteint, pas à pas, les 1 820 000 entrées (selon un calcul d’Allociné datant de 2016). Un succès remarquable pour un film non-animalier. De fait, c’est l’un des documentaires français les plus populaires auprès du grand public. Trop connu, trop culte peut-être ? Vu l’ampleur du triomphe, à quoi bon se pencher encore dessus, pourra-t-on se demande r? Il se trouve qu’en le visionnant à nouveau, Le Blog documentaire a vu dans son incipit une façon bien plus étonnante de commencer un film qu’on aurait pu l’imaginer.
Si nous l’avions lu à l’époque, nous aurions pu d’ailleurs être aiguillés sur cet étonnant démarrage par ce qu’en écrivait Jacques Mandelbaum dans le catalogue de la rétrospective Nicolas Philibert à la BPI-Centre Pompidou qui s’était tenue en novembre 2009 :
« Le film s’ouvre sur quelques touches atmosphériques qui le situent entre chronique paysanne et conte de noël. Un troupeau de vaches sous la neige. Deux tortues en balade dans une salle de classe vide, le cou tendu vers une mappemonde. Des sapins sous les frimas, sombres géants agités par le vent ; passe à toute berzingue la camionnette scolaire. Dedans, le visage d’une fillette d’origine asiatique collé à la vitre embuée. Le ramassage commence. Et la classe à sa suite, chaude, calfeutrée, comme à l’abri du temps qui passe et de la vie qui presse […] ».
Effectivement, comment déjouer les attentes du spectateur s’apprêtant à découvrir un documentaire sur la classe unique d’une petite école rurale ? Pourquoi ne pas le commencer par la rentrée scolaire ? Pour quelles raisons montrer un troupeau de vaches en guise de premier plan et attendre plusieurs minutes avant de nous plonger dans la salle de classe avec les élèves ? C’est quoi ce côté « conte de noël » ? Nous prévenons les spectateurs de cet Incipit : vous n’aurez pas forcément ici toutes les réponses à ces questions-là, comme à d’autres ; Nicolas Philibert ayant pour goût les bienfaits du hasard et comme principe de refuser les explications rationnelles. Mais au moins, nous aurons tenté de donner quelques clés de compréhension filmique à une œuvre majeure du cinéma documentaire…
Merci aux Films d’ici, aux Films du losange et à Noir lumière.