Suite de cette nouvelle initiative sur Le Blog documentaire, qui part à la rencontre d’un jeune auteur de films documentaires. Pourquoi se lance t-on dans pareille aventure ? Comment se construit une filmographie ? Quelles rencontres, quels hasards jalonnent la carrière d’un cinéaste en devenir ?
A l’occasion de la réalisation de son quatrième long-métrage, Pierre-Nicolas Durand nous propose ce carnet de route écrit tout au long de sa nouvelle aventure. L’occasion pour lui de nous faire partager ses expériences précédentes… Deuxième épisode.
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Comme je l’écrivais précédemment, faire un documentaire par tous les moyens, aussi modeste soit le résultat final, c’est avoir quelque chose à montrer plus tard. Durant les deux années qui ont suivi la fin du montage de It’s not a gun en 2006, j’ai essayé sans succès de réaliser un nouveau documentaire. Il s’agissait du portrait d’un chauffeur de taxi Palestinien qui était devenu un grand ami : Kamal (son prénom et le titre du projet). Une société de production était intéressée et je pense vraiment qu’elle a tout fait pour mener ce projet à bien, du contact avec les diffuseurs ou le CNC en passant par des financements plus originaux comme la Bourse de la Fondation Lagardère. Mais rien n’y fit, le temps passa et Kamal changea de métier.
Ne vivant pas de documentaire et d’eau fraîche, je commençais en parallèle une carrière d’assistant monteur puis de monteur pour des projets très variés qui m’ont petit à petit permis de gagner ma vie sans me reposer seulement sur la réalisation. Cela a mis du temps et les débuts ne furent pas synonymes d’opulence. Je n’avais aucune famille à Paris et encore moins dans ce milieu, mais j’ai toujours pu compter sur le soutien sans faille d’amis qui travaillaient dans le même domaine et qui ont tout fait pour me donner des opportunités. Ils se reconnaîtront…
De son côté, ma co-réalisatrice Hélèna Cotinier s’était lancée avec succès dans l’assistanat de réalisation sur des tournages de fiction. A cette époque, elle a pu travailler sur le tournage d’un film de Claude Miller : Un Secret.
Je ne peux raconter ce à quoi je n’ai pas assisté. Mais je sais qu’Hélèna a parlé de notre premier documentaire au réalisateur de Garde à Vue et de L’effrontée et qu’elle lui en a donné une copie. Cet événement allait changé ma vie.
Un beau jour du début d’année 2008, Hélèna m’appelle pour m’annoncer que Monsieur Miller souhaite nous rencontrer dans son bureau de la Fémis, fameuse école de cinéma parisienne dont il était alors le président. Je vous laisse imaginer l’excitation qui était la nôtre et les questions que nous nous posions. Le jour du rendez-vous arriva, et je vis pour la première fois Annie et Claude Miller sans savoir de quoi nous allions parler.
Annie et Claude étaient tous deux des passionnés de l’Amérique et ils avaient l’idée de réaliser un documentaire sur les fanfares universitaires américaines : les « marching bands ». Ils avaient beaucoup apprécié Block Party, le film de Michel Gondry dans lequel une de ces fanfares apparaissait et ils pensaient que c’était un bon moyen de dresser un portrait de la jeunesse américaine. L’idée était de tourner en immersion dans deux universités différentes de l’état de Virginie, l’une historiquement afro-américaine et l’autre une des plus anciennes et prestigieuses du pays. A cette période, les Etats-Unis allaient vivre une nouvelle élection présidentielle (Hillary Clinton et Barack Obama se battaient toujours pour remporter l’investiture démocrate) et ce projet devait raconter cet événement historique par le prisme de ces étudiants musiciens. C’était un long-métrage de Claude, produit par Annie, distribué par les Films du Losange, co-réalisé par Hélèna et moi… si nous acceptions leur offre. Car à la fin de la réunion, Annie et Claude nous ont donné une semaine pour réfléchir et donner notre réponse. Comme si l’éventualité de refuser une telle opportunité pouvait nous effleurer l’esprit !
Quelques semaines plus tard, je me retrouvais avec Annie dans une voiture arpentant les routes de Virginie à la recherche des universités qui pourraient faire l’affaire. Universités que nous avons d’ailleurs trouvées très rapidement : VSU (Virginia State University) et UVA (University of Virginia). Les deux établissements avaient des points communs et des différences, et leurs marching bands respectifs traduisaient cet état de fait. Les deux fanfares partageaient le sens de l’honneur, la discipline et la camaraderie, mais elles avaient des musiques, des ambiances, des âmes différentes.
L’histoire de la fabrication de ce film, des trois mois de tournage à la toute fin de la post-production, appartient à ceux qui l’ont vécue et ces quelques lignes n’ont pas pour objet de la dévoiler. A titre personnel, Marching Band a été une expérience à la fois extraordinaire et très difficile, où certaines de mes certitudes ont été complètement ébranlées alors que d’autres sont apparues. Les retours très positifs que nous avions reçus avec It’s not a gun m’ont sans doute donné trop de confiance quant à ma capacité à utiliser le réel « tel qu’il est » pour en faire un film. Les repérages aux Etats-Unis avaient été très succincts car il nous fallait filmer au début de l’année universitaire et nous ne pouvions attendre un an pour y assister avant de filmer. Le tournage s’est donc déroulé de paire avec la découverte d’un monde qui m’était totalement inconnu et au sein duquel nous devions trouver une histoire à raconter. C’était aussi la première fois que je travaillais avec un chef opérateur, en l’occurrence le talentueux Luis Armando Arteaga, qui a d’ailleurs eu beaucoup de poids dans la réalisation du film. J’avais commencé à réaliser en filmant moi même, et ce tournage américain m’a montré que j’avais besoin d’avoir la charge de l’image pour trouver ma place, que la mise en scène du réel était chez moi indissociable de l’oeil dans la caméra.
Marching Band ne fut pas un long fleuve tranquille mais une expérience très riche en leçons. Ce film est une grande chance qui m’a été offerte et dont il a finalement été difficile d’être à la hauteur. Il m’a permis de m’ouvrir aux Etats-Unis, de rencontrer des gens formidables tant dans l’équipe que chez les protagonistes, de suivre les étapes de fabrication d’un long métrage pour le cinéma, d’apprendre sur moi-même, sur les relations humaines en général et bien d’autres choses encore.
Marching Band est sorti en salle le 5 août 2009. Le 4 avril 2012, Claude Miller s’éteignait. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai appris la disparition de cet homme qui a fait confiance à deux jeunes inconnus pour réaliser avec lui le seul documentaire de sa filmographie. Claude était un passionné de cinéma, un homme modeste qui avait pourtant une belle carrière derrière lui. Il avait le goût de la transmission, ce qui est selon moi une qualité aussi grande que rare et je lui en serai toujours reconnaissant, à lui comme à son épouse.
Si un premier documentaire et une très bonne étoile m’avaient amené à travailler sur un deuxième film, je me demandais bien dans quelle mesure je pourrais mettre à profit ces expériences dans un nouveau projet. Une chose était en tout cas certaine : la volonté d’être le seul maître à bord pour avoir le coeur net sur mes capacités à réaliser.
Il me fallait donc trouver un nouveau sujet, une nouvelle opportunité, de nouvelles rencontres qui m’amèneraient à réaliser un troisième film. Je vous propose de retrouver le prochain carnet de route pour connaître cette nouvelle histoire et savoir pourquoi j’écris ces lignes non plus d’un hôtel de Kinshasa comme le dernier carnet mais dans un avion qui m’amène de la République Centrafricaine à Madagascar.
A suivre…
Pierre-Nicolas Durand
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