[Mise à jour : 12 septembre 2013]
Première projection de la saison co-organisée par Le Blog documentaire et l’association L’autre écran à Paris. Rendez-vous ce vendredi 13 septembre à 20h à la salle Jean Dame autour de « La Vierge, les Coptes et moi ». La soirée sera ponctuée d’un débat avec le réalisateur Namir Abdel Messeeh, animé par Nicolas Bole.
Le brouillage des repères entre réalité et fiction est devenu un poncif, à l’heure des fictions transmédia qui investissent les moindres espaces de création web. Mais « La Vierge, les Coptes et moi » montre que le documentaire « traditionnel » continue de questionner cette frontière, en dépit de la linéarité du récit. Car une fois plongé dans le noir de la salle de cinéma, le spectateur du film de Namir Abdel Messeeh se trouve saisi du doute délicieux : est-ce pris sur le vif ? Est-ce joué ? Et ce qui est scénarisé est-il moins vrai pour autant ? Des questions avec lesquelles le réalisateur s’amuse dans l’idée d’un jeu revendiqué avec le spectateur pour mettre en lumière l’illusion du cinéma à laquelle nous nous évertuons à croire. Exercice d’une rare finesse qui n’oublie pas d’être un spectacle, « La Vierge, les Coptes et moi » parle autant de la croyance religieuse que de l’art, magique, du récit. Rencontre avec Namir Abdel Messeeh, qui évoque autant Marcel Ophüls que « Borat », « Surprise sur prise » ou Lars Van Trier…
Le Blog Documentaire : Comment s’est déroulée la sortie du film ? Vous l’avez accompagné en participant à des débats ?
Namir Abdel Messeeh : Le film est sorti en août 2012, et il a tourné jusqu’en janvier de manière régulière dans les cinémas. Il est aussi sorti en Allemagne début juin et j’y suis allé pour accompagner les projections. Pendant les quatre mois de promo en France, j’ai du participer à 80 ou 90 débats sur le film. Pour des documentaires comme le mien, peu porteurs sur le papier, l’accompagnement est essentiel. Même si c’est crevant d’aller dans une ville différente chaque soir, de répondre à des questions qui sont à peu près les mêmes ! Il n’y a pas longtemps, je regardais Jean-François Copé à la télévision : il animait un débat dans une ville puis dans une autre le lendemain. Il avait la même passion, la même énergie. Je me suis dit : « Ce mec est un pro » ! Pour les débats, c’est la même chose : un peu comme un acteur, il faut faire comme si c’était le premier débat. Parce que si tu as l’air blasé quand les spectateurs te posent une question, ça ne fonctionne pas !
Quelles sont les questions que l’on vous pose le plus souvent ?
Beaucoup portent sur la situation en l’Égypte, sur les Coptes, les rapports qu’ils entretiennent avec les musulmans. Beaucoup aussi sur le scénario : est-ce que c’est écrit, improvisé, est-ce que ce sont des acteurs ou de « vrais gens » qui sont dans le film ?… La frontière entre fiction et réalité et la forme du film intriguent. Et quand le débat se passe plutôt mal, c’est : qu’est ce que vous avez voulu dire dans votre film, quel est votre message ? Dans ces cas-là, on sait que le film n’a pas été très apprécié !
C’est étonnant la façon dont on sent l’envie chez les spectateurs de croire à la vérité, notamment dans la scène de la projection à la fin du film. Pour certains, c’est comme si la présence d’une mise en scène semait le doute ou sonnait faux. Quand je leur explique que des séquences ont été écrites, pensées, je sens une déception chez ceux qui voient la mise en scène comme un mensonge. Le documentaire touche quelque chose d’assez juste dans la croyance des spectateurs. A l’instar du film, dans lequel les Coptes que je filme veulent croire à l’apparition de la Vierge, les spectateurs veulent croire de manière naïve au côté « vrai » du film, au fait que c’est saisi sur le vif, même si tout indique qu’il y a mise en scène.
Est-ce qu’on vous dit, du fait qu’il y a de la fiction dans le documentaire : « on dirait presque un film » ?
Tout le temps ! « On dirait un vrai film« , je l’ai entendu très souvent. Pour beaucoup, il y a les films d’un côté et les documentaires de l’autre. Et ce documentaire ressemble à un film. D’autres voient vraiment le film comme une fiction, cela ne leur pose pas de problème car cela leur paraît évident que le film est une fiction, avec un scénario, des acteurs…
Pourtant c’est bien un documentaire ! L’histoire du producteur qui vous lâche, par exemple, est bien vraie ?
Oui, même si elle est mise en scène, rejouée, avec la voix du monteur. Le film mélange des registres différents : des captations documentaires sur le vif, des archives, de la fiction pure avec un scénario découpé en séquences, mais aussi ce que j’appelle de la « provocation documentaire ». En gros : jeter une boule puante pour filmer les réactions. C’est ce que j’ai fait en organisant une projection dans le film. Cela m’a fait penser aux émissions « Surprise sur prise » ou « Caméra cachée » que je regardais quand j’étais jeune : cette façon de piéger les personnages en leur proposant quelque chose, sans qu’ils sachent que ce que tu filmes est en réalité autre chose que ce qu’ils croient que tu filmes. Il s’agit d’une manipulation gentille, faite dans un esprit ludique pour arriver à les filmer tels qu’ils sont. Le but n’est pas de les trahir. C’est ce que j’ai fait notamment avec ma mère. Tous ces registres sont imbriqués pour raconter une histoire.
Lorsque vous organisez cette projection à l’intérieur du film pour les habitants du village, ils donnent quelque chose qu’ils ne donneraient pas en documentaire si vous expliquiez votre démarche ?
Oui, et il y a aussi des moments où la magie opère. Cela peut être le cas d’une scène écrite dans laquelle il se passe quelque chose, un personnage qui vient se mettre dans le cadre pile à la place où il faut. C’est ce que j’appelle la « magie du documentaire ». Mais tout cela rend l’ensemble difficile à définir. Car c’est aussi un film qui réfléchit en permanence sur le genre lui-même, sur le cinéma.
Filmer l’acte même de filmer, c’était pensé en amont ? Un peu comme Emmanuel Carrère sur Retour à Kotelnitch ou Agnès Varda ? D’où vient cette intention ?
Moi-même, je ne sais pas trop ce que je fais ! Plus je creuse, moins je sais. L’origine de l’origine de ma démarche, je la découvre peu à peu, a posteriori. Mais au début, je crois qu’il y a l’envie simple de filmer des membres de ma famille, et la question de comment parvenir à les filmer.
Pendant que j’étais à la Fémis, j’étais parti en Egypte et je les avais déjà filmés dans leur quotidien. Des choses simples : la préparation du pain, le travail dans les champs, l’irrigation, la messe… Au montage, Catherine Zins, la directrice du département montage, m’a dit : »on ne peut pas monter ça, tu n’es pas dedans, on ne sent pas de point de vue, pas de film« . J’étais très perturbé car je ne comprenais pas ce qu’elle disait. Et en même temps, je sentais bien que mes images n’étaient pas montables, qu’il était impossible de dire autre chose d’autre que ce qu’elles disaient, c’est-à-dire la vie quotidienne. Quand j’ai eu envie de nouveau de filmer ma famille, je me suis demandé par quel biais le faire pour faire un film. L’enquête sur les apparitions de la Vierge, c’est un prétexte, un fil à tirer pour aller filmer dans ma famille. Et au bout d’un moment dans le film, ce prétexte ne suffit même plus car ma famille ne m’en dit pas grand-chose. Alors je créé un autre prétexte avec cette apparition de la Vierge. Mais si on y réfléchit, cela n’a aucun sens : en aucune manière, mettre en scène une apparition de la Vierge dans le village ne résout la question de ces apparitions. Il n’y a pas de lien entre les deux, si ce n’est de se dire : « c’est un réalisateur qui a 30 idées à la seconde et qui ne sait pas où il va« .
Il y a fausse naïveté dans votre démarche ? Cet écran de fumée que constitue l’histoire de ce tournage de fiction dans le film, c’est ce qui permet de franchir le Rubicon, de continuer à suivre votre intention ?
Quand tu arrives à ce moment du film, les gens se disent : « mais où est-ce qu’il veut en venir ?« . Je les emmène vers un endroit qui n’est pas celui vers lequel je les ai menés au début. Il y avait un risque de perdre les spectateurs, et nous avons énormément travaillé avec le monteur pour que la transition fonctionne, alors que ce n’est pas du tout cohérent au départ. C’est par un artifice de l’écriture que nous faisons basculer le film. Je deviens alors un personnage, très fictionnel, à ce moment-là, en construisant l’image d’un type qui ne sait pas où il va. Nous avons travaillé le montage de façon à ce que le spectateur, même si ce n’était pas logique, ne se pose pas la question de savoir pourquoi le réalisateur a fait ce choix.
Est-ce un rôle difficile à endosser ? Alors qu’il y a une maîtrise, une mécanique très fine dans la narration, cela ne vous a pas gêné de passer pour celui qui ne savait pas ce qu’il voulait ?
Non, ça ne m’a pas gêné. Je joue ce rôle tout le temps dans la vie… Et je suis réellement naïf, j’adore tirer sur la corde. Ma mère, ça la rend folle parce que je joue au con en lui posant des questions qu’elle ne veut pas que je pose ! (rires) Des spectateurs de La vierge, les Coptes et moi ont eu le sentiment que le film était très spontané. D’où les questions et la déception quand ils se rendent compte qu’il y a un artifice. Un homme est même venu me voir après un débat, il m’a dit : « j’ai détesté le débat, cela ne m’a rien apporté mais j’ai beaucoup aimé le film et je vais oublier le débat pour rester sur cette impression. Je n’ai pas envie qu’on m’explique, ni comment, ni pourquoi, car vous enlevez tout ce qui fait la beauté du film« . D’une certaine manière, j’étais d’accord avec lui.
Cela pose réellement la question de la croyance. Ce monsieur vous dit : « laisse-moi croire »…
En tant que spectateur, je n’aime pas non plus beaucoup qu’on brise l’illusion. Quand je vois un film qui me scotche, je ne peux pas m’empêcher de me précipiter pour savoir comment le film a été fait. Et en même temps, cela enlève de la magie… Pendant mes études, je me rappelle que j’avais aimé une scène de baiser sur les Champs-Elysées. Je pensais que tout avait été pris sur le vif. Mais le chef opérateur qui était venu à la Fémis m’avait expliqué à quel point cela avait été compliqué à tourner : bloquer toute l’avenue, engager de nombreux figurants… Pour moi, ce n’était pas des figurants, mais des gens réels ! Et il m’avait répondu : « non, tu vois bien qu’ils ne regardent pas la caméra, que tout est préparé« . Sur le coup, c’était la grande désillusion. Il est pourtant évident que si tu réfléchis un petit peu, tu sais que si cela avait été spontané, tout le monde aurait regardé la caméra. Mais quand tu vois la séquence, c’est quelque chose que tu ne veux pas voir.
D’un autre côté, on ne peut pas s’empêcher de le faire. Pour le documentaire Searching for Sugarman par exemple, on sait que le réalisateur ment par omission, mais cela donne un conte magnifiquement raconté. Vous aviez des références de ce type avant de réaliser le film ?
Une des références importantes qui m’a fait découvrir le documentaire comme un art, c’est Marcel Ophüls, à travers Le chagrin et la pitié ou Veillée d’armes par exemple. Car il arrive à traiter des sujets très graves, pesants, mais, à l’inverse d’un Claude Lanzmann qui nous plombe et nous fait culpabiliser, Ophüls reste léger. Il met en scène, n’hésite pas à utiliser des extraits de comédie musicale, même pour parler de la collaboration ou de l’extermination des juifs. Il ne donne jamais l’impression de faire des interviews, il arrive à mettre les gens à l’aise avec des discussions, des dialogues. Cette façon de parler de tout et de rien est à la fois ludique et, en quelque sorte, « cinématographique », au sens « spectaculaire ». Alors même qu’il s’agit de sujets importants et documentaires ! Je crois que l’idée de plaisir est importante pour moi. Après tout, on fait du cinéma : même s’il s’agit de sujets lourds, nous avons une caméra pour faire un film que des spectateurs vont voir dans une salle. C’est donc aussi un spectacle.
Le rôle qu’endosse votre mère, est-ce une forme de mise à distance pour vous, une façon de vous soulager d’un poids puisqu’elle s’occupait de la production ?
Je ne sais pas. Elle a joué le rôle du producteur que je n’avais pas. Elle était persuadée qu’elle était là pour m’aider à gérer le budget.
Encore maintenant ?
Quand elle voit le film terminé, elle se dit que je me suis foutu de sa gueule ! Elle dit qu’elle ne savait pas qu’elle était filmée. C’est à la fois vrai et faux. Ce qui est vrai, c’est qu’elle est vraiment venue dans l’idée que son rôle, c’était de financer, et que l’important n’était pas de filmer les scènes d’à côté que j’ai tournées. Alors qu’en fait, ces scènes-là, c’est le film. Je me suis foutu d’elle dans le sens où elle est l’héroïne du film et pas uniquement la productrice. Mais si je lui avais annoncé, elle n’aurait jamais été naturelle comme elle l’est dans le film. Telle qu’on la voit dans le film, elle a un enjeu à défendre : finir ce film et aider son fils qui ne sait pas où il va. On la sent sincèrement inquiète et très investie dans le rôle. Aujourd’hui, quand elle voit le résultat, elle sait qu’elle a été manipulée, mais elle se vante tout de même que le film ait pu voir le jour grâce à elle !
Quel est votre prochain projet ? On sent dans La Vierge, les Coptes et moi que vous intervenez en tant que personnage et on se demande assez naturellement : qu’est-ce qu’il va inventer maintenant ? Est-ce que vous allez vous mettre en scène de nouveau ?
Non le prochain film, c’est de la fiction, de la comédie. Et ça me fait un peu peur car j’ai commencé par la fiction avant de venir au documentaire et je n’étais pas content du résultat. Je trouvais que cela manquait de spontanéité, que c’était très lourd. Ce que j’ai aimé dans la fiction, je l’ai mis dans le documentaire, comme le fait de jouer, dans le sens de jouer avec le spectateur. J’ai un peu peur car le réel est toujours plus fort que ce que j’écris. Quand on écrit une fiction pure, il faut vraiment qu’elle soit très très bien écrite pour qu’elle soit vivante.
Je réfléchis donc à des dispositifs documentaires, comme des caméras cachées, dans la fiction. Il y a dans cette optique un film pas très réussi mais intéressant : Borat, qui est un peu de l’ordre de la performance. Il y a des scènes écrites, scénarisées, et d’autres qui ne le sont pas du tout. Autrement dit, lui est acteur mais les autres personnes filmées ne le savent pas et croient que Borat est une vraie personne de documentaire. Par exemple, quand il prend la parole dans un rodéo américain pour faire l’apologie des Etats-Unis, il dit combien c’est le plus grand pays du monde et, évidemment, tout le monde applaudit. Puis, il compare le pays à l’Irak et déclare « nous sommes fiers de pouvoir tuer des enfants » (rires). Les gens cessent au fur et à mesure d’applaudir car il va de plus en plus loin dans son discours. Il se fait siffler et ça dégénère. C’est une véritable performance car il risque vraiment sa peau et que les gens filmés ne savent absolument pas que c’est un acteur. Si je suis assez bon, c’est cette dimension que j’aimerais intégrer dans mon film. L’histoire se situe en Égypte, avec des personnages qui se déguisent en extrémistes religieux pour fuir… Le tout dans de « vraies » situations avec des « vrais » gens.
Vous avez l’air de ne pas être à l’aise avec la fiction…
Je me rends compte en parlant que ce que je n’aime pas dans la fiction, c’est qu’on connait déjà la fin de l’histoire, que le réalisateur sait déjà ce qui va se passer. Et ça ne m’intéresse pas de ne pas être surpris. C’est pour cela que la dimension fictionnelle est intéressante dans le documentaire : on propose quelque chose mais on ne connait pas les réactions. Lars Van Trier a utilisé un peu ce système sur Breaking the Waves, je crois. Il réalisait les répétitions sans le chef opérateur, afin que celui-ci ne sache pas comment cela se passerait au moment du tournage. Du coup, cela donnait un faux aspect documentaire, le cadreur ne faisait pas vraiment le point au bon moment puisqu’il ne savait comment allait se dérouler la scène. Mais c’est assez artificiel car Van Trier fait cela juste « pour faire vrai ». Cela procède en revanche de la même envie d’être surpris, d’avoir l’impression que ce qui se passe n’a pas été écrit.
Le sujet de votre prochain film semble plutôt sensible. Avez-vous pensé aux difficultés que vous pourriez rencontrer pour le tourner ?
Non, je ne me pose pas la question de la faisabilité. Sinon, je ne ferais rien… Pour le moment, je suis au début de l’écriture et je me prends la tête dans tous les sens ! Je cherche à voir comment m’amuser dans l’écriture.
Vous allez aussi « filmer le film », montrer comment un tel film peut se monter, avec les problèmes logistiques ou administratifs ?
Seulement si je n’arrive pas à faire le film !
Un peu comme Lost in la Mancha ?
Oui, sauf que dans le cas du film de Terry Gilliam, ce n’est pas lui qui réalise le making-of. Cela aurait été intéressant qu’il le fasse lui-même, mais il ne pouvait pas, il était trop catastrophé par ce qui se passait sur son tournage pour faire cet autre film et avoir le recul nécessaire. C’est pour cela que Lost in la Mancha est jubilatoire, mais ce n’est pas ce que je recherche cinématographiquement. C’est avant tout un travail de montage à partir de rushes.
Revenons à cette idée de croyance qui irrigue votre film : comment les habitants du village ont-ils perçu la fiction à laquelle ils ont participé quand ils ont vu le film ?
Le fait de voir comment une croyance se forme n’enlève rien à la croyance elle-même. C’est un peu comme les tours de magie : après avoir vu le tour, on est encore plus admiratif par la technicité du magicien et par l’émotion née du fait qu’il arrive à nous y faire croire. C’est une question que l’on m’a effectivement beaucoup posée dans les débats : est-ce que les habitants du village ont changé après avoir vu le film ? Les spectateurs avaient envie qu’ils aient changé, alors que non. L’artifice sur l’écran n’anéantit pas la croyance. Des critiques m’ont dit que le film était chrétien ; d’autres qu’il était antireligieux ou qu’il démystifiait la religion. Les deux points de vue se défendent de la même manière à mon sens. Pour moi, ce que dit ma mère à la fin du film résume les choses : l’important n’est pas de savoir si c’est vrai ou pas, mais plutôt de savoir si on a envie d’y croire ou pas. Elle me l’a dit très tôt, mais cela n’avait aucun intérêt de le mettre dès le début. Je voulais que le film rende cette phrase concrète. Et je suis content que l’on puisse faire ressentir cela.
Cela a-t-il été difficile de mettre en branle tout ce tournage, cette énergie pour mobiliser les gens du village ?
Je crois qu’il fallait être naïf pour le faire, et il y a une part de moi qui l’est vraiment. Si tu n’y crois pas toi-même, ça ne tient pas, c’est artificiel. C’est la raison pour laquelle je ne veux pas me poser des questions sur la faisabilité de mon nouveau projet. Je veux essayer. Les techniciens me disaient sur le film, et cela m’aidait beaucoup : « Ne te censure pas sur le tournage, si tu as envie d’essayer un truc, fais-le« . Je pense que nous sommes nos pires censeurs. Il ne faut pas trop chercher à analyser, à anticiper les risques. Si ça marche, tant mieux, sinon, il faut changer son fusil d’épaule.
Il faut avoir sacrément confiance pour conserver cette part d’incertitude, pour faire quelque chose dont on ne connait pas le résultat mais qu’il faut essayer pour voir ?
Il faut être confiant… ou peut-être inconscient !
C’est un peu la même chose au final : vous pariez sur la réussite de cette incertitude. Cela va à l’inverse de tous les films calibrés, très écrits…
C’est cela qui me fait peur. Les fictions que j’ai faites avant La Vierge, les Coptes et moi étaient très cadrées. Ce n’était pas vivant et, en tant que spectateur, cela ne m’intéresse pas. J’ai besoin d’être surpris. J’ai envie de gérer l’imprévu et d’écrire en quelque sorte le scénario après le tournage.
Revenons sur le lien entre le cinéma et la religion, et cette croyance qui existe pour les deux…
Dans la note d’intention, j’avais écrit une phrase très abstraite. Cela parlait de ce lien entre l’apparition de la Vierge et le cinéma. Le producteur me demandait comment j’allais l’incarner à l’écran. C’est lié à mon histoire personnelle : j’ai été croyant quand j’étais adolescent et j’ai arrêté de croire au moment où j’ai découvert le cinéma. Ce n’était pas rationnel mais plutôt un vide que j’ai rempli avec ce que j’ai trouvé. Je ne m’intéressais pas du tout au cinéma avant. D’une certaine manière, j’ai quitté Jésus et ses miracles et j’ai découvert Fritz Lang, Méliès, et le fait que des choses ou des personnages puissent apparaitre ou disparaitre à l’écran. Pour moi, le cinéma était un monde où il était possible de faire des miracles.
J’ai donc toujours vu un lien très fort entre les deux. L’un s’est substitué à l’autre. Je voulais vraiment faire ressentir cela à la fin : la croyance dans le personnage de l’acteur qui pleure alors qu’on sait que c’est faux et la croyance plus générale, religieuse, ont un lien entre elles.
Le film débute pourtant sur quelque chose de très étonnant, avec ces photos de famille et votre voix…
J’ai appris qu’à tout prendre, il valait mieux réussir la fin de son film et rater son début que l’inverse. Ne serait-ce parce qu’au cinéma, les gens ne partent pas au début ! Le début du film, je ne l’ai jamais trouvé, je ne suis pas content des 20 premières minutes. Je trouve la scène des photos horrible. Il y a des spectateurs qui ont eu très peur, qui se sont dit : « Ça va être comme ça pendant 1h30 » ! J’aurais aimé commencer de manière plus élégante. Mais le personnage patine, le film est monté avec des rushes pas très satisfaisants. Au début du film, les échecs du personnage deviennent les échecs du film lui-même. Le spectateur est mal à l’aise car il ne regarde pas un personnage qui rate mais un film raté. L’histoire décolle quand le personnage commence à rater lui-même, mais le film réussit quelque chose.
Cela étant, le film a besoin de ce début, car la deuxième partie ne fonctionne pas sans la première. C’est parce qu’on a peiné au début que le plaisir est d’autant plus grand après.
Et sur la voix-off ?
J’ai passé un temps énorme dessus ! J’ai du l’enregistrer près de 300 fois. J’ai rencontré une femme qui est coach pour des voix de doublage. Elle m’a guidé pour retrouver une voix proche du naturel. Car souvent, les voix-off sont terriblement pesantes, vides. Ça me fait beaucoup rire maintenant quand j’entends ce type de voix dans les documentaires. Le ton est pollué par la télévision, le journaliste qui commente, ou alors la belle voix qui parle bien mais qui n’est pas un personnage. On fait souvent dans la voix-off tout le contraire de ce qu’on fait dans la vie. On enlève toute l’intonation, cela devient ennuyeux à mourir ! Alors qu’il faudrait faire tout le contraire : parler comme à un copain dans un bar.
Et puis, la question : « A qui je parle ? » est une vraie question. Au début, j’avais imaginé que je racontais cette histoire à mon enfant et que le film se terminait par sa naissance [NDLR : l’amie de Namir était enceinte à ce moment du montage]. Je devais m’adresser à quelqu’un qui ne peut pas être le spectateur. Et au bout d’un moment, j’ai évacué cette question pour celle-ci : « Dans quel état je suis quand je vois cette séquence-là« .
On se rend compte que c’est dans la fiction qu’on trouve en fait des voix-off intéressantes : celles de Woody Allen ou de Nanni Moretti par exemple. Car ils sont parfois énervés ou cinglants quand ils parlent, ça donne un ton au film. Ça m’a « sauté aux oreilles » après avoir fait le film, quand j’entendais les voix-off d’autres documentaires. La plupart du temps, le réalisateur s’arrête au fait de lire le texte.
Enfin, une autre question est essentielle : est-ce que la voix-off sait ce qu’il se passe après lorsqu’elle raconte une histoire ? Par exemple, au début du film, est-ce que je connais la fin du film quand je parle ? C’est une question compliquée mais essentielle car c’est un peu les deux : d’un côté, je connais la fin, mais de l’autre, je revis la situation.
Propos recueillis par Nicolas Bole
un film entre le quatar l’égypte et la france. c’est inédit, il faut le regarder
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