C’est un film à la fois doux et amer avec des septuagénaires canadiens partis se réchauffer, dans tous les sens du terme, en Floride. « L’amour à la plage« , de Judith Plamondon et Lessandro Socrates, est diffusé dans la nuit du 14 au 15 janvier sur France 2, et reste disponible pendant un mois en replay. C’est assurément un documentaire à voir, qui saura parler à chaque spectateur. L’analyse est signée Virginia Tangvald.
Au Québec, on surnomme « snowbirds » les retraités qui ont pour habitude de s’évader chaque année de l’hiver glacial canadien et de migrer en hordes vers la Floride.
C’est ainsi que tous les ans se forment ces improbables micro-sociétés, composées de baby-boomers issus de la classe ouvrière québécoise, qui passent l’hiver à siroter du vin australien au bord de la piscine, en chemise hawaïenne dans une ambiance de croisière.
C’est dans ce vase clos tropical, entre un motel rétro et les chaises longues qui bordent la plage, que les réalisateurs Judith Plamondon et Lessandro Socrates ont campé avec humour et tendresse le récit d’amour à la plage de quatre Snowbirds : Mimi, Richard, Jean et Gigi. Pour ces septuagénaires, la vie active étant terminée et la vie familiale bouclée, c’est la vie amoureuse qui est devenue prioritaire et ils ont fait du « Sunny Isle », motel au décor kitsch, le théâtre de cette quête d’amour au crépuscule de leur vie.
Mimi, grande romantique au fard à paupières bleu disco, se préoccupe de la longueur de ses ongles. « Not too long, I wouldn’t want to scratch the back of my lover. », dicte-t-elle à sa manucure. Elle confie à la caméra, les yeux étincelants, que l’amour interdit qu’elle porte pour un homme marié l’a transformée. Gigi lui a prêté le roman érotique Mon prince arabe pour pimenter leurs rendez-vous clandestins.
Rieuse et résolue à vivre au jour le jour, Gigi est en couple depuis quelques mois avec Jean, qui espère qu’elle se décidera enfin à s’engager définitivement avec lui. Il estime encore avoir une vingtaine d’années à vivre. L’évocation de ce chiffre alarme Gigi mais Jean s’empresse de la rassurer : « Si t’es trop malade, je te déplugue. »
Richard, chanteur de charme, crooner et incorrigible amoureux des femmes, anime des soirées au Thunderbird, où ces fêtards se trémoussent sur la piste de danse. La tension sexuelle est évidente. Les jeux de séductions sont décomplexés. La vie au Sunny Isle, si propice à l’oisiveté et à la fête, semble avoir conjuré le cœur adolescent des protagonistes qui profitent de leur ultime « jeunesse ».
On avance ainsi sur le fil de leur quotidien fait de danse en ligne, de jeux de cartes à la plage et de pétanque au motel rétro jaune poussin. Le synthétisme du décor kitsch dans lequel ils évoluent est mis en relief par des cadrages tout aussi inorganiques, dont la géométrie et la symétrie rappellent les films de Wes Anderson.
Ce paradis artificiel aux couleurs pastel et aux lignes épurées en vient à ressembler à la toile de fond d’une pièce de théâtre, et cette impression rend sensible à la mise en scène ce que ces snowbirds ont fait du « Sunshine State » pour mieux y projeter leurs espoirs et leurs désirs les plus profonds.
Ces scènes de la vie de plaisance ordinaire sont interrompues par des plans de coupe où on aperçoit les protagonistes l’air songeur. En filigrane, sur un fond musical partagé entre le disco du motel-bar et les airs nostalgiques joués au piano qui constituent la trame sonore du film, leurs douleurs et leurs inquiétudes se révèlent à nous.
Que reste-t-il à espérer ? Comment passer le temps qu’il reste, si précieux à « l’automne de la vie » ? On n’échappe pas à ces questionnements aussi facilement qu’on s’échappe de la neige.
L’environnement tropical se resserre sur les protagonistes. La silhouette de deux palmiers enferme un couple comme un étau. Un ballon rouge en forme de cœur est malmené par le vent.
Mimi attend anxieusement à côté de son téléphone l’appel de l’être aimé. Elle consulte une astrologue et fait mine de ne pas comprendre les réponses qu’elle ne veut pas entendre. Elle veut savoir si son amant quittera sa femme pour elle, ou sinon, lequel du triangle amoureux mourra en premier. Elle part à la dérive. Du bout d’un parasol fermé, elle dessine des cœurs dans le sable et regarde les bateaux de croisière traverser l’horizon.
Richard qui a voué sa vie à la musique et qui s’aliéné sa famille avoue que la solitude le ronge. « Ça fait mal, mais c’est ok. »
C’est avec beaucoup de tendresse et de dignité que nous sont révélés les désirs et les hantises de ces personnages à la sincérité désarmante. « Ça fait mal, mais c’est ok » est peut-être la conclusion douce amère qu’on peut tirer du film. Sunny Isles n’est peut-être pas l’Eldorado que ces snowbirds entêtés à oser l’amour avaient souhaité, mais face aux doutes et aux tourments ils choisissent tout de même de chanter, de danser, de profiter du soleil et d’aimer comme on le devrait, peu importe la saison de notre vie.
Virginia Tangvald