C’est l’heure de la reprise sur Le Blog documentaire ! Après une petite pause estivale, nous nous associons avec le Festival Silhouette ; une manifestation parisienne qui se concentre sur les formes courtes. Camille Bui analyse ici la programmation documentaire proposée du 31 août au 8 septembre, en se focalisant notamment sur un film signé Jean-Gabriel Périot…
Sachez aussi que les publications sur ce site seront un peu moins régulières dans les semaines qui viennent. Nous en profitons pour vous préparer de nouvelles réjouissances (web)documentaires, à découvrir bientôt ici, ou ailleurs…
Le Festival Silhouette a lieu cette année du 31 août au 8 septembre à Paris. Pour sa 12ème édition, la sélection estivale de courts-métrages, toujours aussi riche et éclectique, sera projetée majoritairement en plein air, au parc de la Butte du Chapeau Rouge, dans le XIXème arrondissement de la capitale. Comme les années précédentes, la programmation est composée essentiellement de films de fiction mais a à cœur de ménager une place à la production documentaire, comme à quelques œuvres « hybrides » (Voir le programme complet ici).
Ainsi, en plus des quelques documentaires présentés en compétition internationale, une séance en salle sera consacrée le 7 septembre [1] au cinéma du réel, avec la projection de quatre courts-métrages. Ces films aux genres et aux sujets variés ont en commun d’interroger une forme de mouvement, physique parfois, mais surtout métaphorique, qui fait émerger de la nuit des rencontres, des liens possibles.
Les Naufragés de Francois Abdelnour est un film-travelling qui, par le mouvement d’un train au point du jour, traverse les étendues sibériennes et éveille au regard les visages, les corps et les voix singulières de ses passagers. Dans son trajet impressionniste et mystérieux, le transsibérien est un monde hors du temps qui vaut pour son mouvement propre, sans origine ni destination.
Dans Quand est-ce que je les ai vus s’embrasser ?, nous voilà cette fois embarqués dans un taxi, en fait plusieurs, sillonnant la ville sur la banquette arrière, derrière la silhouette anonyme d’un conducteur. Les chauffeurs, protégés par l’obscurité, nous confient leur relation avec la nuit et ses habitants : leurs fantasmes, leurs aventures, les plaisirs et les dangers de cet univers nocturne pour celui qui s’y perd. Passagers nocturnes, la ville défile au dehors, déserte ou agitée.
Dans Under Pressure, Julie Bezerra Madsen interroge un autre mouvement, tragique cette fois : l’exil de deux jeunes Syriens à Beyrouth. Plutôt que le mouvement, c’est la difficulté de celui-ci qui est en jeu : comment ne pas rester immobile, désœuvré dans la fuite ? Les deux personnages cherchent dans la musique la possibilité d’un mouvement politique.
Autrement, dans Le jour a vaincu la nuit, Jean-Gabriel Périot cherche à initier un mouvement dans un lieu où, par définition, il semble arrêté : la prison. Issu d’un atelier d’écriture avec des détenus de la Maison d’arrêt d’Orléans, ce court-métrage met en scène des mouvements d’évasion métaphoriques à travers une suite de portraits poignants. Face caméra, une dizaine de personnes se succèdent et font le récit d’un rêve : rêve nocturne qui est venu troubler leur sommeil, ou rêve diurne de leur vie à venir, après la libération. Le dispositif est radical : pour chaque portrait, le filmé est cadré de front et en plan fixe. En enfermant chacun de ses habitants, les bords du cadre rejouent quelque chose de l’espace carcéral. Mais en même temps que les personnages sont ainsi assignés à une portion d’espace limitée et close, le cadrage permet dans un premier temps de ne pas identifier l’espace réel dans lequel ils se trouvent.
Paradoxalement, c’est lorsqu’au fil des portraits le cadre s’élargit que les personnages se retrouvent véritablement en prison. L’émergence progressive à l’écran de la réalité du lieu est alors compensée par la performance des personnages qui prennent peu à peu le relais de la mise en scène : par la force de leurs récits parlés ou chantés, par la présence de leur visage et de leur regard, les filmés en viennent à déborder le cadre, à échapper symboliquement à l’espace carcéral comme cinématographique.
Si au début du film, c’est l’espace cinématographique qui « fait oublier » l’espace de la prison, c’est progressivement la parole subjective des détenus qui acquiert le pouvoir d’en « sortir ». Les voix des filmés mobilisent et inventent d’autres lieux. Elles sont accompagnées d’une musique indisciplinée, hétérogène qui elle aussi double le cadre d’un espace sonore libéré. Tout le film met en scène la tension entre l’enfermement physique des corps et la possibilité de s’évader, de se réinventer par le rêve et son récit. Par la déliaison, la mise en mouvement.
La fixité du cadre et le regard face caméra matérialisent ainsi la surface de l’écran de manière paradoxale. Ce rectangle est à la fois le quatrième mur du champ, il est la membrane qui le clôt et sépare les personnes filmées des spectateurs. Nous regardons leurs visages, mais ils ne peuvent pas nous voir : leur regard nous est adressé mais semble buter sur un vide, une absence, les renvoyant de manière inquiétante à l’isolement. Mais, simultanément, l’écran devient aussi une fenêtre par laquelle les filmés sont vus, hors de la prison, une fenêtre par laquelle ils sortent, ne serait-ce que quelques instants, de l’espace carcéral. De manière troublante, il semble que le spectateur puisse même, fugitivement, croiser le regard de ces femmes et de ces hommes perçant la surface de l’écran. La présence de la caméra en prison a ici le pouvoir de créer, temporairement, une ouverture. En cela, elle soutient le travail performatif du récit vivant qui crée la possibilité d’une libération à venir, non seulement physique mais aussi subjective.
Camille Bui
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[1] La séance de projection documentaire aura lieu le samedi 7 septembre à 18h à l’Espace Khiasma, 15
Rue Chassagnolle, 93260 Les Lilas. L’entrée est gratuite.
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