« Guerre d’Algérie, la déchirure« , c’est le dernier documentaire « de prestige » coproduit par France 2, et diffusé le 11 mars 2012 lors d’une soirée entièrement dédié à l’événement avec, après le film, un débat sur le sujet.
Le Blog documentaire en a profité pour rencontrer Fabrice Puchault, directeur des documentaires de France 2. L’occasion de revenir avec lui sur l’ensemble de la politique de la chaîne en matière de documentaires.
Le Blog documentaire : Commençons par évoquer « Guerre d’Algérie : la déchirure », diffusé dimanche 11 mars sur France 2 et disponible ensuite en DVD. Comment est né ce projet ?
Fabrice Puchault : C’est un projet que la chaîne a désiré, et qu’elle a voulu défendre. L’idée de départ, c’est de raconter, pour la première fois ou presque, la totalité de l’histoire de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, de la Toussaint rouge aux accords d’Evian ; avec un petit flash back dans le corps du film sur le 8 mai 45. Car Sétif reste un moment où se cristallise le nationalisme algérien, qui va ensuite se développer pour donner finalement lieu, 10 ans plus tard, à la Toussaint rouge.
Il existe en France des histoires qui restent non dites. Il y eut des films censurés « La Bataille d’Alger », « Avoir Vingt Ans dans les Aurès », par exemple, puis il y eut des films qui ont ouvert la voie, sur des moments de cette histoire, des enjeux particuliers. « L’Ennemi intime », sur France 3 à l’époque, a été un moment extrêmement fort de la télévision, pour la première fois on y a parlé de la torture.
Avec « Guerre d’Algérie, la Déchirure », nous avons eu le désir de proposer une vision globale de cette guerre, telle que, nous l’espérons, l’ensemble des générations pourront se l’approprier. Pour cela un récit qui tend à dire l’Histoire, et non à opposer des mémoires concurrentes nous semblait nécessaire 50 ans après les accords d’Evian.
Nous sommes ici dans la vocation d’une chaîne comme France 2 : s’adresser au plus grand nombre, tenter de réunir l’ensemble des téléspectateurs autour d’un récit commun, d’un récit de l’Histoire. Cette histoire nous tourmente et, pour que nous puissions mieux la percevoir, mieux la comprendre, il est important de la dire. C’est cette volonté qui fonde le projet.
Deuxième élément pour bien comprendre notre démarche : sur un tel projet, nous devions travailler avec un historien de référence et avec un réalisateur qui apporte quelque chose de très fort en termes de récit et de création. C’est la raison pour laquelle le projet de la société de production, de faire appel à Benjamin Stora et Gabriel Le Bomin, réalisateur des « Fragments d’Antonin », a été retenu.
Vous dites qu’il s’agit d’un projet voulu par la chaîne… France 2 a donc passé commande ?
Non, ce n’est pas comme cela que les choses se passent. C’est un projet que la chaîne a voulu parce qu’elle a souhaité qu’il existe. Mais des producteurs sont ensuite venus présenter leurs idées. Nous n’avons jamais imposé une manière de dire ou de faire, ni passé commande à un producteur prédéterminé
Est- ce que le processus de sélection des projets et de mise en production des films se déroule toujours ainsi à France 2 ?
Qu’il s’agisse des cases de prime time (il y en a 8 par an), des deuxièmes parties de soirée (Infrarouge) ou la case « grandeur nature » du dimanche après-midi… Par parenthèse, nous tenons d’ailleurs beaucoup à cette case animalière car on oublie trop souvent ce pan du documentaire. Il existe une véritable école française en la matière, et de très bons projets voient le jour sur ces thèmes. Nous disposons à cet égard de la seule case de production de documentaire animalier en France. Fermons la parenthèse.
D’une manière générale donc, nous sommes comme des « match maker », c’est-à-dire que nous organisons la rencontre entre le public et les œuvres. Nous avons une politique éditoriale d’offre pour les téléspectateurs qui doit être conforme à l’identité de la chaîne. En l’occurrence, nous nous adressons au public le plus large possible, tout en étant la chaîne du contemporain mais aussi la chaîne d’un certain nombre d’innovations, et bien sûr une chaîne d’information très ancrée dans le quotidien du public. Cette dernière dimension a son importance, et les programmes de création doivent aussi présenter un rapport avec cette caractéristique.
Nous définissons donc des lignes éditoriales que nous dispersons le plus possible auprès des professionnels. A charge pour eux ensuite de nous envoyer des projets que nous étudierons, analyserons, discuterons avec eux pour faire des choix. Les projets doivent être initiés par des auteurs, des réalisateurs, des producteurs. Notre mission est de faire partager des histoires, des regards et des écritures. Nous sommes des « match maker » et des professionnels qui font des choix.
Cela vous arrive t-il de choisir un projet qui vous parvient de manière tout à fait spontanée ? Celui d’un producteur qui vous envoie par exemple un projet qui n’est pas tout a fait attendu de votre part ?
Absolument. Notre ligne éditoriale, ce n’est pas la perspective Nevski. Ce n’est pas rigide, ce n’est pas une forteresse imprenable, mais quelque chose de poreux. Une politique éditoriale reste un signal envoyé aux téléspectateurs qui correspond à la création de rendez-vous dans le cadre d’une grille de programmes cohérente. Cette notion de rendez-vous est toujours valide. Elle change, elle évolue, mais elle reste valide.
Cela dit, il nous arrive évidemment des objets un peu à la marge et dont nous nous saisissons tout de même. Il y a des exceptions, qui proviennent parfois de réalisateurs ayant entamé un travail avec France 2 depuis plusieurs années. Il s’agit par exemple de réalisateurs reconnus dont les propositions sont d’une grande valeur.
Prenons l’exemple de William Karel. Il travaille depuis longtemps sur les Etats-Unis pour France 2, et même si la ligne éditoriale d’Infrarouge concerne d’abord la société française, il nous a proposé de faire la suite des « Hommes du président », un film historique pour France 2. Il filme « A la Maison Blanche » jusqu’à la réélection ou la défaite de Barack Obama. De la même manière, Jean-Michel Carré nous a proposé de réaliser la suite du « Système Poutine », un très grand film qui a également marqué l’antenne de France 2.
Nous venons aussi de terminer un programme, « D’un 11 Septembre à l’autre », sélectionné au FIPA, produit par Jean-Marc Giri, réalisé par Guy Girard sur un texte de Michel Vinaver. C’est une expérience théâtrale avec des jeunes de lycées de banlieues, quelque chose qui semble très banal, avec un texte de l’un des plus grands auteurs de théâtre contemporain en France. Ils nous ont envoyé des rushs, qui ne relevaient pas exactement d’une expérience théâtrale de MJC : ces rushs nous interrogeaient vraiment sur ce que signifie « être Français ». Et l’on s’apercevait qu’il n’y avait pas de définition possible…
Les jeunes se présentent à la caméra pour jouer cette pièce – qui fût ensuite un très grand succès au Théâtre de la Ville, à Paris. Ce n’est pas une entreprise « locale », mais dotée d’une réelle volonté professionnelle. Les jeunes se présentent donc, en disant par exemple : « Je m’appelle Kevin, je suis Serbe » ou « Je m’appelle Gabrielle, je suis musulmane, je suis algérienne. » Ces 20 jeunes se définissaient tous de manière communautaire ou religieuse, et pourtant ils sont tous Français. Qu’est-ce que ça nous raconte, qu’est-ce que ça veut dire ? Qui suis-je ? Comment me construire dans ce monde ? Toutes ces questions travaillent le film, la mise en scène même du film.
Ce simple extrait portait la trace d’une écriture très puissante et d’un discours fort. Nous avons donc fait une exception. Nous pouvons en faire d’autres même si ce n’est pas le cœur de notre politique éditoriale.
Pour bien comprendre, qui définit la politique éditoriale documentaire de France 2 ?
C’est l’unité documentaire. Nous sommes chargés de définir une politique documentaire en fonction de l’identité de la chaîne. Nous formulons donc une proposition à la directrice des programmes, Perrine Fontaine. Puis, nous bâtissons ensemble une politique documentaire qui est validée par la direction de la chaîne et du groupe. Régulièrement, nous retravaillons les fondamentaux, nous procédons à de nouvelles analyses… Mais une politique éditoriale dans le documentaire se bâtit d’abord dans le temps. Nous ne pouvons pas varier tous les ans parce que la fabrication d’un documentaire demande une année de travail, et la fabrication d’un prime time, c’est 2 ans. Ce sont donc des programmes qui se construisent sur un temps long, et dont nous vérifions également la validité sur un ou deux ans. L’avantage des politiques éditoriales de documentaires, c’est qu’elles ne varient pas tous les 6 mois.
Que répondez-vous aux critiques qui stipulent que France 2 ne se concentre que sur des documentaires de « prime time », et ne laisse que peu de place aux documentaires dits « de création », avec des films qui coûtent très chers qui ne font qu’alimenter une course à l’audience finalement assez vaine ?
Il y a plusieurs niveaux de réponse. Tout d’abord, je ne parle pas de « course à l’audience », il n’y a pas de dictature de l’Audimat. Je préfère évoquer un devoir ou une exigence d’audience. C’est le législateur qui en a décidé ainsi : il y a non seulement un cahier des charges, mais aussi des missions que France 2 doit remplir. L’une d’entre elles consiste à proposer des programmes de qualité pour le plus grand nombre.
L’audience n’est que la mesure de la conformité de nos résultats par rapport a notre mission. Et « le plus grand nombre » ne signifie pas 20% de parts de marché, ou des résultats exceptionnels tous les jours. Simplement, la moyenne des programmes que nous offrons à nos téléspectateurs doit être à la mesure de la chaîne. Je ne parle là que de France 2 ; France Télévisions est un groupe et les autres chaînes feront une offre différente.
Deuxièmement, je persiste à penser que l’audience est un très beau mot lorsqu’il s’agit de documentaire parce que ce genre n’est pas réservé à un certain nombre de téléspectateurs. Dans son écriture même, le documentaire se doit de s’adresser à tous pour tenter d’amener sur ses chemins le plus de monde possible.
Les chemins du documentaire sont différents, ils empruntent une écriture souvent escarpée, parfois pointue. Une écriture complexe, difficile, qui demande une participation et une activité du téléspectateur. Je pense que les téléspectateurs sont des gens intelligents, prêts à emprunter ces chemins, et nous devons présenter de ce fait une politique d’offre diversifiée.
Alors, oui, il faut des grands films de prime time qui entretiennent un rapport de « séduction » avec le public, tout en veillant très rigoureusement à leur nature documentaire. Je suis un défenseur irréductible d’Apocalypse par exemple. Mais aussi de nombreuses autres formes de récits en prime time. J’ajoute que les premières parties de soirée amènent des téléspectateurs vers d’autres moments du documentaire sur la chaîne. C’est la raison d’être de nos deuxièmes parties de soirée.
Infrarouge est une case où il y a plus de 37 films inédits par an, sur 40 possibles. A France Télévisions, nous avons presque autant de commandes de films que de cases disponibles, contrairement aux chaînes concurrentes qui font beaucoup de rediffusions. Nous rediffusons peu et participons donc de manière forte au tissu créatif en y injectant énormément d’argent.
Nos engagements augmentent chaque année – ce sont les chiffres du CNC qui le disent, et nous avons signé un accord clair sur ce sujet avec les producteurs de documentaires
Nous travaillons certes pour le prime time avec des grands films populaires car, oui, nous pouvons produire de grands documentaires populaires ! Nous y croyons fermement. Pourquoi ne serait-il pas possible de réaliser ce type de programmes ? Mais il n’y a pas de modèles.
Alors, il y a bien sûr « Apocalypse », mais il y a aussi en première partie de soirée « Un cœur qui bat » de Sophie Révil, et nous cofinançons « Le cerveau d’Hugo » de la même réalisatrice avec une écriture aussi singulière que pour son premier film, ou « Le Tour de la France » de Jean-Christophe Rosé, etc. Il y a des propositions très différentes, c’est encore un lieu d’expérimentation. Prenez le film sur la guerre d’Algérie : Gabriel Le Bomin n’est pas l’exemple même du réalisateur qui participe à la course à l’audience. On ne formate pas Gabriel Le Bomin, comme on ne formate pas William Karel, ni Jean-Christophe Rosé, ni de plus jeunes réalisateurs comme David André, Clarisse Felletin ou Didier Cros qui a réalisé « La gueule de l’emploi ». Pour Infrarouge en deuxième partie de soirée, nous aurons une exigence et une demande différente, mais là aussi pour viser un public à la mesure de la chaîne. Oui, l’audience est importante. C’est notre mission, et nous ne dépensons pas d’argent sans essayer de toucher, et d’amener vers le documentaire, le plus grand nombre de personnes.
En 2011, le SPI critiquait la supposée toute puissance des diffuseurs. Le Syndicat des Producteurs Indépendants réclamait une case spécifique pour les documentaire de création, et demandait dans le même temps l’instauration d’une une nouvelle relation entre diffuseurs et producteurs car, de leur point de vue, les auteurs étaient fragilisés dans le rapport qu’ils pouvaient entretenir avec vous…
Je sais effectivement que le SPI a réclamé une case pour le documentaire de création. Ce n’est pas une bonne idée parce que tous les documentaires que nous diffusons, nous travaillons tous pour cela, sont des documentaires de création. Ils privilégient un point de vue et l’écriture singulière d’un auteur. Je pourrais citer tant de réalisateurs avec lesquels nous avons travaillé : ils vous diraient la même chose, je pense.
Allez leur dire qu’ils ne sont pas des auteurs et que leurs films ne sont pas des œuvres de création. Allons dire à François Chilowicz, à Marie Mandy, à Rémy Lainé, à Anne Georget, à Vincent Maillard, à d’autres encore, nous n’allons pas faire une liste, que les films qu’ils ont amené sur Infrarouge ne sont pas des œuvres ! Je m’inscris totalement en faux par rapport à cette remarque. France Télévisions est un lieu de création pour le documentaire ! Les films sont là pour le prouver. Prenons par exemple la programmation d’Infrarouge depuis un an et regardons les films qui sont diffusés. Un autre exemple : on a pu lire récemment que des démarches comme celle de Raymond Depardon ne pouvait plus trouver leur place à la télévision. Mais son dernier film sera diffusé dans 15 jours dans Infrarouge…
En ce qui concerne la relation des créateurs avec France 2, je pense que nous devons d’abord aux producteurs de la transparence. Nous publions à cet égard nos lignes éditoriales, nous les expliquons, nous recevons les producteurs, parlons avec eux, nous rencontrons les syndicats, les sociétés civiles comme la Scam. Nous allons à leur rencontre. Nous sommes présents lors de grands festivals comme le Fipa ou le Sunny Side. Nous organisons des conférences pour expliciter nos politiques documentaires. Nous nous soumettons également très volontairement à « l’épreuve » de vérité puisque nous publions la totalité de nos engagements documentaires. Tous les films mis en production sont publiés sur Internet dans un guide de la création très facile à trouver sur le site de France Télévisions. Tout le monde peut vérifier la conformité de notre parole avec nos engagements.
Nous avons aussi un accord-cadre USPA/SPI et une commission de suivi se réunit plusieurs fois par an pour vérifier la conformité de nos promesses avec la réalité de nos engagements. Nous partageons d’ailleurs ce travail avec les syndicats de producteurs. Je ne dis pas que nous sommes parfaits, mais nous initions nous-mêmes une politique volontaire de transparence avec les producteurs. Notre responsabilité, nous en avons bien conscience, est culturelle (notre offre de création) et industrielle (nos investissements, en hausse depuis 5 ans, et nous nous sommes engagés à accroître encore cette tendance).
D’autre part nous devons sans doute encore améliorer le dialogue avec les auteurs. Nous avons créé avec la SCAM, un rendez-vous trimestriel où nous dialoguons (les unités documentaires de France Télévisions et les auteurs) sur des thématiques précises déterminées de concert. Chacun doit tenter de passer au-delà des stéréotypes et des images toutes faites.
Notre politique est fondée sur une seule chose, fondamentale : les documentaires doivent s’affirmer comme des objets singuliers.
D’une manière plus générale, le dernier rapport du CNC sur la production audiovisuelle aidée donne des chiffres apparemment rassurants. Quantitativement, tout augmente et, depuis 2008, l’exportation de programmes français repart à la hausse. Est-ce à dire que le cinéma documentaire va bien aujourd’hui en France ?
Je ne parle pour ma part que du documentaire présent à la télévision, et pas du cinéma documentaire dans sa globalité. Cela dit, je ne suis pas certain que le monde du documentaire aille bien. Il y a sans doute une réelle paupérisation du tissu, des acteurs, parce qu’il y a énormément de sociétés de production, énormément d’auteurs/réalisateurs et que la télévision ne peut cofinancer qu’une part réduite des projets qu’elle reçoit, même si cette part augmente un peu.
Deuxième élément : oui, les chiffres de l’exportation sont excellents, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont largement le fait d’« Apocalypse » qui a eu a un effet d’entraînement sur tout le secteur. Aujourd’hui, en Angleterre, aux États-Unis, au Japon (nos 3 principaux marchés), ou en Allemagne (un marché également très important), l’image d’« Apocalypse » a modifié la perception des distributeurs et des acheteurs internationaux de nos documentaires français. Et ils se mettent à acheter des films très différents, qui n’ont rien à voir avec Apocalypse, qui a peut-être servi de projecteur ces deux dernières années sur la production francaise à l’export.
Je ne sais pas si le cinéma documentaire va bien dans sa globalité. J’aurais tendance à dire que le genre est encore sous-financé. Des efforts restent à faire, mais la volonté de France Télévisions va dans le sens d’une augmentation des financements. Encore une fois, tout cela est exposé, vérifié en détails lors des commissions avec les syndicats de producteurs.
Le directeur du Sunny Side Yves Jeannot dresse le constat d’une télévision qui n’a pas fait sa révolution culturelle, qui continue a s’adresser à un public de masse alors qu’il serait aujourd’hui émietté. Il déplore aussi la frilosité générale des télévisions, partant du constat que, selon lui, on fabrique toujours la même chose, mais en couleurs. On prend le moins de risques possibles en répétant les vieilles recettes qui fonctionnent…
C’est la critique traditionnelle qui est généralement faite à la télévision. La télévision, oui, est une bête étrange. C’est une industrie, qui aurait donc tendance à répéter le même, elle aurait même intérêt à répéter la même chose comme pour la fabrication des voitures. Nous serions à la recherche du modèle qui marche. Mais la télévision est d’abord une industrie de prototypes, de création. Nous savons fort bien qu’à force de répéter, on risque de crever.
Ensuite, il y a effectivement des « marques ». Nous fabriquons plusieurs « Rendez-vous en terre inconnue », mais je ne vois pas pourquoi nous nous priverions d’un programme de grande qualité que les téléspectateurs et la critique applaudissent. Même assentiment général pour « Apocalypse » : nous avons entendu de nombreuses critiques, mais les téléspectateurs (de tout milieu socioculturel) nous en renvoient une image extrêmement positive et nous remercient de ce succès. Cela étant, ces deux programmes ne sont en fait que la surface émergée d’un iceberg bien plus important. Ces quelques marques sur lesquelles tout le monde se focalise ne représentent même pas 1% de l’offre documentaire de France Télévisions. Ce genre de critique n’a finalement pas grand sens.
Venons-en à l’éclatement supposé des publics et aux médias dits « de masse ». Quand la télévision cessera de se penser en média de masse, ce ne sera plus tout à fait la télévision. On l’appellera peut-être encore ainsi, mais ce seront des éditeurs de services multi plates-formes. C’est sans doute ce vers quoi nous nous dirigeons, en tout cas c’est ce que Bruno Patino nous dit : nous avons sans doute vocation à devenir des éditeurs de contenus multi plates-formes.
Pour le moment, il n’y a pas de média plus prescripteur que la télévision. Le point d’inflexion n’est pas encore venu où tout le monde serait branché d’abord et avant tout sur la « délinéarisation ». La télévision est encore le média prescripteur, un média de masse dont l’audience augmente chaque année dans toutes les couches de la population. Il est par exemple totalement faux de dire que les jeunes ne regardent plus la télévision : ils la regardent de plus en plus chaque année !
Aussi, est-ce qu’un média remplace un autre média ? Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire. Jamais. Le cinéma est devenu plus puissant que le théâtre, la télévision est devenue plus puissante que le cinéma… Ce n’est pas pour autant que le théâtre et le cinéma sont des formes qui ont disparu. Je pense donc qu’il y aura toujours de la place pour un média de rassemblement où, à un instant T, tout le monde se réunit autour d’un événement.
Cette notion d’événement est au cœur de la télévision de demain, et c’est pour cela que nous travaillons sur les primes time. C’est le sens de la soirée spéciale que nous avons créée sur la guerre d’Algérie (le 11 mars 2012). Il ne s’agit pas simplement d’un documentaire : nous l’accompagnons d’un débat, d’un grand site Internet pour l’Education nationale et pour les téléspectateurs.
Nous nous inscrivons donc pleinement dans cette révolution numérique. Nous nous déployons sur l’ensemble des écrans, mais nous conservons bien évidemment notre cœur de métier. Demain, l’événement restera ce qui drainera l’intérêt du public. C’est ce qui justifiera encore longtemps notre existence. Nous aurons toujours besoin de nous rassembler.
Revenons pour finir sur les nouveaux médias, Internet, les webdocumentaires… France 5 a produit une expérience assez remarquable avec Manipulation, l’expérience web. Est-ce que France 2 va aussi accroître ses efforts en ce domaine ? Peut-on imaginer que France 2 produise des objets uniquement pensés pour, et diffusés sur Internet ?
France 2 travaille étroitement avec Boris Razon (directeur des nouvelles écritures web et du transmedia) et avec la direction du numérique de France Télévisions. Notre mission consiste à travailler sur des objets dans une logique multi-écrans. L’équipe de Boris Razon va aussi créer des objets purement numériques, dont la première vocation ne sera pas d’être diffusée à la télévision.
Pour le coup, ce n’est peut-être pas strictement le rôle de France 2, qui est d’abord financée pour créer du contenu pour la télévision. Notre offre se déploiera de plus en plus sur plusieurs écrans, et sous diverses formes. Est-ce que nous devons financer des programmes qui ne se déploieraient plus du tout sur la télévision ? Aujourd’hui ce serait un peu absurde, de prendre sur le budget des œuvres pour le déployer ailleurs.
Par contre nous multiplions ce genre d’expérience multi-écrans, avec la direction du numérique de France Télévisions qui a un budget spécifique, avec de très gros projets au long cours. Nous travaillons sur un projet à partir de « Génération Y » de Laetitia Moreau, produit par Christophe Nick. Le film est pensé pour Infrarouge sous la forme d’une mini-série, mais il va se déployer avant, pendant et après la diffusion du programme, sous d’autre formes sur le web.
Propos recueillis par Cédric Mal
Les précisions du Blog documentaire
1. A lire aussi, le point de vue de Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur et président de la SCAM, sur le documentaire télévisé.
2. Voyez aussi cet entretien avec Guy Girard, réalisteur de « D’un 11 septembre à l’autre » :
Merci à toute l’équipe F2 pour le programme du 11 Mars 2012 « Guerre d’Algérie »Une guerre est une déchirure inhumaine de tout un peuple quelque soit son origine, que les bourreaux de cet univers cessent de concevoir ainsi le monde….c’est utopique …respectons nos différences et surtout aimons nous très fort car la vie est si belle et si courte…..
Bravo F2 merci infiniment.
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