Cela faisait un petit moment que Le Blog documentaire cherchait une manière pertinente et éclairée d’aborder la foisonnante production documentaire québécoise. C’est enfin chose faite ici, sous la plume virevoltante et le regard aiguisé de Patricia Bergeron, réalisatrice et productrice de la Belle Province, qui nous confie ici ce qu’elle a aimé des œuvres qu’elle a pu voir en 2011 au Canada.
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L’année 2011, comme les années précédentes, a été féconde en films documentaires, particulièrement pour les long-métrages où les cinéastes peuvent réellement écrire et raconter pour le grand écran. Ce sont des films qui courageusement, après des années de labeur, quelques fois sans trop ou trop peu de subventions, en équipe très réduite mais passionnée, nous rappellent avec noblesse que le documentaire, c’est aussi du cinéma.
Je vous propose un survol non-exhaustif et totalement subjectif. Mes choix, mes coups de cœurs. Il y aura probablement des oubliés mais je crois que ce survol saura éveiller votre intérêt aux documentaires made in Québec.
Suite à l’édition foisonnante des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) en 2010, plusieurs joyaux produits chez nous ont vu le jour sur le grand écran au cours de l’année 2011.
Pour débuter, le très attendu La nuit, elles dansent, d’Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault. Reprenant une démarche similaire à leur film Junior (2007), le couple de réalisateurs a posé sa caméra au Caire, à l’intérieur d’une famille, plus précisément un clan de femmes où l’on se transmet le métier de danseuses de mères en filles depuis la nuit des temps. Hind, Amira, Bossy et leur mère Reda se livrent sans pudeur, avec toute la chair, les cris et les déchirements sur un métier qui est appelé à disparaître, un métier qui apporte son lot de violences sourdes et réelles. Entre silence et chaos, leurs voix s’imprègnent dans la nuit cairote.
Un film sans concession, à la fois lyrique et terriblement humain dans un quotidien sans artifice et une nuit lumineuse. Le film s’est mérité de nombreux prix, de même qu’une invitation à la prestigieuse Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
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À l’opposé mais reprenant sensiblement la même démarche, un film presque en silence et en musique, le magnifique opus de Philippe Lesage, Ce cœur qui bat. Avec la complicité généreuse d’une équipe d’urgentologues de l’hôpital Hôtel-Dieu à Montréal, Philippe a glissé sa caméra, dans les chambres, les corridors, lors des consultations et des opérations. Toute discrète, quasi invisible mais un regard très présent. Un cinéma documentaire sans intervention. La captation du réel dans son dispositif le plus épuré. Un film remarquable. Qui sans discours politique à l’avant dévoile un discours grandement humaniste. Ce qui bien souvent manque cruellement aux films dit coup de poing. L’œuvre d’un seul homme, à la caméra et au son. Excellent montage. Et une scène d’ouverture à couper le souffle.
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De leur côté, les cinéastes Hind Benchekroun et Sami Mermer ont donné la parole à trois vieux Marocains, qui nous dévoilent leurs forces de vivre, leurs attentes de la mort, et le temps qui passe lentement et qui manifestement ne tue pas les tortues. Les tortues ne meurent pas de vieillesse, tourné au Nord du Maroc est un film réalisé avec beaucoup de maturité et de respect. Des images magnifiques, frôlant la carte postale mais qui ne dit pas à la tombée de la mort, tout ne peut être que beauté ? Chehma, Erradi et Abdesslam nous invitent dans leur solitude, dans l’antichambre de l’attente, celle qui nous attend tous, vieux et moins vieux. À travers ces trois statues d’humanité, les cinéastes ont réussi le pari d’universaliser le propos de leur film et ainsi effleurer avec beaucoup de pertinence les thèmes de l’intergénérationnel, de la lutte constante entre modernité et tradition dans ce vieux pays et cette Afrique, sans cesse, au pied de l’Europe. Un film empreint d’un regard de cinéma et d’expression du réel.
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Mon coup de cœur pour 2011 réside dans une proposition documentaire somme toute classique mais savamment bien exécutée. Sur un personnage qui dépasse de loin le film qui lui ait consacré. Godin– documentaire portant sur Gérald Godin, poète et homme politique québécois (1938-1994). Gérald Godin a littéralement marquée la politique et la littérature au Québec. Un film nécessaire sur un acteur trop souvent sous-estimé des derniers grands bouleversements socio-politiques dans la belle province.
Godin est un personnage plus grand que nature dans l’histoire récente du Québec. Sa poésie était lucide, franche, entre le slam et le rap, entre lyrisme et précis du quotidien. Son engagement politique était viscéral, juste, authentique. Pas de langue de bois pour cet homme, pour qui les mots étaient son arme. Simon Beaulieu, réalisateur, avec un point de vue d’auteur et un montage habile nous fait un immense cadeau : ne jamais oublier Godin, l’homme, le politicien et le poète.
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Dans la foulée des films-portraits, la cinéaste Sarah Fortin nous a livré sa rencontre avec Stephen Faulkner, un musicien incontournable dans le paysage musical québécois. Un personnage rebelle, taciturne mais que la jeune cinéaste a réussi à se faire complice de ses bons jours et des ses mauvais. J’m’en va r’viendre nous confirme l’immensité et la vulnérabilité du talent (et de la liberté) de l’artiste Faulkner et du coup, l’inscription dans le paysage cinématographique d’une recrue prometteuse.
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Et pendant que le premier ministre du Québec essaie de nous faire avaler son plus grand soi-disant projet de développement, le Plan Nord, des documentaristes ont poursuivi la riposte avec des films engagés, politiques et fiers. Plusieurs films documentaires se sont intéressés à l’industrie minière. Trou Story, de Richard Desjardins et Robert Monderie, L’or des autres de Simon Plouffe et La règle d’or de Nicolas Paquet.
Toujours dans l’indignation, le réalisateur Hugo Latulippe a accouché de République : un abécédaire populaire, réunissant une cinquantaine d’artistes, d’intellectuels, de gens impliqués dans l’action sociale et de politiciens québécois de toutes les générations. Une invitation à agir, réfléchir pour notre société. De son côté, Mathieu Roy et le co-réalisateur Harold Crooks livraient l’imposant Survivre au progrès, film tiré du best-seller A Short History of Progress de Ronald Wright, qui pose un diagnostic subversif sur le progrès de l’humanité et les pièges qu’il apporte.
Et pour terminer l’année, le très beau film Carnets d’un grand détour de Catherine Hébert. Quand Marc Roger, lecteur public de métier, se donne pour défi de marcher de Saint-Malo à Bamako avec son âne chargé de livres à partager, la cinéaste le rejoint au Maroc, avec sa caméra et décide de marcher avec lui. Carnets d’un grand détour effectue un émouvant périple, au Maroc, au Sénégal et au Mali. Dans la tradition d’un cinéma documentaire in situ en Afrique, habillé d’une écriture riche comme nous l’avait démontré à plusieurs reprises le cinéaste Sylvain L’Espérance, Catherine Hébert nous invite à marcher avec elle. Le leitmotiv de départ, Marc Roger, devient un prétexte et heureusement. Une narration intimiste, des images magnifiques et des rencontres humaines au détour. Le voyage dans le voyage du film.
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Encore une fois, le cinéma documentaire québécois porte empreinte, quelques fois ose se perdre pour mieux se retrouver. Et c’est tant mieux. Foisonnant, le documentaire au Québec le sera aussi, je l’espère pour 2012.
Bon cinéma !
Patricia Bergeron
Les précisions du Blog documentaire
1. Patricia Bergeron est réalisatrice et productrice indépendante au Québec, notamment pour des « projets cinématographiques tournés vers le réel et narrés pour le transmédia ».
D’abord scénariste et directrice artistique à Radio-Canada, elle rejoint l’Office national du film du Canada (ONF) en avril 2000 où elle devient tour à tour conceptrice web puis productrice. On lui doit notamment La tête de l’emploi ou Sexy Inc. Nos enfants sous influence.
Patricia Bergeron est également formatrice à l’INIS aux programmes documentaire et médias interactifs en contenu web documentaire et écriture transmédia, et formatrice à Espresso pour le cours de gestion de projets multiplateformes.
Vous pouvez retrouver Patricia Bergeron sur son blog DOC.0.
2. La plupart des documentaires abordés ici pourraient prochainement sortir en France. Certains ont déjà été vus en festivals ; d’autres sont d’ores et déjà disponibles en DVD au Québec. Nous vous invitons à vous reporter sur le site des films concernés pour davantage de précisions.
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